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Iris Berger

Entretiens

Soumis par admin1 le
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January 10, 2017

Iris Berger

Spécialiste de l’histoire des femmes en Afrique



Dans les comparaisons mondiales analysant les pourcentages de représentation des femmes dans les parlements, les États-Unis (19.2% ) se classent au 99e rang et la France (26.2%) au 62e rang, très loin derrière le Rwanda, premier avec 63,8% des élus qui sont des élues, le Sénégal (42,7%), l’Afrique du Sud (42%), la Namibie (41.3%), le Mozambique (39.6%) et l’Éthiopie (38.8%) qui se trouvent tous dans le top 20 du classement.

Propos recueillis et traduits par Vincent Hiribarren

Questions à Iris Berger, professeure émérite à l’Université de l’État de New-York à Albany (États-Unis) et spécialiste de l’histoire des femmes en Afrique et de l’histoire de l’Afrique du Sud. Elle vient de publier Women in Twentieth-Century Africa avec Cambridge University Press (2016). Elle a aussi publié, entre autres, South Africa in World History (2009), un ouvrage faisant partie de la collection New Oxford World History.

Comment l’islam a-t-il affecté la vie des femmes en Afrique subsaharienne?

Les femmes musulmanes d’Afrique subsahariennes tendent à être associées à la burqa, au hijab, au voile et à l’isolement. Cette association dissimule une histoire complexe du genre et de l’islam aux échelles locale et régionale. En Afrique subsaharienne, l’islam remonte aux VIIIe et IXe siècles. Quand les commerçants musulmans traversaient le désert du Sahara et l’Océan Indien, diffusaient leur nouvelle religion. Peu à peu, au cours des siècles (par le commerce et les mariages mixtes), l’islam a été adoptée par les dirigeants des puissants royaumes du Ghana, du Mali et du Songhaï. L’islam a aussi remodelé les pratiques religieuses dans de grandes parties de l’Afrique du Nord-Est et a inspiré la langue et la culture swahili de la côte d’Afrique orientale en combinant les influences religieuses, culturelles, et linguistiques locales et externes. Cependant l’influence musulmane s’estompe avec la distance des grands centres urbains et commerciaux et l’islam a mis du temps à transformer la vie des femmes.

Une série de mouvements militants de renouveau islamique à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle ainsi que la conquête coloniale européenne un siècle plus tard, ont redéfini le climat religieux du continent. La diversité culturelle et religieuse qui en a résulté a augmenté avec les efforts de prosélytisme des missionnaires chrétiens qui ont commencé à déferler sur le continent au XIXe siècle. Dans toutes les régions, cependant, les traditions et pratiques religieuses et spirituelles antérieures ont continué à influencer islam et christianisme et la pratique des deux religions était aussi variée que les langues et les sociétés qui les ont précédées.

De plus, l’influence de l’islam pour les femmes était complexe. Contrairement aux anciennes religions africaines qui ont généralement reconnu et célébré l’influence spirituelle des femmes, les femmes musulmanes ont été exclues des rôles politiques et religieux officiels. Mais ni l’islam ni la domination coloniale n’ont endommagé l’expression exubérante de la religion par les femmes à travers des groupes locaux de possession d’esprit qui valorisent le pouvoir des femmes par rapport aux hommes et inspirent leurs pouvoirs en tant que guérisseuses, surtout en matière de fécondité féminine. En outre, bien que les femmes ne pouvaient hériter que de la moitié de ce que les hommes pouvaient hériter, la loi islamique assurait aux femmes des droits fondamentaux en matière de mariage, de divorce et de propriété. Les pratiques qui exigent que les femmes portent le voile ou qui exigent l’isolement des lieux publics varient selon les régions, mais sont rarement appliquées dans les zones rurales où les femmes doivent travailler à l’extérieur du foyer ; par nécessité, la plupart des femmes musulmanes restaient des agricultrices productives et menaient une vie active en tant que commerçantes, travaillant souvent à partir de leurs foyers et utilisant des enfants comme intermédiaires dans les espaces publics.

Alors que l’éducation occidentale se répandait sur le continent, certains lettrés musulmans défendaient l’éducation des filles comme faisant partie intégrante de l’islam, arguant que le Prophète lui-même croyait que les femmes instruites faisaient de meilleures épouses et mères. Le rythme et la nature de la scolarisation des filles musulmanes variaient beaucoup mais dans certaines régions, à mesure que l’indépendance s’approchait, la persistance du phénomène de réclusion fournissait une justification pour l’éducation des femmes, et ce afin de combler la demande en médecins, enseignantes et sages-femmes. À Zanzibar, au moment de la révolution de 1964, les filles devaient rejeter le purdah (isolement) et l’éducation universelle était considérée comme un aspect clé du programme de développement socialiste. Néanmoins, dans les années 60, après que la plupart des pays africains ont gagné leur indépendance, le nombre de filles instruites était plus bas dans les régions francophones, en partie à cause des politiques coloniales persistantes et en de nombreux endroits en raison d’une forte population musulmane opposée à l’éducation des filles. Ainsi dans le puissant roman Une si longue lettre de l’écrivaine sénégalaise Mariama Bȃ, des femmes musulmanes éduquées se sont heurtées à des dilemmes complexes, surtout lorsque leurs maris ont décidé de prendre une seconde épouse.

Au cours des années 1990, les mouvements de renouveau musulman au nord du Nigeria et au Niger (parallèlement à la montée des Églises chrétiennes pentecôtistes) ont proposé des visions de l’ordre moral musulman qui trouvaient les origines des problèmes économiques dans l’immoralité croissante, en particulier dans la sexualité féminine. Leurs dirigeants ont soutenu que seules des réformes morales généralisées pouvaient inverser les effets dévastateurs de la pauvreté et du sous-développement. Néanmoins, un petit nombre de femmes prospères ont été en mesure d’améliorer leur statut en exécutant le hajj, le pèlerinage annuel à La Mecque - menant à une nouvelle classe proéminente de marchandes. Elles sont revenues de La Mecque non seulement avec un sentiment de piété musulmane plus fort, mais aussi avec des symboles coûteux de la modernité tels que les magnétoscopes et les caméras vidéo.

Comment l’influence politique des femmes en Afrique se compare-t-elle à celle des États-Unis?

Lorsqu’elle a remporté la nomination démocrate au poste de présidente des États-Unis, Hillary Clinton est devenue la première femme d’un parti majeur à se présenter au plus haut poste de la nation, mais ce n’était pas la première femme candidate à ce poste. À la fin du XIXe siècle, deux femmes du Parti pour l’égalité des droits se sont présentées au poste de présidente des États-Unis ; il s’agissait de Victoria Claflin Woodhull en 1872 et de Belva Ann Bennett Lockwood en 1884 et 1888. C’est cependant seulement en 1964, qu’une femme, Margaret Chase Smith, a obtenu la nomination d’un parti majeur. Depuis, neuf femmes (dont Clinton) ont demandé la nomination pour les grands scrutins du parti. Néanmoins, des partis plus petits, comme le Parti de la Femme Américaine, le Parti Communiste, le Parti Socialiste des Travailleurs, le Parti Vert (qui a soutenu Jill Stein aux élections de 2016) et de minuscules groupes idiosyncratiques avaient déjà aligné plus de 30 femmes comme candidats à la présidence.

Cependant, la plupart des gens aux États-Unis (et en France) ne savent pas que ces statistiques ne supportent pas la comparaison avec de nombreux pays d’Afrique, un continent souvent associé à l’oppression des femmes. En effet, dans les comparaisons mondiales analysant les pourcentages de représentation des femmes dans les chambres basses ou dans les systèmes à chambre unique, les États-Unis se classent au 99e rang avec 19.2% et la France au 62e rang avec (26.2%), loin derrière le Rwanda, premier de ce classement avec 63,8% de femmes. Le Sénégal (42,7%), l’Afrique du Sud (42%), la Namibie (41.3%), le Mozambique (39.6%) et l’Éthiopie (38.8%) se retrouvent quant à eux tous dans le top 20 (1). Devant les États-Unis se trouvent 15 autres pays africains. Hillary Clinton, si elle avait été élue, aurait pris place à côté d’Ellen Johnson Sirleaf, économiste, banquière, militante politique de renommée internationale et présidente du Liberia depuis 2006. En 2011, Johnson Sirleaf est devenue la première femme politique à recevoir le Prix Nobel de la paix.

Née au Liberia, un pays fondé en 1847 par des esclaves libérés des États-Unis, Ellen Johnson Sirleaf s’est mariée à 17 ans et a eu 4 fils. Elle a étudié au Madison Business College dans le Wisconsin avant d’obtenir un diplôme en économie de l’Université du Colorado à Boulder et un master en administration publique de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard. De retour au Libéria, elle a été embauchée au Trésor et est devenue ministre adjointe des Finances dans le gouvernement du président William Tolbert, dont le parti représentait les élites descendantes des fondateurs du pays. Lorsqu’il a été renversé par Samuel Doe en 1980, Johnson Sirleaf est partie en exil au Kenya et aux États-Unis, travaillant dans les services bancaires internationaux, mais cette dernière est retournée au Libéria en 1985 et a fait campagne pour un siège au Sénat. De plus en plus critique contre la brutalité et la corruption de Doe, Johnson Sirleaf a été condamnée à 10 ans de prison, menacée de viol et de mort. Libérée après avoir purgé une peine partielle, elle a fui le pays une fois de plus et a déménagé à Washington, D.C., mais est restée connectée à la politique du Liberia pendant la guerre civile. Quand Johnson Sirleaf est retournée au Libéria pour une troisième fois en 1997, elle a fait campagne sans succès pour devenir présidente, mais s’est représentée en 2005. En faisant campagne agressivement et avec succès contre le célèbre footballeur international George Weah, elle a gagné le scrutin en promettant le développement économique ainsi que la fin de la guerre civile et de la corruption. Lors de son investiture, elle est devenue la première femme élue présidente sur le continent africain.

Ellen Johnson Sirleaf, la présidente du Liberia, durant une conférence de presse organisée par le FMI et la Banque Mondiale sur la question des conflits armés, le 8 octobre 2016, à Washnigton DC. Photo Zach Gibson / AFP

Le Liberia a été un cas unique en ayant une candidate féminine tout à fait qualifiée pour devenir présidente à la suite de la guerre civile. Néanmoins ce phénomène s’est produit aussi ailleurs en Afrique : les femmes se sont positionnées pour tirer parti des pressions locales et internationales visant à rédiger des constitutions démocratiques et organiser des élections multipartites au cours des années 1990 et au début du XXIe siècle. Dans la réorganisation post-conflit du gouvernement qui a eu lieu en Afrique du Sud, en Namibie, au Mozambique et en Ouganda en Sierra Leone, au Liberia et en Érythrée, les femmes se sont rassemblées pour faire en sorte que leurs voix ne soient pas réduites au silence dans les nouveaux systèmes politiques. Appliquée en Afrique du Sud après les élections historiques qui ont mis fin à l’apartheid en 1994, l’une de leurs principales tactiques (également utilisées en France) était d’exiger une plus grande parité entre les femmes et les hommes dans les organes législatifs en fixant des quotas pour la représentation des femmes au niveau national (et parfois régional et local). Ces demandes ont été particulièrement fructueuses dans les pays issus de troubles civils depuis le milieu des années 80, ouvrant des espaces aux militants politiques pour promouvoir des cadres politiques et constitutionnels reflétant les préoccupations contemporaines en matière de protection des droits des femmes.

Comment une perspective comparative peut-elle enrichir notre compréhension de l’histoire de l’Afrique du Sud?

Lorsque le sénateur Robert F. Kennedy, frère du défunt président John F. Kennedy, prononça un discours à l’Université du Cap en 1966, il commença ses remarques avec un résumé apparemment simple de l’histoire de l’Afrique du Sud. Il a ainsi évoqué un pays colonisé par les Hollandais au milieu du XVIIe siècle, puis pris par les Britanniques et enfin devenu indépendant. Il a aussi évoqué un pays où les premiers habitants furent d’abord soumis, mais avec qui les relations restaient un problème. Il a parlé d’un pays qui se définissait sur une frontière hostile, d’un pays qui importait autrefois des esclaves et qui luttait toujours pour effacer les dernières traces de cette ancienne servitude. À la surprise de son auditoire, il conclut: «Je me réfère bien sûr aux États-Unis d’Amérique».

En établissant ces liens communs entre les deux pays, Kennedy appelait les jeunes à lutter contre l’injustice et l’inhumanité à travers le monde, mais ses remarques contribuèrent aussi à placer l’Afrique du Sud dans le contexte plus large de l’histoire mondiale en la situant parmi les nombreux pays colonisés par les Européens qui parcoururent le globe à partir de la fin du XVe siècle à la recherche de nouvelles sources de richesse et de pouvoir. Comme l’a observé Kennedy, ces conquêtes ont laissé un héritage d’oppression, d’esclavage et d’inégalité raciale combiné à une exploitation intensive des ressources naturelles et des technologies modernes très développées. Comme au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans de nombreux pays d’Amérique latine, l’Afrique du Sud a attiré un nombre important de colons européens qui se sont emparés de vastes étendues de terres et approprié de précieuses ressources. En Afrique, ce récit sud-africain de dépossession était parallèle à l’histoire de la Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe), du Kenya et de l’Algérie. Kennedy a également évoqué la lutte pour éradiquer les derniers vestiges de la servitude. Bien que la lutte contre l’apartheid se poursuivait encore en 1966, l’Afrique du Sud, contrairement aux États-Unis, avait obtenu sa liberté par une combinaison de pressions politiques, diplomatiques et militaires plutôt que par une guerre anticoloniale à grande échelle.

Source: Libération Africa

Date de l'entretien
Spécialiste de l’histoire des femmes en Afrique
Focus areas
Iris Berger



Dans les comparaisons mondiales analysant les pourcentages de représentation des femmes dans les parlements, les États-Unis (19.2% ) se classent au 99e rang et la France (26.2%) au 62e rang, très loin derrière le Rwanda, premier avec 63,8% des élus qui sont des élues, le Sénégal (42,7%), l’Afrique du Sud (42%), la Namibie (41.3%), le Mozambique (39.6%) et l’Éthiopie (38.8%) qui se trouvent tous dans le top 20 du classement.

Propos recueillis et traduits par Vincent Hiribarren

Questions à Iris Berger, professeure émérite à l’Université de l’État de New-York à Albany (États-Unis) et spécialiste de l’histoire des femmes en Afrique et de l’histoire de l’Afrique du Sud. Elle vient de publier Women in Twentieth-Century Africa avec Cambridge University Press (2016). Elle a aussi publié, entre autres, South Africa in World History (2009), un ouvrage faisant partie de la collection New Oxford World History.

Comment l’islam a-t-il affecté la vie des femmes en Afrique subsaharienne?

Les femmes musulmanes d’Afrique subsahariennes tendent à être associées à la burqa, au hijab, au voile et à l’isolement. Cette association dissimule une histoire complexe du genre et de l’islam aux échelles locale et régionale. En Afrique subsaharienne, l’islam remonte aux VIIIe et IXe siècles. Quand les commerçants musulmans traversaient le désert du Sahara et l’Océan Indien, diffusaient leur nouvelle religion. Peu à peu, au cours des siècles (par le commerce et les mariages mixtes), l’islam a été adoptée par les dirigeants des puissants royaumes du Ghana, du Mali et du Songhaï. L’islam a aussi remodelé les pratiques religieuses dans de grandes parties de l’Afrique du Nord-Est et a inspiré la langue et la culture swahili de la côte d’Afrique orientale en combinant les influences religieuses, culturelles, et linguistiques locales et externes. Cependant l’influence musulmane s’estompe avec la distance des grands centres urbains et commerciaux et l’islam a mis du temps à transformer la vie des femmes.

Une série de mouvements militants de renouveau islamique à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle ainsi que la conquête coloniale européenne un siècle plus tard, ont redéfini le climat religieux du continent. La diversité culturelle et religieuse qui en a résulté a augmenté avec les efforts de prosélytisme des missionnaires chrétiens qui ont commencé à déferler sur le continent au XIXe siècle. Dans toutes les régions, cependant, les traditions et pratiques religieuses et spirituelles antérieures ont continué à influencer islam et christianisme et la pratique des deux religions était aussi variée que les langues et les sociétés qui les ont précédées.

De plus, l’influence de l’islam pour les femmes était complexe. Contrairement aux anciennes religions africaines qui ont généralement reconnu et célébré l’influence spirituelle des femmes, les femmes musulmanes ont été exclues des rôles politiques et religieux officiels. Mais ni l’islam ni la domination coloniale n’ont endommagé l’expression exubérante de la religion par les femmes à travers des groupes locaux de possession d’esprit qui valorisent le pouvoir des femmes par rapport aux hommes et inspirent leurs pouvoirs en tant que guérisseuses, surtout en matière de fécondité féminine. En outre, bien que les femmes ne pouvaient hériter que de la moitié de ce que les hommes pouvaient hériter, la loi islamique assurait aux femmes des droits fondamentaux en matière de mariage, de divorce et de propriété. Les pratiques qui exigent que les femmes portent le voile ou qui exigent l’isolement des lieux publics varient selon les régions, mais sont rarement appliquées dans les zones rurales où les femmes doivent travailler à l’extérieur du foyer ; par nécessité, la plupart des femmes musulmanes restaient des agricultrices productives et menaient une vie active en tant que commerçantes, travaillant souvent à partir de leurs foyers et utilisant des enfants comme intermédiaires dans les espaces publics.

Alors que l’éducation occidentale se répandait sur le continent, certains lettrés musulmans défendaient l’éducation des filles comme faisant partie intégrante de l’islam, arguant que le Prophète lui-même croyait que les femmes instruites faisaient de meilleures épouses et mères. Le rythme et la nature de la scolarisation des filles musulmanes variaient beaucoup mais dans certaines régions, à mesure que l’indépendance s’approchait, la persistance du phénomène de réclusion fournissait une justification pour l’éducation des femmes, et ce afin de combler la demande en médecins, enseignantes et sages-femmes. À Zanzibar, au moment de la révolution de 1964, les filles devaient rejeter le purdah (isolement) et l’éducation universelle était considérée comme un aspect clé du programme de développement socialiste. Néanmoins, dans les années 60, après que la plupart des pays africains ont gagné leur indépendance, le nombre de filles instruites était plus bas dans les régions francophones, en partie à cause des politiques coloniales persistantes et en de nombreux endroits en raison d’une forte population musulmane opposée à l’éducation des filles. Ainsi dans le puissant roman Une si longue lettre de l’écrivaine sénégalaise Mariama Bȃ, des femmes musulmanes éduquées se sont heurtées à des dilemmes complexes, surtout lorsque leurs maris ont décidé de prendre une seconde épouse.

Au cours des années 1990, les mouvements de renouveau musulman au nord du Nigeria et au Niger (parallèlement à la montée des Églises chrétiennes pentecôtistes) ont proposé des visions de l’ordre moral musulman qui trouvaient les origines des problèmes économiques dans l’immoralité croissante, en particulier dans la sexualité féminine. Leurs dirigeants ont soutenu que seules des réformes morales généralisées pouvaient inverser les effets dévastateurs de la pauvreté et du sous-développement. Néanmoins, un petit nombre de femmes prospères ont été en mesure d’améliorer leur statut en exécutant le hajj, le pèlerinage annuel à La Mecque - menant à une nouvelle classe proéminente de marchandes. Elles sont revenues de La Mecque non seulement avec un sentiment de piété musulmane plus fort, mais aussi avec des symboles coûteux de la modernité tels que les magnétoscopes et les caméras vidéo.

Comment l’influence politique des femmes en Afrique se compare-t-elle à celle des États-Unis?

Lorsqu’elle a remporté la nomination démocrate au poste de présidente des États-Unis, Hillary Clinton est devenue la première femme d’un parti majeur à se présenter au plus haut poste de la nation, mais ce n’était pas la première femme candidate à ce poste. À la fin du XIXe siècle, deux femmes du Parti pour l’égalité des droits se sont présentées au poste de présidente des États-Unis ; il s’agissait de Victoria Claflin Woodhull en 1872 et de Belva Ann Bennett Lockwood en 1884 et 1888. C’est cependant seulement en 1964, qu’une femme, Margaret Chase Smith, a obtenu la nomination d’un parti majeur. Depuis, neuf femmes (dont Clinton) ont demandé la nomination pour les grands scrutins du parti. Néanmoins, des partis plus petits, comme le Parti de la Femme Américaine, le Parti Communiste, le Parti Socialiste des Travailleurs, le Parti Vert (qui a soutenu Jill Stein aux élections de 2016) et de minuscules groupes idiosyncratiques avaient déjà aligné plus de 30 femmes comme candidats à la présidence.

Cependant, la plupart des gens aux États-Unis (et en France) ne savent pas que ces statistiques ne supportent pas la comparaison avec de nombreux pays d’Afrique, un continent souvent associé à l’oppression des femmes. En effet, dans les comparaisons mondiales analysant les pourcentages de représentation des femmes dans les chambres basses ou dans les systèmes à chambre unique, les États-Unis se classent au 99e rang avec 19.2% et la France au 62e rang avec (26.2%), loin derrière le Rwanda, premier de ce classement avec 63,8% de femmes. Le Sénégal (42,7%), l’Afrique du Sud (42%), la Namibie (41.3%), le Mozambique (39.6%) et l’Éthiopie (38.8%) se retrouvent quant à eux tous dans le top 20 (1). Devant les États-Unis se trouvent 15 autres pays africains. Hillary Clinton, si elle avait été élue, aurait pris place à côté d’Ellen Johnson Sirleaf, économiste, banquière, militante politique de renommée internationale et présidente du Liberia depuis 2006. En 2011, Johnson Sirleaf est devenue la première femme politique à recevoir le Prix Nobel de la paix.

Née au Liberia, un pays fondé en 1847 par des esclaves libérés des États-Unis, Ellen Johnson Sirleaf s’est mariée à 17 ans et a eu 4 fils. Elle a étudié au Madison Business College dans le Wisconsin avant d’obtenir un diplôme en économie de l’Université du Colorado à Boulder et un master en administration publique de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard. De retour au Libéria, elle a été embauchée au Trésor et est devenue ministre adjointe des Finances dans le gouvernement du président William Tolbert, dont le parti représentait les élites descendantes des fondateurs du pays. Lorsqu’il a été renversé par Samuel Doe en 1980, Johnson Sirleaf est partie en exil au Kenya et aux États-Unis, travaillant dans les services bancaires internationaux, mais cette dernière est retournée au Libéria en 1985 et a fait campagne pour un siège au Sénat. De plus en plus critique contre la brutalité et la corruption de Doe, Johnson Sirleaf a été condamnée à 10 ans de prison, menacée de viol et de mort. Libérée après avoir purgé une peine partielle, elle a fui le pays une fois de plus et a déménagé à Washington, D.C., mais est restée connectée à la politique du Liberia pendant la guerre civile. Quand Johnson Sirleaf est retournée au Libéria pour une troisième fois en 1997, elle a fait campagne sans succès pour devenir présidente, mais s’est représentée en 2005. En faisant campagne agressivement et avec succès contre le célèbre footballeur international George Weah, elle a gagné le scrutin en promettant le développement économique ainsi que la fin de la guerre civile et de la corruption. Lors de son investiture, elle est devenue la première femme élue présidente sur le continent africain.

Ellen Johnson Sirleaf, la présidente du Liberia, durant une conférence de presse organisée par le FMI et la Banque Mondiale sur la question des conflits armés, le 8 octobre 2016, à Washnigton DC. Photo Zach Gibson / AFP

Le Liberia a été un cas unique en ayant une candidate féminine tout à fait qualifiée pour devenir présidente à la suite de la guerre civile. Néanmoins ce phénomène s’est produit aussi ailleurs en Afrique : les femmes se sont positionnées pour tirer parti des pressions locales et internationales visant à rédiger des constitutions démocratiques et organiser des élections multipartites au cours des années 1990 et au début du XXIe siècle. Dans la réorganisation post-conflit du gouvernement qui a eu lieu en Afrique du Sud, en Namibie, au Mozambique et en Ouganda en Sierra Leone, au Liberia et en Érythrée, les femmes se sont rassemblées pour faire en sorte que leurs voix ne soient pas réduites au silence dans les nouveaux systèmes politiques. Appliquée en Afrique du Sud après les élections historiques qui ont mis fin à l’apartheid en 1994, l’une de leurs principales tactiques (également utilisées en France) était d’exiger une plus grande parité entre les femmes et les hommes dans les organes législatifs en fixant des quotas pour la représentation des femmes au niveau national (et parfois régional et local). Ces demandes ont été particulièrement fructueuses dans les pays issus de troubles civils depuis le milieu des années 80, ouvrant des espaces aux militants politiques pour promouvoir des cadres politiques et constitutionnels reflétant les préoccupations contemporaines en matière de protection des droits des femmes.

Comment une perspective comparative peut-elle enrichir notre compréhension de l’histoire de l’Afrique du Sud?

Lorsque le sénateur Robert F. Kennedy, frère du défunt président John F. Kennedy, prononça un discours à l’Université du Cap en 1966, il commença ses remarques avec un résumé apparemment simple de l’histoire de l’Afrique du Sud. Il a ainsi évoqué un pays colonisé par les Hollandais au milieu du XVIIe siècle, puis pris par les Britanniques et enfin devenu indépendant. Il a aussi évoqué un pays où les premiers habitants furent d’abord soumis, mais avec qui les relations restaient un problème. Il a parlé d’un pays qui se définissait sur une frontière hostile, d’un pays qui importait autrefois des esclaves et qui luttait toujours pour effacer les dernières traces de cette ancienne servitude. À la surprise de son auditoire, il conclut: «Je me réfère bien sûr aux États-Unis d’Amérique».

En établissant ces liens communs entre les deux pays, Kennedy appelait les jeunes à lutter contre l’injustice et l’inhumanité à travers le monde, mais ses remarques contribuèrent aussi à placer l’Afrique du Sud dans le contexte plus large de l’histoire mondiale en la situant parmi les nombreux pays colonisés par les Européens qui parcoururent le globe à partir de la fin du XVe siècle à la recherche de nouvelles sources de richesse et de pouvoir. Comme l’a observé Kennedy, ces conquêtes ont laissé un héritage d’oppression, d’esclavage et d’inégalité raciale combiné à une exploitation intensive des ressources naturelles et des technologies modernes très développées. Comme au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans de nombreux pays d’Amérique latine, l’Afrique du Sud a attiré un nombre important de colons européens qui se sont emparés de vastes étendues de terres et approprié de précieuses ressources. En Afrique, ce récit sud-africain de dépossession était parallèle à l’histoire de la Rhodésie du Sud (aujourd’hui Zimbabwe), du Kenya et de l’Algérie. Kennedy a également évoqué la lutte pour éradiquer les derniers vestiges de la servitude. Bien que la lutte contre l’apartheid se poursuivait encore en 1966, l’Afrique du Sud, contrairement aux États-Unis, avait obtenu sa liberté par une combinaison de pressions politiques, diplomatiques et militaires plutôt que par une guerre anticoloniale à grande échelle.

Source: Libération Africa

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