Aller au contenu principal

Gloria Young

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
Back
August 28, 2012

Gloria Young

Présidente de l'Association panaméenne des femmes parlementaires et anciennes parlementaires et parlementaire panaméenne pour le deuxième mandat consécutif (1994-2004)

"Il n'existe pas de meilleure façon de développer son aisance en politique que la formation et le renforcement constant des capacités, tout particulièrement pour les femmes. Les hommes sont davantage enclins à s'exposer politiquement sans formation. Il est beaucoup plus difficile pour une femme de faire cette démarche ou de trouver le courage. Il faut donc l'y encourager. Il ne suffit pas de lui dire: "allons, du courage!", il faut lui expliquer et lui donner des raisons." – Gloria Young

iKNOW Politics: Comment votre carrière politique a-t-elle débuté et quelle a été votre source d'inspiration? Quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme?

C'est au Mexique, où j'étais inscrite à l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM) que je me suis engagée dans la vie politique. Dans les années 70, il était impossible de faire autrement. Quand on étudie les sciences politiques et la politique publique, on milite en outre bien évidemment à gauche. J'ai donc fait mes premières expériences de militante dans des groupes gravitant autour de la quatrième Internationale au Mexique. Je suis par la suite revenue au Panama où, à l'instigation d'un groupe de proches de Ruben Blades, notre vedette de la salsa, était en train de se constituer un mouvement politique novateur très intéressant. Le nom retenu pour ce groupe (Papa Egoro, 1991) veut dire "Mère-Terre" en langue indigène, ce qui révèle notre objectif fondamental. Nous avons donc mis les questions écologiques tout en haut de notre liste de priorités.

Nous avons créé, au sein du mouvement Papa Egoro, une branche féminine qui a fini par devenir un parti dans le parti. Nous étions extrêmement bien organisées et nous avions énormément d'énergie car certaines des féministes les plus connues de l'époque militaient dans nos rangs. Je me suis inscrite car je ne croyais pas à la politique traditionnelle. Ruben Blades m'a dit: "fais dans le parti ce que tu ferais à la maison". Cette formule m'a frappée et je me suis demandé: "qu'est-ce que je ferais si j'étais à la maison?" Ma réponse à cette question était: "tout ce qui est en mon pouvoir pour faire avancer la lutte pour l'égalité". C'est ainsi que nous avons créé le Secrétariat national des femmes de Mère-Terre.

A l'approche des élections nationales, je n'avais pas la moindre intention de me présenter. Mon souhait était de travailler directement avec les femmes à l'échelon national et de renforcer le Secrétariat national des femmes. Mais les autres femmes, qui s'étaient mises d'accord, sont venues me trouver pour me dire: "Nous voulons que tu te présentes au Parlement". Je leur ai répondu que je ne croyais pas à ce genre de choses, à la politique électorale officielle, que je trouvais malhonnête et extrêmement coûteuse en frais de campagne. Elles ont fini par me convaincre en avançant l'argument qu'il fallait bien qu'une représentante du mouvement des femmes participe. Nous nous sommes présentées et avons remporté l'un des districts électoraux les plus importants du pays (1994).

Au Panama, il est possible d'être élu de trois façons différentes: au scrutin majoritaire ou à la proportionnelle sur la base d'un quotient, ou encore des "restes". Au cours de ces élections, 69 parlementaires ont été élus, dont sept grâce au quotient. Je suis arrivée au Parlement avec un programme très précis: une loi contre la violence domestique, une loi sur l'égalité des chances, une loi contre le harcèlement sexuel et une loi sur l'élimination du langage sexiste dans les ordres du jour de l'Assemblée législative, mais aussi dans les manuels et les textes scolaires à l'échelon national.

Ce programme était considéré comme extrêmement audacieux. Nous avons toutefois réussi à faire adopter en 1999 la loi n°4 sur l'égalité des chances pour les femmes. Ce programme nous a permis de nous allier à différents secteurs du mouvement des femmes. Contrairement à ce que d'autres expériences pourraient donner à penser, les mouvements panaméens n'étaient pas en avance sur le Parlement dans ce domaine. Ce sont en fait les femmes parlementaires qui ont pris l'initiative, dont d'autres femmes qui n'étaient pas forcément engagées en faveur de la parité. Les parlementaires hommes ont commencé à prêter davantage d'attention aux questions de genre, au point que nos sessions s'ouvraient sur une salutation spécialement destinée aux femmes: "Bonjour Mesdames les parlementaires". Un jour, il faudra que nous relations cette expérience. J'ai été réélue pour un second mandat. Je siège depuis dix ans au parlement (1994-2004).

Je me rappelle très bien l'époque où une femme a remporté le Prix Rogelio Sinán (l'un de nos écrivains les plus avant-gardistes). Il s'agissait d'Elsie Alvarado de Ricord, une poétesse magnifique qui présidait à l'époque l'Académie panaméenne de la langue. A l'instar d'autres prix décernés dans le secteur artistique, ce prix était le fruit de notre travail parlementaire. Nous avions animé l'Assemblée d'un souffle totalement neuf. Pour la première fois, l'Assemblée panaméenne avait accédé à la demande de la Commission de la condition de la femme et publié une revue (intitulée: Ventanas del Parlamento). Cette revue, qui présentait les avancées réalisées par le mouvement des femmes dans le pays, ainsi que divers aspects du mouvement universitaire, comportait aussi des essais, des articles de fond, etc.

Au sein de la Commission, nous avons instauré l'habitude (malheureusement tombée en désuétude) de soumettre toutes les initiatives à l'avis des organisations de femmes de tous les secteurs du pays. C'était une dynamique sans précédent car, même si les commissions permanentes de l'Assemblée sont obligées de consulter les secteurs concernés par les projets de loi, la majeure partie des discussions avait lieu à huis clos. La Commission de la condition de la femme a servi d'exemple. De surcroît, nous avons réussi à faire en sorte que cette participation gagne l'Assemblée elle-même et, les séances de travail étant transmises à la TV et à la radio, la nation entière entendait la voix des femmes. La radio a eu un poids particulier. On montait dans un taxi et on finissait par discuter avec le chauffeur des femmes qui parlaient de ci et de ça, car tout le monde nous entendait parler à la radio. Lorsque je marchais en ville, les gens m'interpelaient: "Hé, Madame la député, j'ai entendu Mme une telle (à l'Assemblée) et elle a des choses intéressantes à dire!” 

iKNOW Politics: Pourriez-vous nous parler des obstacles auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière politique, en particulier pour ce qui est de vos collègues masculins?

Il n'en a certes pas manqué, à commencer par la vie à l'intérieur du parti. Militer dans un parti signifie lutter en permanence pour faire entendre sa voix dans un monde d'hommes. Plusieurs femmes ont été présidentes de partis: la première a été Berta Torrijos de Arosemena, Présidente honoraire du Parti révolutionnaire démocratique (PRD), fondé par son frère, le Général Omar Torrijos.  Elle a pris sa présidence au sérieux et entrepris de réformer en profondeur le PRD avant que la réforme ne soit retournée contre elle et qu'elle ne doive partir. La seconde femme Présidente de parti (au terme d'élections) s'appelle Mireya Moscoso, du Parti Arnulfiste, ensuite élue à la Présidence du pays. J'ai été nommée par mes pairs à la tête du Parti Papa Egoro contre Ruben Blades. A mon poste de Présidente, j'ai dû mener à bien de haute lutte, et sans l'appui de son fondateur, la reconstruction et l'expansion du parti à l'échelon national. Je me suis rendue compte de ce que signifie être une femme à la tête d'un parti à structure patriarcale, en dépit du fait que le Secrétariat des femmes était plus dynamique que jamais. Nous avons toutefois réussi, dans un pays comptant cinq districts autochtones disposant de leur propre territoire et de leur administration, à obtenir la participation d'une représentante autochtone au Comité directeur.

En fin de compte, Ruben Blades a été l'instigateur d'un mouvement destiné à m'évincer du parti et à prendre ma place. J'ai effectivement été évincée, mais sans qu'il réussisse à me remplacer, ce dont je suis fière!

iKNOW Politics: Pourriez-vous nous parler de votre expérience en matière de formation et de développement des capacités des femmes? Quels enseignements en avez-vous tirés et quelles difficultés avez-vous rencontrées?

Il n'existe pas de meilleure façon de développer son aisance en politique que la formation et le renforcement constant des capacités, tout particulièrement pour les femmes. Les hommes sont davantage enclins à s'exposer politiquement sans formation. Il est beaucoup plus difficile à une femme de faire cette démarche ou de trouver le courage. Il faut donc l'y encourager. Il ne suffit pas de lui dire: "allons, du courage!", il faut lui expliquer et lui donner des raisons. Il faut acquérir des outils et savoir les utiliser, même si on échoue à différentes reprises. Nous disposions, au Secrétariat de la condition de la femme du mouvement Papa Egoro, d'une unité spécialement consacrée à la formation. Vous n'avez pas idée de tout ce que nous avons réussi à y faire. Par la suite, avec le parti de Mireya Moscoso (plus ancien et plus traditionnel) nous avons également mobilisé du soutien en faveur de la formation des femmes et de la création d'un secrétariat national de la femme.

Nous sommes toutefois allées plus loin. Nous avons forgé une alliance stratégique rassemblant les femmes de différents partis politiques, baptisée du nom de Forum des femmes membres de partis politiques. Nous y avons uni les femmes responsables politiques par un certain état d'esprit, quelle que soit leur idéologie ou leur couleur politique. Nous avons réussi à obtenir que figure dans la législation électorale l'obligation de consacrer exclusivement à la formation des femmes 10 pour cent des 30 pour cent de subventions électorales versées aux partis.

iKNOW Politics: Au Panama, il existe non seulement le Forum, mais aussi l'Association panaméenne des femmes parlementaires et anciennes parlementaires (APARLEXPA). Vous avez été la secrétaire exécutive de ces deux groupes à des époques différentes. A quoi devez-vous ces avancées au Panama? Que pourrions-nous faire pour promouvoir des initiatives comparables dans la région? 

En fait c'est moi qui ai fondé les deux groupes. Le Forum existe désormais depuis 16 ans, et l'Association depuis six. Ce sont des espaces de travail commun pour les responsables politiques panaméennes, qui ont permis aux femmes de prendre confiance en elles-mêmes et d'acquérir davantage de poids dans les partis. La composante de formation du Forum est extrêmement développée, à tel point qu'il est internationalement reconnu par des organisations finançant d'ambitieux programmes de formation pour les femmes candidates. D'autres pays d'Amérique centrale et des Caraïbes nous ont imitées. Cinq femmes représentant les différents partis se sont rendues à l'étranger pour participer à la mobilisation des femmes du Salvador, du Honduras, du Guatemala et de la République dominicaine.

Pour sa part, l'Association est une expérience qui a débuté au Salvador à l'initiative de Gloria Salguero, une collègue merveilleuse, à laquelle je m'identifie beaucoup. Première femme Présidente du Congrès, elle a ensuite été ministre sans portefeuille du gouvernement d'Elías Antonio Saca (2004-2009). Elle a de toute évidence fait une carrière splendide au Congrès. A la différence du Forum, l'Association rassemble des femmes parlementaires, qui offrent donc un bon exemple de ce que signifie la victoire aux élections dans chaque pays. L'Association a pour but de former les femmes désireuses de se présenter aux élections, qu'elles soient nationales ou locales. Nous avons élaboré une méthode comportant un volet académique de base, tout en mettant l'accent sur la gestion d'outils essentiels. Nous avons aidé beaucoup de femmes à surmonter leur timidité, à trouver des financements et à avoir le courage de se confronter aux hommes de leur parti. Ces femmes ont commencé à remporter des élections et c'est la raison pour laquelle le soutien de femmes ayant déjà fait campagne ou été élues est si essentiel. Il faut qu'elles fassent part de leur expérience aux femmes qui se lancent tout juste et qu'elles contribuent à partager le capital politique qu'elles ont accumulé avec celles qui en ont désormais besoin.

iKNOW Politics: Quel rôle les réseaux ont-ils joué dans votre carrière politique? Quels sont leurs avantages?

Je suis une « adepte » des réseaux. L'un des volets de notre formation concerne la maîtrise des technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour faire connaître leurs propositions, il faut que les femmes, y compris celles qui vivent dans les zones plus rurales du pays, sachent utiliser et maîtriser les TIC.

iKNOW Politics a été un outil essentiel pour les femmes de l'APARLEXPA et du Forum, ainsi que pour toutes les femmes qui ont des aspirations et souhaitent améliorer leur formation. Ce sont avant tout les espaces de débat virtuels qui se sont révélés précieux. Vous ne vous rendez sans doute pas compte de toute l'aide qu'iKNOW Politics apporte aux femmes responsables politiques. Il faut étendre les réseaux à un nombre nettement supérieur de femmes, car elles sont actuellement très peu nombreuses à y avoir accès.

iKNOW Politics: Quelles sont vos priorités futures pour continuer le précieux travail que vous avez jusqu'à présent accompli?

J'ai l'intention de faire évoluer le Conseil d'administration d'APARLEXPA. C'est très important à ce stade, où le nombre de nos députées à l'Assemblée nationale a diminué après les élections (2009). L'idée serait que le poste de Présidente de l'Association aille à l'une des deux femmes qui ont été réélues pour le mandat actuel. La femme ayant reçu le plus grand nombre de voix du pays sera à la barre, épaulée par d'excellentes femmes parlementaires et anciennes parlementaires. Mon rôle à ce Conseil sera consultatif.

Mon principal objectif à ce stade est de devenir la première directrice nationale de l'Institut national pour la femme, instauré par la loi en décembre 2008. La structure de cet institut diffère complètement de celles des autres instituts nationaux. La branche exécutive n'y nomme pas la directrice, mais doit la choisir sur une liste de candidates devant posséder certaines qualifications, présélectionnées à la suite d'une mise en compétition ouverte, large et démocratique. Parmi ces qualifications figure l'expérience acquise en matière de développement des femmes et d'égalité des sexes, ainsi que des compétences professionnelles avérées. Posséder une expérience des mouvements sociaux et politiques du pays est un plus apprécié. Le mécanisme de présélection des candidates (le Conseil national des femmes), créé en 1994 et présidé par le ministre du développement social de notre pays, constitue une interface neutre entre le gouvernement et les organisations de la société civile. Sept organisations de la société civile présentent des candidates, dont cinq m'ont manifesté leur soutien, ce dont je suis particulièrement fière.

 

 

 

Date de l'entretien
Région
Présidente de l'Association panaméenne des femmes parlementaires et anciennes parlementaires et parlementaire panaméenne pour le deuxième mandat consécutif (1994-2004)

"Il n'existe pas de meilleure façon de développer son aisance en politique que la formation et le renforcement constant des capacités, tout particulièrement pour les femmes. Les hommes sont davantage enclins à s'exposer politiquement sans formation. Il est beaucoup plus difficile pour une femme de faire cette démarche ou de trouver le courage. Il faut donc l'y encourager. Il ne suffit pas de lui dire: "allons, du courage!", il faut lui expliquer et lui donner des raisons." – Gloria Young

iKNOW Politics: Comment votre carrière politique a-t-elle débuté et quelle a été votre source d'inspiration? Quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme?

C'est au Mexique, où j'étais inscrite à l'Université nationale autonome du Mexique (UNAM) que je me suis engagée dans la vie politique. Dans les années 70, il était impossible de faire autrement. Quand on étudie les sciences politiques et la politique publique, on milite en outre bien évidemment à gauche. J'ai donc fait mes premières expériences de militante dans des groupes gravitant autour de la quatrième Internationale au Mexique. Je suis par la suite revenue au Panama où, à l'instigation d'un groupe de proches de Ruben Blades, notre vedette de la salsa, était en train de se constituer un mouvement politique novateur très intéressant. Le nom retenu pour ce groupe (Papa Egoro, 1991) veut dire "Mère-Terre" en langue indigène, ce qui révèle notre objectif fondamental. Nous avons donc mis les questions écologiques tout en haut de notre liste de priorités.

Nous avons créé, au sein du mouvement Papa Egoro, une branche féminine qui a fini par devenir un parti dans le parti. Nous étions extrêmement bien organisées et nous avions énormément d'énergie car certaines des féministes les plus connues de l'époque militaient dans nos rangs. Je me suis inscrite car je ne croyais pas à la politique traditionnelle. Ruben Blades m'a dit: "fais dans le parti ce que tu ferais à la maison". Cette formule m'a frappée et je me suis demandé: "qu'est-ce que je ferais si j'étais à la maison?" Ma réponse à cette question était: "tout ce qui est en mon pouvoir pour faire avancer la lutte pour l'égalité". C'est ainsi que nous avons créé le Secrétariat national des femmes de Mère-Terre.

A l'approche des élections nationales, je n'avais pas la moindre intention de me présenter. Mon souhait était de travailler directement avec les femmes à l'échelon national et de renforcer le Secrétariat national des femmes. Mais les autres femmes, qui s'étaient mises d'accord, sont venues me trouver pour me dire: "Nous voulons que tu te présentes au Parlement". Je leur ai répondu que je ne croyais pas à ce genre de choses, à la politique électorale officielle, que je trouvais malhonnête et extrêmement coûteuse en frais de campagne. Elles ont fini par me convaincre en avançant l'argument qu'il fallait bien qu'une représentante du mouvement des femmes participe. Nous nous sommes présentées et avons remporté l'un des districts électoraux les plus importants du pays (1994).

Au Panama, il est possible d'être élu de trois façons différentes: au scrutin majoritaire ou à la proportionnelle sur la base d'un quotient, ou encore des "restes". Au cours de ces élections, 69 parlementaires ont été élus, dont sept grâce au quotient. Je suis arrivée au Parlement avec un programme très précis: une loi contre la violence domestique, une loi sur l'égalité des chances, une loi contre le harcèlement sexuel et une loi sur l'élimination du langage sexiste dans les ordres du jour de l'Assemblée législative, mais aussi dans les manuels et les textes scolaires à l'échelon national.

Ce programme était considéré comme extrêmement audacieux. Nous avons toutefois réussi à faire adopter en 1999 la loi n°4 sur l'égalité des chances pour les femmes. Ce programme nous a permis de nous allier à différents secteurs du mouvement des femmes. Contrairement à ce que d'autres expériences pourraient donner à penser, les mouvements panaméens n'étaient pas en avance sur le Parlement dans ce domaine. Ce sont en fait les femmes parlementaires qui ont pris l'initiative, dont d'autres femmes qui n'étaient pas forcément engagées en faveur de la parité. Les parlementaires hommes ont commencé à prêter davantage d'attention aux questions de genre, au point que nos sessions s'ouvraient sur une salutation spécialement destinée aux femmes: "Bonjour Mesdames les parlementaires". Un jour, il faudra que nous relations cette expérience. J'ai été réélue pour un second mandat. Je siège depuis dix ans au parlement (1994-2004).

Je me rappelle très bien l'époque où une femme a remporté le Prix Rogelio Sinán (l'un de nos écrivains les plus avant-gardistes). Il s'agissait d'Elsie Alvarado de Ricord, une poétesse magnifique qui présidait à l'époque l'Académie panaméenne de la langue. A l'instar d'autres prix décernés dans le secteur artistique, ce prix était le fruit de notre travail parlementaire. Nous avions animé l'Assemblée d'un souffle totalement neuf. Pour la première fois, l'Assemblée panaméenne avait accédé à la demande de la Commission de la condition de la femme et publié une revue (intitulée: Ventanas del Parlamento). Cette revue, qui présentait les avancées réalisées par le mouvement des femmes dans le pays, ainsi que divers aspects du mouvement universitaire, comportait aussi des essais, des articles de fond, etc.

Au sein de la Commission, nous avons instauré l'habitude (malheureusement tombée en désuétude) de soumettre toutes les initiatives à l'avis des organisations de femmes de tous les secteurs du pays. C'était une dynamique sans précédent car, même si les commissions permanentes de l'Assemblée sont obligées de consulter les secteurs concernés par les projets de loi, la majeure partie des discussions avait lieu à huis clos. La Commission de la condition de la femme a servi d'exemple. De surcroît, nous avons réussi à faire en sorte que cette participation gagne l'Assemblée elle-même et, les séances de travail étant transmises à la TV et à la radio, la nation entière entendait la voix des femmes. La radio a eu un poids particulier. On montait dans un taxi et on finissait par discuter avec le chauffeur des femmes qui parlaient de ci et de ça, car tout le monde nous entendait parler à la radio. Lorsque je marchais en ville, les gens m'interpelaient: "Hé, Madame la député, j'ai entendu Mme une telle (à l'Assemblée) et elle a des choses intéressantes à dire!” 

iKNOW Politics: Pourriez-vous nous parler des obstacles auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière politique, en particulier pour ce qui est de vos collègues masculins?

Il n'en a certes pas manqué, à commencer par la vie à l'intérieur du parti. Militer dans un parti signifie lutter en permanence pour faire entendre sa voix dans un monde d'hommes. Plusieurs femmes ont été présidentes de partis: la première a été Berta Torrijos de Arosemena, Présidente honoraire du Parti révolutionnaire démocratique (PRD), fondé par son frère, le Général Omar Torrijos.  Elle a pris sa présidence au sérieux et entrepris de réformer en profondeur le PRD avant que la réforme ne soit retournée contre elle et qu'elle ne doive partir. La seconde femme Présidente de parti (au terme d'élections) s'appelle Mireya Moscoso, du Parti Arnulfiste, ensuite élue à la Présidence du pays. J'ai été nommée par mes pairs à la tête du Parti Papa Egoro contre Ruben Blades. A mon poste de Présidente, j'ai dû mener à bien de haute lutte, et sans l'appui de son fondateur, la reconstruction et l'expansion du parti à l'échelon national. Je me suis rendue compte de ce que signifie être une femme à la tête d'un parti à structure patriarcale, en dépit du fait que le Secrétariat des femmes était plus dynamique que jamais. Nous avons toutefois réussi, dans un pays comptant cinq districts autochtones disposant de leur propre territoire et de leur administration, à obtenir la participation d'une représentante autochtone au Comité directeur.

En fin de compte, Ruben Blades a été l'instigateur d'un mouvement destiné à m'évincer du parti et à prendre ma place. J'ai effectivement été évincée, mais sans qu'il réussisse à me remplacer, ce dont je suis fière!

iKNOW Politics: Pourriez-vous nous parler de votre expérience en matière de formation et de développement des capacités des femmes? Quels enseignements en avez-vous tirés et quelles difficultés avez-vous rencontrées?

Il n'existe pas de meilleure façon de développer son aisance en politique que la formation et le renforcement constant des capacités, tout particulièrement pour les femmes. Les hommes sont davantage enclins à s'exposer politiquement sans formation. Il est beaucoup plus difficile à une femme de faire cette démarche ou de trouver le courage. Il faut donc l'y encourager. Il ne suffit pas de lui dire: "allons, du courage!", il faut lui expliquer et lui donner des raisons. Il faut acquérir des outils et savoir les utiliser, même si on échoue à différentes reprises. Nous disposions, au Secrétariat de la condition de la femme du mouvement Papa Egoro, d'une unité spécialement consacrée à la formation. Vous n'avez pas idée de tout ce que nous avons réussi à y faire. Par la suite, avec le parti de Mireya Moscoso (plus ancien et plus traditionnel) nous avons également mobilisé du soutien en faveur de la formation des femmes et de la création d'un secrétariat national de la femme.

Nous sommes toutefois allées plus loin. Nous avons forgé une alliance stratégique rassemblant les femmes de différents partis politiques, baptisée du nom de Forum des femmes membres de partis politiques. Nous y avons uni les femmes responsables politiques par un certain état d'esprit, quelle que soit leur idéologie ou leur couleur politique. Nous avons réussi à obtenir que figure dans la législation électorale l'obligation de consacrer exclusivement à la formation des femmes 10 pour cent des 30 pour cent de subventions électorales versées aux partis.

iKNOW Politics: Au Panama, il existe non seulement le Forum, mais aussi l'Association panaméenne des femmes parlementaires et anciennes parlementaires (APARLEXPA). Vous avez été la secrétaire exécutive de ces deux groupes à des époques différentes. A quoi devez-vous ces avancées au Panama? Que pourrions-nous faire pour promouvoir des initiatives comparables dans la région? 

En fait c'est moi qui ai fondé les deux groupes. Le Forum existe désormais depuis 16 ans, et l'Association depuis six. Ce sont des espaces de travail commun pour les responsables politiques panaméennes, qui ont permis aux femmes de prendre confiance en elles-mêmes et d'acquérir davantage de poids dans les partis. La composante de formation du Forum est extrêmement développée, à tel point qu'il est internationalement reconnu par des organisations finançant d'ambitieux programmes de formation pour les femmes candidates. D'autres pays d'Amérique centrale et des Caraïbes nous ont imitées. Cinq femmes représentant les différents partis se sont rendues à l'étranger pour participer à la mobilisation des femmes du Salvador, du Honduras, du Guatemala et de la République dominicaine.

Pour sa part, l'Association est une expérience qui a débuté au Salvador à l'initiative de Gloria Salguero, une collègue merveilleuse, à laquelle je m'identifie beaucoup. Première femme Présidente du Congrès, elle a ensuite été ministre sans portefeuille du gouvernement d'Elías Antonio Saca (2004-2009). Elle a de toute évidence fait une carrière splendide au Congrès. A la différence du Forum, l'Association rassemble des femmes parlementaires, qui offrent donc un bon exemple de ce que signifie la victoire aux élections dans chaque pays. L'Association a pour but de former les femmes désireuses de se présenter aux élections, qu'elles soient nationales ou locales. Nous avons élaboré une méthode comportant un volet académique de base, tout en mettant l'accent sur la gestion d'outils essentiels. Nous avons aidé beaucoup de femmes à surmonter leur timidité, à trouver des financements et à avoir le courage de se confronter aux hommes de leur parti. Ces femmes ont commencé à remporter des élections et c'est la raison pour laquelle le soutien de femmes ayant déjà fait campagne ou été élues est si essentiel. Il faut qu'elles fassent part de leur expérience aux femmes qui se lancent tout juste et qu'elles contribuent à partager le capital politique qu'elles ont accumulé avec celles qui en ont désormais besoin.

iKNOW Politics: Quel rôle les réseaux ont-ils joué dans votre carrière politique? Quels sont leurs avantages?

Je suis une « adepte » des réseaux. L'un des volets de notre formation concerne la maîtrise des technologies de l'information et de la communication (TIC). Pour faire connaître leurs propositions, il faut que les femmes, y compris celles qui vivent dans les zones plus rurales du pays, sachent utiliser et maîtriser les TIC.

iKNOW Politics a été un outil essentiel pour les femmes de l'APARLEXPA et du Forum, ainsi que pour toutes les femmes qui ont des aspirations et souhaitent améliorer leur formation. Ce sont avant tout les espaces de débat virtuels qui se sont révélés précieux. Vous ne vous rendez sans doute pas compte de toute l'aide qu'iKNOW Politics apporte aux femmes responsables politiques. Il faut étendre les réseaux à un nombre nettement supérieur de femmes, car elles sont actuellement très peu nombreuses à y avoir accès.

iKNOW Politics: Quelles sont vos priorités futures pour continuer le précieux travail que vous avez jusqu'à présent accompli?

J'ai l'intention de faire évoluer le Conseil d'administration d'APARLEXPA. C'est très important à ce stade, où le nombre de nos députées à l'Assemblée nationale a diminué après les élections (2009). L'idée serait que le poste de Présidente de l'Association aille à l'une des deux femmes qui ont été réélues pour le mandat actuel. La femme ayant reçu le plus grand nombre de voix du pays sera à la barre, épaulée par d'excellentes femmes parlementaires et anciennes parlementaires. Mon rôle à ce Conseil sera consultatif.

Mon principal objectif à ce stade est de devenir la première directrice nationale de l'Institut national pour la femme, instauré par la loi en décembre 2008. La structure de cet institut diffère complètement de celles des autres instituts nationaux. La branche exécutive n'y nomme pas la directrice, mais doit la choisir sur une liste de candidates devant posséder certaines qualifications, présélectionnées à la suite d'une mise en compétition ouverte, large et démocratique. Parmi ces qualifications figure l'expérience acquise en matière de développement des femmes et d'égalité des sexes, ainsi que des compétences professionnelles avérées. Posséder une expérience des mouvements sociaux et politiques du pays est un plus apprécié. Le mécanisme de présélection des candidates (le Conseil national des femmes), créé en 1994 et présidé par le ministre du développement social de notre pays, constitue une interface neutre entre le gouvernement et les organisations de la société civile. Sept organisations de la société civile présentent des candidates, dont cinq m'ont manifesté leur soutien, ce dont je suis particulièrement fière.

 

 

 

Date de l'entretien
Région
Présidente de l'Association panaméenne des femmes parlementaires et anciennes parlementaires et parlementaire panaméenne pour le deuxième mandat consécutif (1994-2004)