Aller au contenu principal

Jesse Majome

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
Back
June 10, 2009

Jesse Majome

Parlementaire du Zimbabwe

"Si vous êtes dans la politique active ou à une fonction élective, vous devez apprendre à travailler avec les gens pour atteindre vos objectifs et influer sur la façon dont les choses se font. Il y a un équilibre très délicat à trouver entre l’idéal que vous cherchez à traduire dans les faits et l’intérêt et les opinions du peuple que vous représentez." - Jesse Majome

iKNOW Politics: En tant que femme membre de l’Assemblée du Zimbabwe, quelles difficultés avez-vous rencontrées?

 La controverse qui entoure l’élection présidentielle et le fait que ce litige n’est pas réglé rendent en ce moment la tâche des parlementaires zimbabwéens extrêmement difficile... A ce jour, plus de six mois après les élections, aucun règlement n’est en vue. Alors quand on est parlementaire dans une situation comme celle-ci, qui est assez malheureuse, on est placé devant des défis très particuliers. Entre autres celui-ci : nous avons tous été élus le 29 mars mais nous n’avons pu prêter serment que quatre mois après, de sorte que notre mandat a été amputé d’autant. Conformément à la constitution du Zimbabwe, les parlementaires ne peuvent pas se mettre au travail avant d’avoir prêté serment et, en ce moment, faute d’un gouvernement clairement formé, le parlement ne peut toujours pas fonctionner correctement.

iKNOW Politics: En quoi votre expérience passée de conseillère municipale, de maire et de juriste vous a-t-elle aidée à relever ces défis?

Je pense que mes antécédents, le fait d’avoir été élue conseillère, d’avoir participé à la gestion locale, d’avoir été à la tête d’une autorité locale ainsi que mon expérience de juriste ont certainement contribué à me faire élire au parlement parce que, pour ce qui est de la motivation, il y a une sorte de continuité naturelle entre ces rôles. J’ai décidé initialement de me présenter comme conseillère pour mon parti politique parce que je me suis rendu compte que je faisais beaucoup pour le parti en en représentant les membres. En effet, il était dans l’opposition et était persécuté – j’irai jusque là – ne voyant de la loi que le côté injuste puisqu’elle était utilisée pour le décourager et le tenir en échec. Je me suis donc aperçue que je passais beaucoup de temps à défendre des membres de mon parti, qui étaient arrêtés pour des motifs divers à cause de leur engagement politique. Puis il y a eu un siège vacant au conseil et on m’a demandé de me présenter.

J’avais toujours voulu me lancer en politique mais je prévoyais de le faire à un stade ultérieur de ma carrière. Mais lorsque cette occasion s’est présentée, je me suis rendu compte que je n’avais pas d’excuse pour refuser. Je me suis dit : « autant le faire maintenant puisque je suis déjà engagée dans l’opposition politique comme juriste. Je suis même déjà en première ligne ». S’engager dans l’opposition n’est pas sans risque au Zimbabwe. C’est même dangereux : certains en sont morts ou l’ont payé très cher. Ce n’est donc pas une chose anodine à faire. Beaucoup espèrent qu’on arrivera à surmonter cette phase mais, dans mon cas, j’étais déjà exposée, alors autant me présenter. Encore une fois, c’est vraiment une responsabilité.

Je crois qu’il est important que des gens se présentent à des fonctions électives parce que si nous nous réservons pour plus tard, si nous nous tenons à l’abri et continuons à exercer nos professions et à gagner beaucoup d’argent, c’est finalement à nous-mêmes que nous faisons faux bond. Il y a énormément à faire pour remettre le gouvernement sur la bonne voie, remettre de l’ordre dans la définition des politiques et c’est une responsabilité devant laquelle, hommes et femmes, surtout les femmes des professions libérales, ne doivent pas reculer. Je ne dis pas que je vais changer seule le climat politique et la façon de faire de la politique au Zimbabwe mais je veux croire que je peux infléchir dans le bon sens les décisions qui ont une incidence sur le public et améliorer la façon de faire les lois. Je crois qu’il faudra que beaucoup d’entre nous s’y mettent – des femmes de toutes convictions, mais surtout des femmes de professions libérales – et qu’elles font cruellement défaut sur la scène politique.

iKNOW Politics: Vous venez de nous exposer les difficultés extrêmes qui accompagnent l’entrée dans l’arène politique au Zimbabwe. Avez-vous l’impression que vous vous heurtez à des difficultés supplémentaires parce que vous êtes une femme?

Je dirais que le fait d’être une femme comporte des désagréments supplémentaires parce qu’il y a des sortes de mal qu’on ne peut faire qu’à une femme et pas à un homme. On peut vous violer par exemple. On peut discuter sur le point de savoir si l’on peut ou non violer un homme mais, en général, ce sont des femmes qu’on viole et il y a toujours ce danger. La violence politique peut être d’une laideur extrême et l’on sait qu’il y a toujours ce risque. Si nous, les femmes, nous nous focalisions sur ce risque, nous ne ferions jamais rien parce que des femmes peuvent se faire violer de toute façon, où qu’elles soient, même en ne faisant pas de politique. Nous ne ferions plus rien du tout comme femmes, donc mieux vaut ne pas s’attarder sur ce risque mais regarder toutes les possibilités qui s’offrent.

iKNOW Politics: Le soutien d’autres femmes vous a-t-il été utile?

J’ai reçu et je continue à recevoir beaucoup de soutien de la part de femmes et d’hommes. C’est par le mouvement féminin que je suis entrée en politique parce que pendant très longtemps je me suis employée à me servir des lois pour changer la condition des femmes. Je remarque que les hommes juristes dans la politique zimbabwéenne semblent avoir une énorme influence sur les lois et aussi sur les esprits. J’ai regardé autour de moi et, pendant longtemps, je n’ai vu aucune femme, surtout pas de femme élue. Il y avait une femme au parlement zimbabwéen avant le 18ème amendement constitutionnel, adopté en décembre 2007. Sur les 120 membres que comptait le parlement, le président pouvait en désigner 30. Il y avait une femme désignée, une juriste, mais elle n’a pas été désignée à nouveau par la suite. Il est également possible de désigner un certain nombre de sénateurs. Une femme avait été désignée comme sénatrice pour une partie du mandat mais, aux dernières élections, elle a décidé de se présenter à l’Assemblée et elle n’a pas été élue.

Si les parlementaires désignés ont les mêmes droits de vote que les autres, je pense que, s’agissant de la représentation des femmes, l’élection est, aux yeux de beaucoup, un moyen d’entrer au parlement auquel personne ne peut trouver à redire. C’est une question de statut. Si vous êtes désigné, oui vous êtes parlementaire, vous serez pris au sérieux comme homme ou femme politique mais, pour les femmes en particulier, il est important d’avoir des parlementaires qui aient été élues par le peuple. Vous avez un pouvoir de négociation plus grand. Vous avez plus d’influence : c’est pourquoi il est important d’être élue. Dans l’histoire du parlement zimbabwéen, il n’y avait pas eu de femme juriste élue. J’ai donc pensé qu’il était temps que des femmes juristes entrent au parlement et j’ai décidé que je serais la première. J’ai eu la chance d’être élue et je suis heureuse d’avoir été la première femme juriste élue au parlement zimbabwéen.

Malheureusement, je suis la seule dans ce cas, je souhaiterais qu’il y en ait davantage. Je me suis en fait engagée, parce que je suis membre de l’Association des femmes juristes du Zimbabwe, à faire un travail de sensibilisation pour que d’autres femmes juristes parviennent à des fonctions électives et j’espère qu’il y en aura bientôt plus. J’ai constaté que les juristes avaient eu beaucoup d’influence dans l’histoire du parlement zimbabwéen. Au Zimbabwe, les femmes ont fait l’objet de discriminations dans de nombreux domaines du droit. Pendant des années, nous avons essayé d’inciter des hommes et des juristes à faire adopter des lois d’action positive en faveur de l’égalité des sexes mais maintenant je pense qu’il est important que nous entrions au parlement et que nous agissions par nous-mêmes. J’espère donc contribuer modestement à des progrès dans ce sens.

iKNOW Politics: Pensez-vous que votre style de leadership ait changé avec le temps?

Je dirais que j’ai beaucoup appris et que, d’un point de vue politique, j’ai mûri. Je comprends mieux maintenant la dynamique très complexe qui se crée en travaillant avec les gens. Si vous êtes dans la politique active ou à une fonction élective, vous devez apprendre à travailler avec les gens pour atteindre vos objectifs et influer sur la façon dont les choses se font. Il y a un équilibre très délicat à trouver entre l’idéal que vous cherchez à traduire dans les faits et l’intérêt et les opinions du peuple que vous représentez. Je pense que mon expérience de juriste m’aide aussi parce que, même dans ma campagne électorale, je suis habituée à défendre les positions et les points de vue des gens. Je pourrai donc les représenter au parlement, argumenter et débattre. De toute évidence, les juristes ne sont pas les seuls à savoir représenter les gens et exposer des points de vue mais je pense que le fait d’être juriste m’y aide.

iKNOW Politics: Pouvez-vous me donner un exemple de quelque chose que vous avez fait ou envisagez de faire et qui est à votre avis bénéfique pour les femmes du Zimbabwe?

En ce moment, c’est un peu difficile parce que le parlement zimbabwéen comme tel ne s’est pas encore mis au travail. Par exemple, les commissions parlementaires elles-mêmes attendent la formation d’un gouvernement. Pour le moment, nous sommes en piste pour le décollage ; nous ne faisons qu’imaginer des stratégies à mettre en scène. J’ai trouvé une vraie famille dans le groupe des femmes au parlement : il y a tant de stratégies que nous voulons essayer et adopter sur les questions des femmes. Je me suis rendu compte dans ce groupe que ma connaissance du droit était utile à mes collègues. Je peux leur en faire profiter. On touche de près au droit quand on est au parlement. On y fait les lois. Si vous savez ce que dit déjà le droit et ce qu’il peut dire, cela aide. J’espère être un atout pour mes collègues : elles devront souvent se renseigner à l’extérieur, auprès d’ONG notamment – et elles continueront à le faire bien sûr – mais c’est pratique d’avoir une juriste sous la main.

J’espère aussi que nous pourrons déposer des motions sur divers sujets au Zimbabwe, pas seulement faire des lois et contrôler les politiques et l’action du gouvernement comme c’est le devoir du parlement. Par exemple, de très nombreuses femmes au Zimbabwe ont de la peine à faire enregistrer la naissance des enfants nés hors mariage. L’obtention d’un passeport est un cauchemar pour beaucoup de femmes à cause de la position dominante de l’homme dans la famille. Parfois, elles sont obligées de changer de nom pour obtenir un passeport parce qu’elles sont mariées. La loi elle-même n’oblige pas les femmes mariées à changer de nom. On pourrait poser des questions et exiger que l’office de l’état civil explique exactement pourquoi il complique à ce point la vie des femmes, les force en fait à changer de nom et les empêche de jouir de leurs droits. Je pense qu’il y a de très nombreuses possibilités.

iKNOW Politics: Quel genre d’appui pensez-vous qu’un réseau comme iKNOW Politics pourrait vous apporter?

Je pense que ce serait passionnant de pouvoir simplement échanger avec des membres d’autres parlements. J’ai eu récemment une conversation avec une amie kényane qui est juriste et avec laquelle j’ai fait mes études. Elle a été très intéressée d’apprendre que je devenais parlementaire. Elle a dit qu’elle allait essayer de me mettre en relation avec des femmes parlementaires du Kenya. Je me suis dit : « ce serait parfait ». Cela m’aiderait vraiment beaucoup de pouvoir confronter mes expériences avec celles d’autres personnes. C’est très encourageant, cela permet d’améliorer la qualité de votre travail et cela vous remonte le moral. C’est utile aussi d’apprendre quelles questions les femmes ont soulevées, parce qu’elles recourent parfois à des stratégies très novatrices pour promouvoir les femmes. Je pense qu’il serait extrêmement gratifiant d’échanger et de mettre à profit les expériences d’autres femmes parlementaires. Et de leur côté, elles pourraient aussi trouver intéressantes les expériences zimbabwéennes.

iKNOW Politics: Si vous vous adressiez à une jeune femme qui songe à entrer en politique mais qui hésite, de quelle expérience voudriez-vous lui faire profiter ? Quels conseils lui donneriez-vous?

Si elle songeait à entrer en politique, je crois que je lui conseillerais de se lancer parce que l’arène politique a ceci de merveilleux qu’elle est grande ouverte. Cela donne beaucoup de liberté; c’est à vous de décider ce que vous voulez être parce qu’il n’y a pratiquement pas de limites. Vous n’avez qu’à sortir du rang. Si vous le faites, armez-vous d’informations sur les possibilités, parce qu’il y en a énormément. Cela va sans doute déranger beaucoup de femmes mais je pense que s’il y a si peu de femmes en poste, c’est en partie parce que nous ne nous avançons pas. C’est parfois notre inaction qui fait obstacle au progrès. Or, il suffit de décider que c’est cela qu’on veut faire, être élue à un poste ou à un siège. On décide lequel on veut et on se renseigne sur les moyens de l’obtenir. On regarde la carte et on évalue les chances qu’on a : vous ne l’aurez peut-être pas tout de suite, peut-être pas l’année prochaine mais finalement vous l’obtiendrez parce que, comme je l’ai dit, le champ est largement ouvert et l’on attend que des femmes y entrent et occupent ces postes.

 

Date de l'entretien
Région
Parlementaire du Zimbabwe

"Si vous êtes dans la politique active ou à une fonction élective, vous devez apprendre à travailler avec les gens pour atteindre vos objectifs et influer sur la façon dont les choses se font. Il y a un équilibre très délicat à trouver entre l’idéal que vous cherchez à traduire dans les faits et l’intérêt et les opinions du peuple que vous représentez." - Jesse Majome

iKNOW Politics: En tant que femme membre de l’Assemblée du Zimbabwe, quelles difficultés avez-vous rencontrées?

 La controverse qui entoure l’élection présidentielle et le fait que ce litige n’est pas réglé rendent en ce moment la tâche des parlementaires zimbabwéens extrêmement difficile... A ce jour, plus de six mois après les élections, aucun règlement n’est en vue. Alors quand on est parlementaire dans une situation comme celle-ci, qui est assez malheureuse, on est placé devant des défis très particuliers. Entre autres celui-ci : nous avons tous été élus le 29 mars mais nous n’avons pu prêter serment que quatre mois après, de sorte que notre mandat a été amputé d’autant. Conformément à la constitution du Zimbabwe, les parlementaires ne peuvent pas se mettre au travail avant d’avoir prêté serment et, en ce moment, faute d’un gouvernement clairement formé, le parlement ne peut toujours pas fonctionner correctement.

iKNOW Politics: En quoi votre expérience passée de conseillère municipale, de maire et de juriste vous a-t-elle aidée à relever ces défis?

Je pense que mes antécédents, le fait d’avoir été élue conseillère, d’avoir participé à la gestion locale, d’avoir été à la tête d’une autorité locale ainsi que mon expérience de juriste ont certainement contribué à me faire élire au parlement parce que, pour ce qui est de la motivation, il y a une sorte de continuité naturelle entre ces rôles. J’ai décidé initialement de me présenter comme conseillère pour mon parti politique parce que je me suis rendu compte que je faisais beaucoup pour le parti en en représentant les membres. En effet, il était dans l’opposition et était persécuté – j’irai jusque là – ne voyant de la loi que le côté injuste puisqu’elle était utilisée pour le décourager et le tenir en échec. Je me suis donc aperçue que je passais beaucoup de temps à défendre des membres de mon parti, qui étaient arrêtés pour des motifs divers à cause de leur engagement politique. Puis il y a eu un siège vacant au conseil et on m’a demandé de me présenter.

J’avais toujours voulu me lancer en politique mais je prévoyais de le faire à un stade ultérieur de ma carrière. Mais lorsque cette occasion s’est présentée, je me suis rendu compte que je n’avais pas d’excuse pour refuser. Je me suis dit : « autant le faire maintenant puisque je suis déjà engagée dans l’opposition politique comme juriste. Je suis même déjà en première ligne ». S’engager dans l’opposition n’est pas sans risque au Zimbabwe. C’est même dangereux : certains en sont morts ou l’ont payé très cher. Ce n’est donc pas une chose anodine à faire. Beaucoup espèrent qu’on arrivera à surmonter cette phase mais, dans mon cas, j’étais déjà exposée, alors autant me présenter. Encore une fois, c’est vraiment une responsabilité.

Je crois qu’il est important que des gens se présentent à des fonctions électives parce que si nous nous réservons pour plus tard, si nous nous tenons à l’abri et continuons à exercer nos professions et à gagner beaucoup d’argent, c’est finalement à nous-mêmes que nous faisons faux bond. Il y a énormément à faire pour remettre le gouvernement sur la bonne voie, remettre de l’ordre dans la définition des politiques et c’est une responsabilité devant laquelle, hommes et femmes, surtout les femmes des professions libérales, ne doivent pas reculer. Je ne dis pas que je vais changer seule le climat politique et la façon de faire de la politique au Zimbabwe mais je veux croire que je peux infléchir dans le bon sens les décisions qui ont une incidence sur le public et améliorer la façon de faire les lois. Je crois qu’il faudra que beaucoup d’entre nous s’y mettent – des femmes de toutes convictions, mais surtout des femmes de professions libérales – et qu’elles font cruellement défaut sur la scène politique.

iKNOW Politics: Vous venez de nous exposer les difficultés extrêmes qui accompagnent l’entrée dans l’arène politique au Zimbabwe. Avez-vous l’impression que vous vous heurtez à des difficultés supplémentaires parce que vous êtes une femme?

Je dirais que le fait d’être une femme comporte des désagréments supplémentaires parce qu’il y a des sortes de mal qu’on ne peut faire qu’à une femme et pas à un homme. On peut vous violer par exemple. On peut discuter sur le point de savoir si l’on peut ou non violer un homme mais, en général, ce sont des femmes qu’on viole et il y a toujours ce danger. La violence politique peut être d’une laideur extrême et l’on sait qu’il y a toujours ce risque. Si nous, les femmes, nous nous focalisions sur ce risque, nous ne ferions jamais rien parce que des femmes peuvent se faire violer de toute façon, où qu’elles soient, même en ne faisant pas de politique. Nous ne ferions plus rien du tout comme femmes, donc mieux vaut ne pas s’attarder sur ce risque mais regarder toutes les possibilités qui s’offrent.

iKNOW Politics: Le soutien d’autres femmes vous a-t-il été utile?

J’ai reçu et je continue à recevoir beaucoup de soutien de la part de femmes et d’hommes. C’est par le mouvement féminin que je suis entrée en politique parce que pendant très longtemps je me suis employée à me servir des lois pour changer la condition des femmes. Je remarque que les hommes juristes dans la politique zimbabwéenne semblent avoir une énorme influence sur les lois et aussi sur les esprits. J’ai regardé autour de moi et, pendant longtemps, je n’ai vu aucune femme, surtout pas de femme élue. Il y avait une femme au parlement zimbabwéen avant le 18ème amendement constitutionnel, adopté en décembre 2007. Sur les 120 membres que comptait le parlement, le président pouvait en désigner 30. Il y avait une femme désignée, une juriste, mais elle n’a pas été désignée à nouveau par la suite. Il est également possible de désigner un certain nombre de sénateurs. Une femme avait été désignée comme sénatrice pour une partie du mandat mais, aux dernières élections, elle a décidé de se présenter à l’Assemblée et elle n’a pas été élue.

Si les parlementaires désignés ont les mêmes droits de vote que les autres, je pense que, s’agissant de la représentation des femmes, l’élection est, aux yeux de beaucoup, un moyen d’entrer au parlement auquel personne ne peut trouver à redire. C’est une question de statut. Si vous êtes désigné, oui vous êtes parlementaire, vous serez pris au sérieux comme homme ou femme politique mais, pour les femmes en particulier, il est important d’avoir des parlementaires qui aient été élues par le peuple. Vous avez un pouvoir de négociation plus grand. Vous avez plus d’influence : c’est pourquoi il est important d’être élue. Dans l’histoire du parlement zimbabwéen, il n’y avait pas eu de femme juriste élue. J’ai donc pensé qu’il était temps que des femmes juristes entrent au parlement et j’ai décidé que je serais la première. J’ai eu la chance d’être élue et je suis heureuse d’avoir été la première femme juriste élue au parlement zimbabwéen.

Malheureusement, je suis la seule dans ce cas, je souhaiterais qu’il y en ait davantage. Je me suis en fait engagée, parce que je suis membre de l’Association des femmes juristes du Zimbabwe, à faire un travail de sensibilisation pour que d’autres femmes juristes parviennent à des fonctions électives et j’espère qu’il y en aura bientôt plus. J’ai constaté que les juristes avaient eu beaucoup d’influence dans l’histoire du parlement zimbabwéen. Au Zimbabwe, les femmes ont fait l’objet de discriminations dans de nombreux domaines du droit. Pendant des années, nous avons essayé d’inciter des hommes et des juristes à faire adopter des lois d’action positive en faveur de l’égalité des sexes mais maintenant je pense qu’il est important que nous entrions au parlement et que nous agissions par nous-mêmes. J’espère donc contribuer modestement à des progrès dans ce sens.

iKNOW Politics: Pensez-vous que votre style de leadership ait changé avec le temps?

Je dirais que j’ai beaucoup appris et que, d’un point de vue politique, j’ai mûri. Je comprends mieux maintenant la dynamique très complexe qui se crée en travaillant avec les gens. Si vous êtes dans la politique active ou à une fonction élective, vous devez apprendre à travailler avec les gens pour atteindre vos objectifs et influer sur la façon dont les choses se font. Il y a un équilibre très délicat à trouver entre l’idéal que vous cherchez à traduire dans les faits et l’intérêt et les opinions du peuple que vous représentez. Je pense que mon expérience de juriste m’aide aussi parce que, même dans ma campagne électorale, je suis habituée à défendre les positions et les points de vue des gens. Je pourrai donc les représenter au parlement, argumenter et débattre. De toute évidence, les juristes ne sont pas les seuls à savoir représenter les gens et exposer des points de vue mais je pense que le fait d’être juriste m’y aide.

iKNOW Politics: Pouvez-vous me donner un exemple de quelque chose que vous avez fait ou envisagez de faire et qui est à votre avis bénéfique pour les femmes du Zimbabwe?

En ce moment, c’est un peu difficile parce que le parlement zimbabwéen comme tel ne s’est pas encore mis au travail. Par exemple, les commissions parlementaires elles-mêmes attendent la formation d’un gouvernement. Pour le moment, nous sommes en piste pour le décollage ; nous ne faisons qu’imaginer des stratégies à mettre en scène. J’ai trouvé une vraie famille dans le groupe des femmes au parlement : il y a tant de stratégies que nous voulons essayer et adopter sur les questions des femmes. Je me suis rendu compte dans ce groupe que ma connaissance du droit était utile à mes collègues. Je peux leur en faire profiter. On touche de près au droit quand on est au parlement. On y fait les lois. Si vous savez ce que dit déjà le droit et ce qu’il peut dire, cela aide. J’espère être un atout pour mes collègues : elles devront souvent se renseigner à l’extérieur, auprès d’ONG notamment – et elles continueront à le faire bien sûr – mais c’est pratique d’avoir une juriste sous la main.

J’espère aussi que nous pourrons déposer des motions sur divers sujets au Zimbabwe, pas seulement faire des lois et contrôler les politiques et l’action du gouvernement comme c’est le devoir du parlement. Par exemple, de très nombreuses femmes au Zimbabwe ont de la peine à faire enregistrer la naissance des enfants nés hors mariage. L’obtention d’un passeport est un cauchemar pour beaucoup de femmes à cause de la position dominante de l’homme dans la famille. Parfois, elles sont obligées de changer de nom pour obtenir un passeport parce qu’elles sont mariées. La loi elle-même n’oblige pas les femmes mariées à changer de nom. On pourrait poser des questions et exiger que l’office de l’état civil explique exactement pourquoi il complique à ce point la vie des femmes, les force en fait à changer de nom et les empêche de jouir de leurs droits. Je pense qu’il y a de très nombreuses possibilités.

iKNOW Politics: Quel genre d’appui pensez-vous qu’un réseau comme iKNOW Politics pourrait vous apporter?

Je pense que ce serait passionnant de pouvoir simplement échanger avec des membres d’autres parlements. J’ai eu récemment une conversation avec une amie kényane qui est juriste et avec laquelle j’ai fait mes études. Elle a été très intéressée d’apprendre que je devenais parlementaire. Elle a dit qu’elle allait essayer de me mettre en relation avec des femmes parlementaires du Kenya. Je me suis dit : « ce serait parfait ». Cela m’aiderait vraiment beaucoup de pouvoir confronter mes expériences avec celles d’autres personnes. C’est très encourageant, cela permet d’améliorer la qualité de votre travail et cela vous remonte le moral. C’est utile aussi d’apprendre quelles questions les femmes ont soulevées, parce qu’elles recourent parfois à des stratégies très novatrices pour promouvoir les femmes. Je pense qu’il serait extrêmement gratifiant d’échanger et de mettre à profit les expériences d’autres femmes parlementaires. Et de leur côté, elles pourraient aussi trouver intéressantes les expériences zimbabwéennes.

iKNOW Politics: Si vous vous adressiez à une jeune femme qui songe à entrer en politique mais qui hésite, de quelle expérience voudriez-vous lui faire profiter ? Quels conseils lui donneriez-vous?

Si elle songeait à entrer en politique, je crois que je lui conseillerais de se lancer parce que l’arène politique a ceci de merveilleux qu’elle est grande ouverte. Cela donne beaucoup de liberté; c’est à vous de décider ce que vous voulez être parce qu’il n’y a pratiquement pas de limites. Vous n’avez qu’à sortir du rang. Si vous le faites, armez-vous d’informations sur les possibilités, parce qu’il y en a énormément. Cela va sans doute déranger beaucoup de femmes mais je pense que s’il y a si peu de femmes en poste, c’est en partie parce que nous ne nous avançons pas. C’est parfois notre inaction qui fait obstacle au progrès. Or, il suffit de décider que c’est cela qu’on veut faire, être élue à un poste ou à un siège. On décide lequel on veut et on se renseigne sur les moyens de l’obtenir. On regarde la carte et on évalue les chances qu’on a : vous ne l’aurez peut-être pas tout de suite, peut-être pas l’année prochaine mais finalement vous l’obtiendrez parce que, comme je l’ai dit, le champ est largement ouvert et l’on attend que des femmes y entrent et occupent ces postes.

 

Date de l'entretien
Région
Parlementaire du Zimbabwe