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Pourquoi il est difficile d'être aimée quand on est une femme politique comme Hillary Clinton

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Par Assita Kanko, auteure et femme politique belge

Imaginez un homme qui voyage avec un petit enfant dans un avion. L'enfant pleure, le père cherche à le calmer, tout le monde trouve cela merveilleux. Qui n'a jamais vu les regards attendris ou entendu les commentaires sympathiques pour l'homme papa. "C'est tellement mignon". C'est par contre considéré comme naturel de voir une mère dans les mêmes circonstances. Elle irritera même parfois car pourquoi n'arrive-t-elle pas à calmer son bébé dans l'avion, fulmineront certains passagers. Elle se promène avec son enfant dans un parc? Oh, quoi de plus normal. Elle est en retard pour chercher son enfant à la crèche? Quelle mauvaise mère! Mais un chef d'entreprise en retard pour récupérer les siens peut bénéficier d'une certaine compréhension puisqu'il est déjà si gentil d'aller les chercher à la place de sa femme et en plus il a "tellement de responsabilités"...

Pendant l'écriture de mon livre "La deuxième moitié, plaidoyer pour un nouveau féminisme", j'ai eu le plaisir de discuter avec le photographe suédois Johan Bavman à propos du partage des responsabilités face à la parentalité. Johan Bavman a pris un congé parental après la naissance de son fils car en Suède ils ont osé une réforme pour impliquer les deux parents sans pénaliser les mères. Comme en Islande, le meilleur pays au monde pour être femme, ils ont compris que l'égalité commençait dès la tendre enfance. Le jeune photographe est allé à la recherche d'autres papas pour voir comment ces derniers s'y prenaient. Le résultat est saisissant: une série de photos de pères en train de prendre soin de leurs enfants, parfois dans des circonstances drôles et insolites. "Jamais nous n'aurions regardé les femmes de la même manière" me dit Bavman. "Je pense que si j'avais photographié des mères en train de prendre soin de leurs enfants, cela n'aurait pas suscité autant d'admiration et d'émotion".

On est encore trop nombreux à partir du principe que les femmes jouent leur rôle alors que les hommes sont des héros. L'idée de base est l'association de la femme avec la maternité et le foyer. Cela ne date pas d'aujourd'hui. Par exemple Mirabeau soulignait déjà la prétendue faiblesse innée de la femme et son rôle naturel: "La constitution délicate des femmes est parfaitement appropriée à leur destination principale, celle de faire des enfants. Sans doute, la femme doit régner à l'intérieur de la maison, mais elle ne doit régner que là. Partout ailleurs, elle est déplacée."

Si aujourd'hui on peut compter le nombre de femmes de pouvoir, c'est aussi pour cette raison. On ne parle plus comme Mirabeau mais ce que nous faisons concrètement n'est pas loin de sa théorie. Tant dans les maisons que dans les cercles de pouvoir, on a du mal à apprécier les femmes pour ce qu'elles sont et pour leur potentiel. On les juge et les enferme dans leur sexe. Et si nous apprenions à porter d'autres lunettes?

Les élections présidentielles américaines sont un excellent laboratoire. "Quand un homme est ambitieux, est actif dans la société, tout va bien. Quand une femme fait la même chose, tout le monde se demande "pourquoi fait-elle ça"?" remarquait à juste titre Barack Obama. Il a raison, le sexisme est là, évident ou souvent imperceptible, insidieux, résultat de préjugés parfois inconscients y compris de la part d'autres femmes. Regardez: Donald Trump est d'une brutalité hallucinante mais c'est Hillary Clinton qui est over-scrutée, jugée sur son apparence, son sourire et devrait être "sympa", style première de la classe. Il y a des femmes américaines qui disent qu'elles ne voteront jamais pour Hillary Clinton et ce, sans critiquer des points précis de son programme. Leur motivation? Elles ne l'aiment pas, c'est tout. Une femme politique peut-elle être "aimée" quand elle est dans la conquête du pouvoir? On la préfère surtout dans l'effort et les seconds rôles... il suffit de regarder dans l'ombre de nos hommes de pouvoir.

Les femmes politiques, en plus de souffrir du sexisme dans ce milieu à très forte concentration machiste, ne peuvent compter que sur peu de sympathie et d'empathie dans le cadre de leurs activités politiques. Elles doivent sourire et être sympathiques. Elles ne peuvent pas affirmer leur ambition, sinon elles sont agressives. Elles ne peuvent pas être élégantes sinon on les trouve légères. Interdit de montrer de l'autorité, une quelconque certitude ou de se mettre en colère sinon elles choquent par tant d'arrogance et d'hystérie. Elles sont plus souvent hyper scrutées et soupçonnées de collusions ou d'incompétence.

Le sexisme violent à la Trump ce n'est hélas pas l'arbre qui cache la forêt en politique américaine. C'est l'arbre qui cache la forêt en politique, partout dans le monde, mais aussi dans la société en général. Souvenez-vous du sexisme des hommes parlementaires qui ont imité une poule à l'Assemblée nationale française alors qu'une députée s'exprimait. Le sexisme de certains reportages qui omettent l'intelligence de vos propos et ne montrent que votre sourire. Le soi-disant boystalk est très douloureux. Ce n'est pas de l'humour mais une violence que trop peu de femmes osent affronter ou dénoncer. Parfois elles quittent même la politique ou se déguisent en hommes dans leur garde-robe et dans leur attitude. Cela ne les aide pas à échapper au sexisme comme en témoigne la situation d'Hillary Clinton et de tant d'autres à divers niveaux.

Comment faire in fine pour contourner les obstacles? C'est de cela aussi que de nombreuses élues françaises ont parlé hier à Paris à l'occasion des journées nationales des femmes élues fondées par la courageuse Julia Mouzon. J'ai eu le plaisir d'y intervenir dans un panel avec la députée Mauritanienne Marieme Sy, l'ancienne ministre de la défense suédoise Karin Enström, la députée tunisienne Najia Ben Abdelhafidf, la chercheuse Réjane Sénac et la journaliste de France 24 Virginie Herz. À l'international, les femmes politiques sont confrontées à des défis liés à leur genre. Ayons plus d'empathie pour les femmes, que ce soit face à la responsabilité parentale ou à la conquête du pouvoir.

Source : Le Huffington Post