Karla Rubilar
"La politique, c’est un travail dur; il faut y consacrer de nombreuses heures, sacrifier souvent son repos, passer beaucoup de temps loin de sa famille. Mais c’est aussi très gratifiant: aider les autres et contribuer à améliorer la qualité de leur vie, ça n’a pas de prix." - Karla Rubilar
iKNOW Politics: Mme Rubilar, merci d’avoir accepté cet entretien avec iKNOW Politics. Pour commencer, pourriez-vous parler un peu, pour nos lectrices, de votre vie personnelle et de votre itinéraire?
J’ai passé mon enfance dans la commune de La Reina, où je vivais encore il y a quelques années. Ma scolarité a commencé dans deux écoles primaires, le Colegio Isabel La Católica et Madres Escolapias; mes études secondaires, je les ai faites au Colegio De La Salle. Ces trois écoles sont à La Reina. Lorsque j’ai décidé d’aller à l’université, j’hésitais entre des études d’ingénieur et de médecine. Finalement, la tradition familiale l’a emporté : mes parents sont tous les deux médecins. J’ai fait mes études à l’Université de Santiago du Chili et, à la faculté de médecine de l’université (qui est traditionnelle, publique et liée à la gauche chilienne), je faisais partie de la deuxième génération : il nous est donc revenu la tâche difficile de construire ce qui est actuellement l’une des meilleures écoles de médecine du pays.
Ce furent des années dures, mais heureuses tout de même. Pendant que j’étais à l’université, je suis tombée enceinte et mon fils Patricio (Patito) est né alors que j’étais encore étudiante. Toutes ces années, je travaillais, j’étudiais et j’élevais Patito. Pendant mes études à l’université, j’ai eu la chance de travailler dans différents hôpitaux et centres de soins primaires; j’ai donc été en contact direct avec la réalité des soins de santé au Chili. Lorsque le moment est venu de choisir ma spécialité, j’ai pensé à la pédiatrie mais, en voyant la douleur d’une mère qui avait perdu un enfant, je me suis rendu compte que c’était trop pour moi. Plus tard, j’ai pensé à la gynécologie mais je me suis fracturé le poignet dans un accident de voiture et, à cause de cette fracture, je n’ai pas pu continuer. J’ai donc opté alors pour ce que je connaissais déjà, c’est-à-dire les soins de santé primaires. Plus tard, j’ai fait un Master en santé publique à l’Université du Chili et je fais actuellement un MBA à l’Université nationale Andrés Bello.
iKNOW Politics: Nous savons que vous venez d’une famille qui a une tradition politique. Avez-vous grandi dans les débats et les discussions politiques ? Quand vous êtes-vous intéressée à la politique ou avez-vous envisagé pour la première fois d’avoir une activité politique?
A la maison, les débats politiques étaient constants. Ma mère a été maire, plusieurs de mes oncles et tantes sont hauts fonctionnaires et certains d’entre eux ont été membres du gouvernement. J’avais la politique dans le sang; certains disent que c’est génétique. Je ne peux pas m’en désintéresser. Je pense que mon intérêt pour la politique a commencé quand je suis allée à l’université et que je me suis mise à travailler; c’est là que j’ai commencé à voir le Chili qui nous échappe souvent, les problèmes qu’ont les gens et la difficulté d’obtenir de bons résultats avec des politiques publiques conçues derrière un bureau. Dès que j’ai travaillé, je me suis beaucoup occupée de politique, dans les groupes de jeunesse du Parti de rénovation nationale.
Plus tard, j’ai eu la chance de me présenter au Congrès et j’ai été élue pour représenter une circonscription que je connais très bien. J’ai mis du temps à me décider à me présenter aux élections; j’avais toujours travaillé en politique ou avec des hommes et des femmes politiques mais je n’avais jamais envisagé d’être candidate. Pourtant, en 2005, avec le soutien de ma famille, d’amis et de personnalités politiques importantes du Parti de rénovation nationale, j’ai finalement pris ma décision. Pour moi, la politique est un moyen d’améliorer la qualité de la vie des gens et d’avancer des idées sur la façon d’aider les Chiliens à surmonter les problèmes qu’ils rencontrent.
iKNOW Politics: Vous avez été soutenue par votre famille et vos amis?
Le soutien de ma mère a été capital, bien qu’elle soit membre de l’UDI, une alliée du Parti de rénovation nationale. Sa gestion de maire lui avait valu l’affection et la confiance des gens et ils les ont reportées sur moi. Mes amis aussi m’ont beaucoup soutenue, en particulier mon compagnon actuel, conseiller général du Parti de rénovation nationale, qui a été le pilier de ma campagne et à qui je dois en grande partie mon élection.
iKNOW Politics: Vous êtes en train de créer un précédent important dans votre pays et dans la région – vous êtes une femme, vous avez eu une carrière professionnelle avant de vous présenter aux élections et vous êtes la plus jeune des membres féminins du Congrès chilien. Pensez-vous qu’il y a eu un changement réel dans les groupes politiques de jeunes au Chili depuis votre élection ? Si oui, quels ont été ces changements et pourquoi?
Je pense qu’il serait un peu prétentieux de dire que, parce qu’on est jeune, les choses vont changer dans le pays. Il est important de signaler qu’il y a au Congrès aujourd’hui des hommes et des femmes qui ont toujours eu des liens, sous des formes diverses, avec les jeunes des groupes politiques. Ils savent ce que pensent ces groupes et ils connaissent bien les problèmes et les difficultés qu’ils rencontrent. C’est peut-être ce qui a amené ce changement dans la manière dont les hommes et femmes politiques considèrent les jeunes militants, surtout au niveau de l’Exécutif, qui nous écoute et nous prend beaucoup plus au sérieux qu’auparavant.
Mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Pendant de nombreuses années, il n’y a pas eu au Chili de politiques publiques axées sur les jeunes. Quelques progrès seulement ont été réalisés et l’on n’a jamais trop tenu à faire bouger les choses. Pourtant, il est hors de doute que les jeunes sont maintenant à l’ordre du jour politique, du moins dans mon parti. Au Chili, l’inscription sur les listes électorales n’est pas facultative, mais obligatoire. Et c’est précisément cela, et le manque de bonne politique publique, qui a dissuadé les jeunes de s’inscrire; leur participation est très faible. Le corps des électeurs éligibles « vieillit » et, à long terme, il s’appauvrit...
C’est pourquoi les responsables politiques ont été obligés d’inscrire les jeunes à leur ordre du jour, de les prendre en considération, de les écouter jusqu’au bout. Pour la même raison, nous avons à la Chambre une Commission spéciale de la jeunesse, que je préside. Cette commission analyse les projets de loi intéressant les jeunes.
iKNOW Politics: Que pouvez-vous nous dire de l’engagement des jeunes en politique au Chili – et dans la région ? A votre avis, que peut-on faire pour que les jeunes femmes s’intéressent davantage à la politique et s’y engagent plus?
Depuis quelques années, les jeunes s’engagent plus. Mais comme je le disais il y a un instant, c’est encore une question en suspens. Bien qu’il y ait plus d’intérêt chez les femmes, axer les objectifs sur la question du genre est, à mon avis, une erreur. L’intégration et l’intérêt devraient être affaire de groupe d’âge. Autrement dit, il faudrait s’adresser aux jeunes, aux adultes ou aux personnes âgées, et pas aux hommes ou aux femmes. Je ne suis pas favorable aux lois relatives aux quotas – je l’ai toujours dit.
Au contraire, je crois que nous devons tendre à une législation qui établisse un équilibre entre la vie de famille et la vie professionnelle, ce qui permettrait à de très nombreuses femmes d’occuper des postes de responsabilité ailleurs qu’en politique. Dans les pays qui appliquent ce genre de lois, dans ce cas particulier, je pense qu’elles devraient aussi servir à assurer la présence de jeunes dans le système politique, peut-être en encourageant les partis, par des incitations financières, à inclure des jeunes sur leurs listes de candidats, parce qu’il est manifeste que les jeunes ont moins de chances d’être élus et qu’il est relativement difficile d’inclure des jeunes parmi ses candidats.
iKNOW Politics: Depuis que vous êtes membre du Congrès, vous avez continué à travailler sur des questions relatives aux jeunes. Quels sont vos projets à court et à long terme pour les jeunes Chiliens, et en particulier pour les femmes susceptibles d’exercer des responsabilités et les futures dirigeantes?
A la chambre, j’ai œuvré pour la création d’une commission spéciale de la jeunesse qui restera en place pendant toute la durée du gouvernement actuel (2006-2010). De plus, la Présidente m’a demandé de faire partie de la Commission présidentielle consultative pour les jeunes, où l’on traite de diverses questions intéressant les jeunes. L’un des plus importants projets, à mon avis, qui doivent être mis en œuvre au Chili consiste à rendre automatique l’inscription sur les listes électorales, le vote facultatif et à autoriser le vote électronique. Ainsi les jeunes ne se sentiront plus contraints de voter; ils pourront voter librement s’ils le désirent. Les responsables politiques vont devoir tenir compte des jeunes, leur offrir des chances et avancer des idées qui correspondent à leurs souhaits.
A part cela, il y a un autre aspect qui nous occupe beaucoup au Chili : il a trait à une plus grande transparence de l’administration publique, à une plus grande accessibilité de l’information et à une utilisation plus large de l’Internet. Les jeunes aujourd’hui sont des internautes chevronnés : nous devons donc apprendre à les connaître, comprendre le regard qu’ils portent sur les choses, les outils qu’ils utilisent, la langue qu’ils parlent. Je pense aussi que le nombre de réélections à un mandat public devrait être limité pour que les mêmes personnes ne se maintiennent pas perpétuellement en fonction et qu’il y ait place pour un renouvellement.
iKNOW Politics: Quelles ont été les difficultés qui vont ont semblé les plus dures pendant la campagne électorale ? Croyez-vous que l’une ou l’autre d’entre elles soit liée à votre situation de jeune dirigeante ? Si oui, pourquoi?
C’est un processus complexe. Les candidatures suscitent de nombreuses luttes internes dans les partis. Après cela, le plus dur était d’être si jeune. Au Chili, les adultes ont tendance à voter pour des adultes parce qu’ils pensent que les jeunes sont trop impétueux, que nous présentons bien mais que nous ne sommes pas forts pour travailler, ou simplement parce qu’ils font davantage confiance à leurs contemporains qui, pensent-ils, se sont « assagis ». La partie n’a pas été facile : les gens n’étaient pas prêts à nous faire confiance et, pour gagner cette confiance, il a fallu des heures et des heures de travail, marcher énormément et dormir peu. En outre, il y a toujours le problème des candidats qui ont un fort pouvoir d’achat, pour ainsi dire, et auxquels il faut se mesurer.
C’est très, très dur et, pour toutes ces raisons, j’ai dû travailler plus que vous ne sauriez l’imaginer : je dormais en moyenne deux à trois heures par nuit, et le reste du temps, je faisais campagne, encore et encore. On le paie très cher, en particulier dans sa vie familiale; je n’avais pratiquement plus de temps pour mon fils et c’était très, très dur. C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile dans une élection. Financièrement, c’était un défi aussi. Le Servel (le Service électoral chilien) en est témoin : il faut de l’argent pour amener les gens à voter pour de jeunes candidats. Pour cette raison d’ailleurs, je pense que ces candidats devraient bénéficier d’un financement spécial. Ce que je tiens à souligner, c’est que j’ai été énormément soutenue par les gens de mon parti, surtout par mon équipe et mes amis, qui ont toujours été là lorsque j’ai eu besoin d’eux.
iKNOW Politics: Y a-t-il eu un moment dans votre carrière politique où vous avez souhaité avoir accès à plus d’informations et échanger avec d’autres responsables politiques par l’intermédiaire d’une sorte de réseau ? Si vous aviez eu cette possibilité, en auriez-vous profité ? Pourquoi est-il important à votre avis d’avoir ce genre de contacts?
Je crois que je les ai toujours eus, en particulier de la part des femmes qui occupent des postes de responsabilité dans le Parti de rénovation nationale. L’actuelle Secrétaire générale du parti m’a toujours apporté son soutien. Lily Pérez est une personne merveilleuse et nous nous sommes toujours très bien entendues. Le maire de Renca, l’une des femmes qui a obtenu le plus grand nombre de voix dans le pays, a aussi joué un rôle et il y a aussi ma mère, dont le soutien a déterminé mon entrée au Congrès. Je pense que ce « réseau-là » a été parfait. Je pense cependant qu’il devrait y avoir des réseaux d’information plus performants, des réseaux plus faciles d’accès, en particulier par l’Internet. Vous pouvez faire l’expérience par vous-mêmes : invitez un certain nombre de personnes à une réunion dans un auditorium et vérifiez combien de visites enregistre votre site Web au même moment. Vous aurez certainement plus de visiteurs « électroniques » que d’invités dans votre auditorium.
iKNOW Politics: Quel conseil donneriez-vous à toutes les jeunes femmes qui ont envie de s’engager en politique ?
Qu’elles aillent jusqu’au bout de leur envie, quoi qu’il advienne. Qu’elles n’abandonnent jamais. La politique, pour reprendre le mot d’un grand homme politique chilien (Andrés Allamand) se fait sans verser une larme. Elles doivent avoir du caractère et savoir ce qu’elles veulent afin que, lorsqu’elles font l’objet de critiques, souvent injustes, elles puissent s’élever au-dessus de ces critiques et persévérer sur le chemin qu’elles ont choisi. La politique, c’est un travail dur; il faut y consacrer de nombreuses heures, sacrifier souvent son repos, passer beaucoup de temps loin de sa famille. Mais c’est aussi très gratifiant : aider les autres et contribuer à améliorer la qualité de leur vie, ça n’a pas de prix. Quand vous avez une bonne idée, cela ne vous vaut pas seulement des félicitations : vous résolvez un problème auquel se heurtent les gens, et souvent les plus démunis. Toutes celles qui veulent s’engager sont les bienvenues mais il y a quelque chose qu’elles ne devraient jamais oublier : humilité avant tout.
De plus, il faudrait toujours avoir derrière soi quelqu’un qui vous murmure à l’oreille, comme l’esclave de l’Antiquité derrière le général de l’empire romain paradant, triomphant, sur son char : « souviens-toi que tu es mortel ». Autrement dit, il faut garder les pieds sur terre et ne jamais oublier qu’on n’est peut-être pas en politique pour toujours et qu’il faut donc garder à l’esprit ce qui est permanent. Dernière réflexion, je voudrais remercier iKNOW Politics de cette occasion qu’ils m’ont donnée. Je pense qu’il est capital que tout le continent sache que des gens travaillent jour après jour pour améliorer la qualité de la politique, essentiellement en apportant des idées neuves, des changements, un meilleur équilibre entre hommes et femmes, sans transiger avec leurs idées, leurs principes et leurs valeurs. Nous pouvons tous travailler ensemble lorsque le pays a besoin de nous mais, lorsqu’il s’agit de défendre nos convictions, nous utilisons les meilleurs outils qui soient, recourons au dialogue et travaillons dur, dans le sérieux et la sérénité, qui sont deux éléments clés en politique.
Nous devons nous employer à produire en abondance des idées fécondes parce que, lorsqu’il n’y a plus d’idées, ce sont le populisme et le totalitarisme qui se développent, avec des idées dépassées et sorties de leur contexte. En tant que femmes et hommes politiques, jeunes et moins jeunes, nous devrions avancer librement, en maintenant le dialogue à un niveau assez haut pour permettre à notre société de vivre dans l’harmonie et l’attachement à notre pays.
"La politique, c’est un travail dur; il faut y consacrer de nombreuses heures, sacrifier souvent son repos, passer beaucoup de temps loin de sa famille. Mais c’est aussi très gratifiant: aider les autres et contribuer à améliorer la qualité de leur vie, ça n’a pas de prix." - Karla Rubilar
iKNOW Politics: Mme Rubilar, merci d’avoir accepté cet entretien avec iKNOW Politics. Pour commencer, pourriez-vous parler un peu, pour nos lectrices, de votre vie personnelle et de votre itinéraire?
J’ai passé mon enfance dans la commune de La Reina, où je vivais encore il y a quelques années. Ma scolarité a commencé dans deux écoles primaires, le Colegio Isabel La Católica et Madres Escolapias; mes études secondaires, je les ai faites au Colegio De La Salle. Ces trois écoles sont à La Reina. Lorsque j’ai décidé d’aller à l’université, j’hésitais entre des études d’ingénieur et de médecine. Finalement, la tradition familiale l’a emporté : mes parents sont tous les deux médecins. J’ai fait mes études à l’Université de Santiago du Chili et, à la faculté de médecine de l’université (qui est traditionnelle, publique et liée à la gauche chilienne), je faisais partie de la deuxième génération : il nous est donc revenu la tâche difficile de construire ce qui est actuellement l’une des meilleures écoles de médecine du pays.
Ce furent des années dures, mais heureuses tout de même. Pendant que j’étais à l’université, je suis tombée enceinte et mon fils Patricio (Patito) est né alors que j’étais encore étudiante. Toutes ces années, je travaillais, j’étudiais et j’élevais Patito. Pendant mes études à l’université, j’ai eu la chance de travailler dans différents hôpitaux et centres de soins primaires; j’ai donc été en contact direct avec la réalité des soins de santé au Chili. Lorsque le moment est venu de choisir ma spécialité, j’ai pensé à la pédiatrie mais, en voyant la douleur d’une mère qui avait perdu un enfant, je me suis rendu compte que c’était trop pour moi. Plus tard, j’ai pensé à la gynécologie mais je me suis fracturé le poignet dans un accident de voiture et, à cause de cette fracture, je n’ai pas pu continuer. J’ai donc opté alors pour ce que je connaissais déjà, c’est-à-dire les soins de santé primaires. Plus tard, j’ai fait un Master en santé publique à l’Université du Chili et je fais actuellement un MBA à l’Université nationale Andrés Bello.
iKNOW Politics: Nous savons que vous venez d’une famille qui a une tradition politique. Avez-vous grandi dans les débats et les discussions politiques ? Quand vous êtes-vous intéressée à la politique ou avez-vous envisagé pour la première fois d’avoir une activité politique?
A la maison, les débats politiques étaient constants. Ma mère a été maire, plusieurs de mes oncles et tantes sont hauts fonctionnaires et certains d’entre eux ont été membres du gouvernement. J’avais la politique dans le sang; certains disent que c’est génétique. Je ne peux pas m’en désintéresser. Je pense que mon intérêt pour la politique a commencé quand je suis allée à l’université et que je me suis mise à travailler; c’est là que j’ai commencé à voir le Chili qui nous échappe souvent, les problèmes qu’ont les gens et la difficulté d’obtenir de bons résultats avec des politiques publiques conçues derrière un bureau. Dès que j’ai travaillé, je me suis beaucoup occupée de politique, dans les groupes de jeunesse du Parti de rénovation nationale.
Plus tard, j’ai eu la chance de me présenter au Congrès et j’ai été élue pour représenter une circonscription que je connais très bien. J’ai mis du temps à me décider à me présenter aux élections; j’avais toujours travaillé en politique ou avec des hommes et des femmes politiques mais je n’avais jamais envisagé d’être candidate. Pourtant, en 2005, avec le soutien de ma famille, d’amis et de personnalités politiques importantes du Parti de rénovation nationale, j’ai finalement pris ma décision. Pour moi, la politique est un moyen d’améliorer la qualité de la vie des gens et d’avancer des idées sur la façon d’aider les Chiliens à surmonter les problèmes qu’ils rencontrent.
iKNOW Politics: Vous avez été soutenue par votre famille et vos amis?
Le soutien de ma mère a été capital, bien qu’elle soit membre de l’UDI, une alliée du Parti de rénovation nationale. Sa gestion de maire lui avait valu l’affection et la confiance des gens et ils les ont reportées sur moi. Mes amis aussi m’ont beaucoup soutenue, en particulier mon compagnon actuel, conseiller général du Parti de rénovation nationale, qui a été le pilier de ma campagne et à qui je dois en grande partie mon élection.
iKNOW Politics: Vous êtes en train de créer un précédent important dans votre pays et dans la région – vous êtes une femme, vous avez eu une carrière professionnelle avant de vous présenter aux élections et vous êtes la plus jeune des membres féminins du Congrès chilien. Pensez-vous qu’il y a eu un changement réel dans les groupes politiques de jeunes au Chili depuis votre élection ? Si oui, quels ont été ces changements et pourquoi?
Je pense qu’il serait un peu prétentieux de dire que, parce qu’on est jeune, les choses vont changer dans le pays. Il est important de signaler qu’il y a au Congrès aujourd’hui des hommes et des femmes qui ont toujours eu des liens, sous des formes diverses, avec les jeunes des groupes politiques. Ils savent ce que pensent ces groupes et ils connaissent bien les problèmes et les difficultés qu’ils rencontrent. C’est peut-être ce qui a amené ce changement dans la manière dont les hommes et femmes politiques considèrent les jeunes militants, surtout au niveau de l’Exécutif, qui nous écoute et nous prend beaucoup plus au sérieux qu’auparavant.
Mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Pendant de nombreuses années, il n’y a pas eu au Chili de politiques publiques axées sur les jeunes. Quelques progrès seulement ont été réalisés et l’on n’a jamais trop tenu à faire bouger les choses. Pourtant, il est hors de doute que les jeunes sont maintenant à l’ordre du jour politique, du moins dans mon parti. Au Chili, l’inscription sur les listes électorales n’est pas facultative, mais obligatoire. Et c’est précisément cela, et le manque de bonne politique publique, qui a dissuadé les jeunes de s’inscrire; leur participation est très faible. Le corps des électeurs éligibles « vieillit » et, à long terme, il s’appauvrit...
C’est pourquoi les responsables politiques ont été obligés d’inscrire les jeunes à leur ordre du jour, de les prendre en considération, de les écouter jusqu’au bout. Pour la même raison, nous avons à la Chambre une Commission spéciale de la jeunesse, que je préside. Cette commission analyse les projets de loi intéressant les jeunes.
iKNOW Politics: Que pouvez-vous nous dire de l’engagement des jeunes en politique au Chili – et dans la région ? A votre avis, que peut-on faire pour que les jeunes femmes s’intéressent davantage à la politique et s’y engagent plus?
Depuis quelques années, les jeunes s’engagent plus. Mais comme je le disais il y a un instant, c’est encore une question en suspens. Bien qu’il y ait plus d’intérêt chez les femmes, axer les objectifs sur la question du genre est, à mon avis, une erreur. L’intégration et l’intérêt devraient être affaire de groupe d’âge. Autrement dit, il faudrait s’adresser aux jeunes, aux adultes ou aux personnes âgées, et pas aux hommes ou aux femmes. Je ne suis pas favorable aux lois relatives aux quotas – je l’ai toujours dit.
Au contraire, je crois que nous devons tendre à une législation qui établisse un équilibre entre la vie de famille et la vie professionnelle, ce qui permettrait à de très nombreuses femmes d’occuper des postes de responsabilité ailleurs qu’en politique. Dans les pays qui appliquent ce genre de lois, dans ce cas particulier, je pense qu’elles devraient aussi servir à assurer la présence de jeunes dans le système politique, peut-être en encourageant les partis, par des incitations financières, à inclure des jeunes sur leurs listes de candidats, parce qu’il est manifeste que les jeunes ont moins de chances d’être élus et qu’il est relativement difficile d’inclure des jeunes parmi ses candidats.
iKNOW Politics: Depuis que vous êtes membre du Congrès, vous avez continué à travailler sur des questions relatives aux jeunes. Quels sont vos projets à court et à long terme pour les jeunes Chiliens, et en particulier pour les femmes susceptibles d’exercer des responsabilités et les futures dirigeantes?
A la chambre, j’ai œuvré pour la création d’une commission spéciale de la jeunesse qui restera en place pendant toute la durée du gouvernement actuel (2006-2010). De plus, la Présidente m’a demandé de faire partie de la Commission présidentielle consultative pour les jeunes, où l’on traite de diverses questions intéressant les jeunes. L’un des plus importants projets, à mon avis, qui doivent être mis en œuvre au Chili consiste à rendre automatique l’inscription sur les listes électorales, le vote facultatif et à autoriser le vote électronique. Ainsi les jeunes ne se sentiront plus contraints de voter; ils pourront voter librement s’ils le désirent. Les responsables politiques vont devoir tenir compte des jeunes, leur offrir des chances et avancer des idées qui correspondent à leurs souhaits.
A part cela, il y a un autre aspect qui nous occupe beaucoup au Chili : il a trait à une plus grande transparence de l’administration publique, à une plus grande accessibilité de l’information et à une utilisation plus large de l’Internet. Les jeunes aujourd’hui sont des internautes chevronnés : nous devons donc apprendre à les connaître, comprendre le regard qu’ils portent sur les choses, les outils qu’ils utilisent, la langue qu’ils parlent. Je pense aussi que le nombre de réélections à un mandat public devrait être limité pour que les mêmes personnes ne se maintiennent pas perpétuellement en fonction et qu’il y ait place pour un renouvellement.
iKNOW Politics: Quelles ont été les difficultés qui vont ont semblé les plus dures pendant la campagne électorale ? Croyez-vous que l’une ou l’autre d’entre elles soit liée à votre situation de jeune dirigeante ? Si oui, pourquoi?
C’est un processus complexe. Les candidatures suscitent de nombreuses luttes internes dans les partis. Après cela, le plus dur était d’être si jeune. Au Chili, les adultes ont tendance à voter pour des adultes parce qu’ils pensent que les jeunes sont trop impétueux, que nous présentons bien mais que nous ne sommes pas forts pour travailler, ou simplement parce qu’ils font davantage confiance à leurs contemporains qui, pensent-ils, se sont « assagis ». La partie n’a pas été facile : les gens n’étaient pas prêts à nous faire confiance et, pour gagner cette confiance, il a fallu des heures et des heures de travail, marcher énormément et dormir peu. En outre, il y a toujours le problème des candidats qui ont un fort pouvoir d’achat, pour ainsi dire, et auxquels il faut se mesurer.
C’est très, très dur et, pour toutes ces raisons, j’ai dû travailler plus que vous ne sauriez l’imaginer : je dormais en moyenne deux à trois heures par nuit, et le reste du temps, je faisais campagne, encore et encore. On le paie très cher, en particulier dans sa vie familiale; je n’avais pratiquement plus de temps pour mon fils et c’était très, très dur. C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile dans une élection. Financièrement, c’était un défi aussi. Le Servel (le Service électoral chilien) en est témoin : il faut de l’argent pour amener les gens à voter pour de jeunes candidats. Pour cette raison d’ailleurs, je pense que ces candidats devraient bénéficier d’un financement spécial. Ce que je tiens à souligner, c’est que j’ai été énormément soutenue par les gens de mon parti, surtout par mon équipe et mes amis, qui ont toujours été là lorsque j’ai eu besoin d’eux.
iKNOW Politics: Y a-t-il eu un moment dans votre carrière politique où vous avez souhaité avoir accès à plus d’informations et échanger avec d’autres responsables politiques par l’intermédiaire d’une sorte de réseau ? Si vous aviez eu cette possibilité, en auriez-vous profité ? Pourquoi est-il important à votre avis d’avoir ce genre de contacts?
Je crois que je les ai toujours eus, en particulier de la part des femmes qui occupent des postes de responsabilité dans le Parti de rénovation nationale. L’actuelle Secrétaire générale du parti m’a toujours apporté son soutien. Lily Pérez est une personne merveilleuse et nous nous sommes toujours très bien entendues. Le maire de Renca, l’une des femmes qui a obtenu le plus grand nombre de voix dans le pays, a aussi joué un rôle et il y a aussi ma mère, dont le soutien a déterminé mon entrée au Congrès. Je pense que ce « réseau-là » a été parfait. Je pense cependant qu’il devrait y avoir des réseaux d’information plus performants, des réseaux plus faciles d’accès, en particulier par l’Internet. Vous pouvez faire l’expérience par vous-mêmes : invitez un certain nombre de personnes à une réunion dans un auditorium et vérifiez combien de visites enregistre votre site Web au même moment. Vous aurez certainement plus de visiteurs « électroniques » que d’invités dans votre auditorium.
iKNOW Politics: Quel conseil donneriez-vous à toutes les jeunes femmes qui ont envie de s’engager en politique ?
Qu’elles aillent jusqu’au bout de leur envie, quoi qu’il advienne. Qu’elles n’abandonnent jamais. La politique, pour reprendre le mot d’un grand homme politique chilien (Andrés Allamand) se fait sans verser une larme. Elles doivent avoir du caractère et savoir ce qu’elles veulent afin que, lorsqu’elles font l’objet de critiques, souvent injustes, elles puissent s’élever au-dessus de ces critiques et persévérer sur le chemin qu’elles ont choisi. La politique, c’est un travail dur; il faut y consacrer de nombreuses heures, sacrifier souvent son repos, passer beaucoup de temps loin de sa famille. Mais c’est aussi très gratifiant : aider les autres et contribuer à améliorer la qualité de leur vie, ça n’a pas de prix. Quand vous avez une bonne idée, cela ne vous vaut pas seulement des félicitations : vous résolvez un problème auquel se heurtent les gens, et souvent les plus démunis. Toutes celles qui veulent s’engager sont les bienvenues mais il y a quelque chose qu’elles ne devraient jamais oublier : humilité avant tout.
De plus, il faudrait toujours avoir derrière soi quelqu’un qui vous murmure à l’oreille, comme l’esclave de l’Antiquité derrière le général de l’empire romain paradant, triomphant, sur son char : « souviens-toi que tu es mortel ». Autrement dit, il faut garder les pieds sur terre et ne jamais oublier qu’on n’est peut-être pas en politique pour toujours et qu’il faut donc garder à l’esprit ce qui est permanent. Dernière réflexion, je voudrais remercier iKNOW Politics de cette occasion qu’ils m’ont donnée. Je pense qu’il est capital que tout le continent sache que des gens travaillent jour après jour pour améliorer la qualité de la politique, essentiellement en apportant des idées neuves, des changements, un meilleur équilibre entre hommes et femmes, sans transiger avec leurs idées, leurs principes et leurs valeurs. Nous pouvons tous travailler ensemble lorsque le pays a besoin de nous mais, lorsqu’il s’agit de défendre nos convictions, nous utilisons les meilleurs outils qui soient, recourons au dialogue et travaillons dur, dans le sérieux et la sérénité, qui sont deux éléments clés en politique.
Nous devons nous employer à produire en abondance des idées fécondes parce que, lorsqu’il n’y a plus d’idées, ce sont le populisme et le totalitarisme qui se développent, avec des idées dépassées et sorties de leur contexte. En tant que femmes et hommes politiques, jeunes et moins jeunes, nous devrions avancer librement, en maintenant le dialogue à un niveau assez haut pour permettre à notre société de vivre dans l’harmonie et l’attachement à notre pays.