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María Antonia Martínez

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
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July 29, 2008

María Antonia Martínez

ancienne sénatrice espagnole et première femme présidente d'une Communauté autonome

"L'inégalité est si réelle et si profonde qu’on ne peux jamais se reposer sur ses lauriers. Lorsqu’on se projette dans l’avenir, on voit qu'il reste beaucoup à faire. Néanmoins, je veux m’efforcer de vivre toujours le présent et d’en jouir. Force est de reconnaître qu’en Espagne, nous avons, au cours de l’année écoulée, accompli beaucoup d’exploits et pris des mesures importantes, ce qui s’est révélé pour moi une expérience très intense." - María Antonia Martínez

iKNOW Politics: Pour commencer, pourriez-vous nous dire quels défis vous avez eu à relever en tant que femme à des postes de leader politique, puisque vous avez été élue sénatrice à deux reprises? En quoi votre vécu et votre expérience vous ont aidée?

Je me suis toujours considérée comme une féministe, et je le suis devenue davantage à mesure que j’ai avancé dans la vie politique. J'ai assumé diverses responsabilités dans le domaine public et au sein du mouvement syndical. J'ai travaillé dans différents secteurs puisque l’on m’a confié divers dossiers – économie, finances, relations avec les communautés autonomes ; j'ai été membre et vice-présidente d’un parlement et présidente d'un gouvernement autonome. J'ai toujours fait preuve d’un même enthousiasme, qu’il s’agisse de promouvoir les affaires publiques ou de militer pour le droit à l'égalité de traitement et à l'égalité des chances pour chaque femme.

C’est dans le domaine législatif que, cette dernière année, j'ai trouvé les plus grandes satisfactions. Des lois sont rédigées, que ce soit à l’initiative du gouvernement ou de l'opposition, et il est très gratifiant de savoir que l'introduction d’un paragraphe ou d’un article signifie un progrès important vers l'égalité de traitement et l'égalité des chances pour les femmes. Ces progrès permettront aux femmes de concilier plus facilement vie de famille, vie personnelle et vie professionnelle. L'inégalité est si réelle et si profonde qu’on ne peux jamais se reposer sur ses lauriers. Lorsqu’on se projette dans l’avenir, on voit qu'il reste beaucoup à faire.

Néanmoins, je veux m’efforcer de vivre toujours le présent et d’en jouir. Force est de reconnaître qu’en Espagne, nous avons, au cours de l’année écoulée, accompli beaucoup d’exploits et pris des mesures importantes, ce qui s’est révélé pour moi une expérience très intense. Je crois qu'être femme, mère et épouse ou compagne, constitue un défi de taille – et je préfère ce terme à celui d’obstacle. Incontestablement, cette responsabilité nous suit, où que nous allions et quoi que nous fassions, ce qui ne manque pas d’influer sur notre manière d’être. Elle est toujours présente en nous, bien que nous voulions parfois rationaliser et nous persuader que nous ne sommes pas seules à l’assumer mais que nous la partageons avec notre compagnon.

Nous devons porter un poids culturel en assumant un rôle qui nous a été dévolu depuis l’enfance, celui de prendre soin des autres – et par « les autres », je veux parler du compagnon, des enfants, des parents, et de toutes autres responsabilités familiales en général. Les obligations familiales ne manquent pas, même si, en Espagne nous avons modifié le Code civil pour redéfinir la notion même de mariage de manière à répartir les charges à égalité. Dans le milieu où j’ai évolué, je ne connais aucune femme qui n’assume ce fardeau, malgré un travail qui l’emploie quotidiennement ou la fermeté de son engagement.

iKNOW Politics: Quelques institutions font des recherches pour déterminer pourquoi le taux de femmes réélues à des postes politiques est si bas par rapport à celui des hommes. Une étude a été récemment menée en Espagne, sous le titre « Les hommes sont en politique ; les femmes ne font que passer ». Or, vous êtes une politicienne qui s’est non seulement présentée à une réélection, mais qui l’a remportée. Que pensez-vous des statistiques qui font état d’un faible taux de réélection de femmes ? Comment expliqueriez-vous ce phénomène?

D’après mon expérience, je crois que la cause en est l’absence de participation des femmes à la politique, à la politique des partis, à la politique qui s’apprend au sein d’un parti. En dernière analyse, dans les processus électoraux, ce sont les partis politiques qui déterminent la composition des listes de candidats – c'est-à-dire qui décident qui se présente aux élections, qui se représente ou qui s’en abstient. Je crois que nous autres femmes sommes absentes de l'appareil politique de partis.

Mon cas particulier en est un exemple. J'ai occupé divers postes, mais en bénéficiant d’une stabilité et d’une continuité. J’ai même pu décider de poursuivre ou non ma carrière. J'ai eu une longue carrière politique et j’ai été Secrétaire général du Parti socialiste espagnol (PSOE) pour ma région. Quand on est en politique, c'est le parti qui décide. Dès que j’en ai l’occasion, je dis à mes consœurs au sein du parti que toute instance ou commission - famille, jeunesse, culture, éducation - est très importante et qu’elles devraient assumer ces responsabilités. Toutefois, je les encourage également à s’occuper du secrétariat institutionnel du parti et de faire office de secrétaire général de leurs groupes.

Nous devons, en tant que femmes, nous autonomiser. Nous devons prendre le pouvoir si nous voulons l'exercer. Quand les hommes sont au pouvoir, ils l'exercent pour nous, et s’ils invitent les femmes à y participer, c’est parce qu'il leur est utile ou pratique de le faire, ou parce qu'ils veulent se donner une image d’ouverture, ou montrer que leur liste est plus démocratique. Nous savons bien que la répartition du pouvoir est une considération qui ne vient qu’en second lieu. Ainsi, dans les fonctions parlementaires, si l’on examine un à un les organes du parlement – que ce soit les commissions ou les bureaux de direction au congrès ou au sénat – nous observons que les femmes sont présentes au sein de commissions ou de secrétariats, mais très peu d’entre elles en sont vice-présidentes ou présidentes. Pourquoi ? Parce que le pouvoir, l’exercice politique du pouvoir, demeure majoritairement une affaire d’hommes.

Aussi est-il important que les femmes soient de plus en plus nombreuses à rester dans la course politique. C'est là un des objectifs visés, et je crois qu'il vaut la peine de s’y investir. L'Union interparlementaire (UIP) fait un travail fabuleux, dont les effets s’inscrivent dans la continuité. Elle vise notamment à autonomiser les femmes et à les aider à reconnaître où se trouve le pouvoir et comment l'exercer et s’en servir, dans l’intérêt général et dans le leur en particulier.

iKNOW Politics: Bien que la répartition du pouvoir soit manifestement inégale, les femmes ont besoin de l'appui des hommes pour réaliser l'égalité. D’après votre expérience, quelles sont selon vous les meilleures stratégies pour intégrer les hommes dans les processus de promotion de l’égalité des sexes, en particulier dans le domaine de la participation politique?

Il est évident que l'égalité n’est pas une préoccupation spécifique aux femmes, mais un objectif général. Je crois que les progrès sont d’autant plus significatifs que nous nous associons la « complicité » des hommes et que la question devient une cause de la lutte pour l'égalité entre hommes et femmes. Nous avons clairement constaté ce fait en Espagne et, au risque de paraître quelque peu prétentieuse, j’en suis très fière. Au sein du PSOE, le parti auquel j'appartiens, le processus s’est fait de manière ininterrompue, quoique non sans difficultés, parce que l'école de pensée féministe-socialiste a vu le jour en Espagne très tôt, avec l’avènement du parti socialiste. En incitant et en constituant un groupe de pression, les femmes féministes ont œuvré et milité pour que les divers congrès de parti adoptent des résolutions visant à encourager la participation des femmes. De fait, le PSOE à été le premier à imposer un quota interne, qui est passé de 25 à 30 %. Ce processus n’a certainement pas manqué de profiter aussi aux hommes, parce qu’au final, toutes ces résolutions ont été adoptées par l’ensemble des organes du parti – les hommes les ont non seulement entérinées : ils ont voté pour elles et les ont approuvées.

Or, qu’observons-nous maintenant ? Nous avons fait un bond en avant qualitatif. Nous sommes passés du quota interne à l’instauration d’une réforme dans la loi électorale où, au-delà de la notion de quota, nous avons préconisé une présence équilibrée entre hommes et femmes, étant entendu que la participation des femmes à la politique – et, dans mon pays, nous représentons plus de la moitié de la population – ne fait qu’enrichir la démocratie. Je crois que l'alliance entre hommes et femmes s’est révélée très importante et tout aussi important, bien entendu, a été l'engagement d'un homme, un féministe, qui a fait de la promotion de la femme une priorité : José Luis Rodríguez Zapatero, président du PSOE et président de l'Etat espagnol. Il est un des nombreux hommes du PSOE qui ont mûri et compris que l'égalité est un défi, parce que l’inégalité est toujours présente – un constat d’autant plus important pour un parti comme le nôtre, qui se consacre depuis toujours à la lutte contre les inégalités.

L’évolution en Espagne n’est pas sans rappeler l’évolution qui se produit dans d'autres pays. Il y a une sorte de synergie : lorsqu’un parti considère la participation des femmes comme une valeur démocratique, les autres partis se sentent contraints de suivre le mouvement, même s’ils ne partagent pas cette idée. Cela devient un cercle vertueux : quand on fait un pas en avant, les autres doivent suivre le mouvement, parce que l’ensemble des citoyens les observent. L’Espagne a pris un engagement sérieux, même si le travail n’est jamais terminé parce qu’il s’agit d’une lutte de longue haleine. Quoi qu’il en soit, l’alliance des hommes et des femmes est à mon sens indispensable si nous voulons progresser.

iKNOW Politics: Dans votre réponse précédente, vous donnez des repères sur la nature de la participation des femmes à la politique espagnole. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur l'état actuel de la participation des femmes en politique, tant au sein des partis que des pouvoirs législatif ou exécutif?

La loi sur l’égalité, adoptée en 2007, est un grand pas en avant à tous les niveaux, parce qu’elle constitue la référence pour tous en indiquant quelles sont les obligations, non seulement des pouvoirs publics, mais également du monde de la culture, de l’éducation, des arts, des affaires et des syndicats, dans le domaine de la promotion de la femme et de sa participation à égalité. La loi dispose que ni l'un ni l'autre sexe ne sauraient être représentés à plus de 60 % ou à moins de 40 %. En dépit des recours pour anti constitutionalité invoqués contre elle, la réforme a vu sa validité confirmée par le Tribunal constitutionnel. C'est là un processus où les progrès se feront sentir dans la durée. A ce stade, je peux dire que, dans la sphère publique, les dernières élections autonomes et municipales ont débouché, avec le nouveau régime électoral, sur l’entrée en fonctions de 7 000 nouvelles femmes à des municipalités.

C’est ainsi qu’actuellement, plus de 23 000 femmes occupent des postes de maire ou de conseiller municipal. Dans le secteur des affaires en revanche, la loi ménage un délai de quatre ans pour l’intégration de femmes dans les organes de gestion. Cette mesure est considérée comme très audacieuse, puisque la loi pénètre dans la sphère privée. Mais l'Etat dispose de quelques outils pour le faire, de même que pour exiger l’instauration de plans pour l'égalité dans ce domaine. Bien que je ne puisse pas vous fournir les chiffres exacts, le volume des marchés publics en Espagne est très important. Il porte non seulement sur les services, mais aussi, notamment, sur l'infrastructure, les routes, les chemins de fer, l’épuration des eaux et l’assainissement dans son ensemble et le bâtiment et les travaux publics.

La future loi sur les marchés publics comporte une mesure d’incitation disposant que, parmi les entreprises réunissant les conditions d’une adjudication, seules les entreprises mettant en œuvre des plans pour l'égalité obtiendront des contrats ; son adoption nous permettra de voir combien d’entreprises vont élaborer de tels plans. Il existe actuellement des milliers d’entreprises qui offrent ce type de travaux. Nous appliquons ainsi l'égalité d’une manière intersectorielle. C’est justement au sein du pouvoir législatif que la participation est la plus élevée – à l’échelon des communautés autonomes, des municipalités ou des parlements. Au sein des autres pouvoirs, il nous reste encore beaucoup à faire. Dans la judiciaire, la présence des femmes demeure extrêmement faible. En ce moment en Espagne, plus de 50 % des juges sont des femmes, mais les femmes sont très peu présentes au sein de la Cour suprême, même si une d’elles est présidente de la Cour constitutionnelle. Le pouvoir judiciaire a besoin de renouvellement, de même que, notamment, l’armée, le Conseil économique et social ou la Cour des comptes.

iKNOW Politics: La loi espagnole sur l'égalité est un texte très progressiste. Elle révèle l’existence en Espagne d’un processus structuré et systématique dans ce domaine. Dans quel contexte sociopolitique la loi a-t-elle vu le jour ? La Commission parlementaire bicamérale des droits de la femme et de l'égalité des chances s’est-elle révélée fondamentale à cet égard?

Les organisations de femmes – qu’il s’agisse de groupes féministes ou autres qui ont défendu la cause féministe – ont joué un rôle clé en l’espèce. Ce sont les groupes de femmes au sein des partis politiques, du PSOE ou d’Izquierda Unida, qui ont décidé de poursuivre les efforts des féministes, ce qui s’est révélé une étape très importante pour l’Espagne. Certaines décisions capitales, comme la création de l'Institut de la femme, tout au début de l’ère démocratique, puis l’instauration, en 1988, de la Commission mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances, qui vient de fêter son 20ème anniversaire, sont le résultat de l'engagement de nombreux hommes et femmes.

Des hommes avec beaucoup de poids et de longues carrières politiques ont conféré à la commission son prestige, de même que le travail des femmes ayant récemment accédé au pouvoir. Si, actuellement, les femmes sont très nombreuses au sein de la commission, à ses débuts, l’un et l’autre sexe étaient pratiquement représentés à égalité. L'Institut et la Commission ont tous deux eu un effet imparable: deux pouvoirs – l’exécutif auquel appartient l'Institut, et le législatif, dont fait partie la Commission – ont rédigé des propositions très sérieuses et suscité une évolution sociale d’importance. Il ne faut pas oublier qu'actuellement en Espagne, nous en sommes à la mise en œuvre du quatrième plan sur l'égalité.

Ces plans sont le résultat de nombreuses années de travail. A la différence des autres toutefois, ce plan n’est pas une simple mesure de soutien ou d’encouragement : il s’agit aussi, comme je l'ai déjà dit, d’une mesure d’intervention. Par ailleurs, l'article 14 de notre Constitution, vieille de presque trente ans, consacre le principe de l'égalité et de la non-discrimination. Nous avons également un autre mandat impératif, qui s’adresse à l’ensemble des pouvoirs publics, celui de promouvoir les conditions d’une véritable égalité et de fomenter la participation politique, économique, sociale et culturelle de tous les citoyens et citoyennes. Toutefois – et je le répète – c’est lors du gouvernement du Président Rodríguez Zapatero que s’est produit le bond en avant qualitatif.

C'est une culture entièrement nouvelle qui s’impose dans les plus hautes sphères du pouvoir politique. Le Ministre du travail n’a-t-il pas déclaré que la Constitution ne saurait demeurer étrangère au monde de l'éducation, de l’entreprise ou des syndicats ? La Constitution s'applique non seulement à la vie publique, mais également à la vie privée. La loi sur l'égalité est puissante. Mais le travail le plus difficile et le plus long sera celui d’induire l’évolution sociale dont nous avons besoin.

Le problème de l'inégalité est lié à la culture du machisme profondément ancrée dans la société et dans la culture dominante de mon pays et des pays avoisinants. Une intervention dans le domaine de l'éducation est cruciale, tout autant que des mesures préventives. Cette loi est également un « code ». Nous l'appelons ainsi parce qu'elle a modifié 24 lois du pays, dont de nom réutilisés lois organiques: loi sur le travail, loi organique du pouvoir judiciaire, loi sur les contrats de l’Etat, Code civil, loi sur la sécurité sociale et autres. Elle constitue une révision de fond en comble et une reconnaissance de nouveaux droits. Je ne saurais pas non plus oublier l'appui financier. La loi a été présentée aux parlements fédéraux avec un budget de 400 millions d'euros et en est sortie avec une dotation de 490 millions d'euros. Cette loi servira de fondement pour notre travail exécutif et législatif pendant les dix années à venir.

iKNOW Politics: Il n’y a pas, en Espagne, de commission parlementaire de femmes. Pensez-vous qu’une telle instance soit dans tous les cas nécessaire ? Ou est-elle remplacée, en Espagne, par la Commission parlementaire mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances?

Effectivement, nous n'avons pas en Espagne ce que les pays d’Amérique latine appellent des commissions de femmes. Nos commissions parlementaires mixtes se composent de 42 membres – hommes et femmes – des deux chambres. Il règne, au sein de la Commission mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances, un important esprit de consensus, parce que les questions que nous y soulevons sont très importantes, comme le droit à l'égalité, qui est un des droits de l'homme. Les différends politiques ne manquent pas au sein de la commission. Toutefois, le consensus y est facilement atteint parce qu’il y a une grande complicité entre les femmes de tous les partis. Il s’agit d’une commission permanente, à caractère non législatif mais qui doit connaître la législation élaborée dans toutes les commissions. Elle est habilitée à intervenir dans toutes les questions qui touchent à l’ensemble des commissions parlementaires. Elle examine toutes les questions préliminaires ainsi que la rédaction des lois. Elle entend des témoignages – non seulement de fonctionnaires du gouvernement, mais également d’agents sociaux et économiques, de représentants des milieux académiques et d’autres groupements.

D’une part, la Commission est chargée de surveiller l’application par les organes gouvernementaux des questions liées à l'égalité des sexes, à l'égalité de traitement et à l’égalité des chances. De l’autre, elle est chargée de mener des études et des recherches et de formuler des propositions au gouvernement et aux autres commissions parlementaires. Ainsi, une excellente présentation a été faite sur la prostitution en Espagne, qui a donné lieu à la soumission au pouvoir exécutif d’un plan en 37 points. Non contente d’exercer une sorte de contrôle législatif, la Commission entretient également un lien avec la société, au sein de laquelle se posent les vrais problèmes que la législation doit résoudre. Son travail dans ce secteur est très efficace.

iKNOW Politics: Au-delà des particularités de chaque pays, quelles étapes fondamentales recommanderiez-vous aux femmes parlementaires pour instaurer un système progressiste pour l'égalité et la participation des femmes en politique?

Je crois que les problèmes rencontrés en différents endroits du monde sont très semblables. J'ai entendu beaucoup de députées Latino-Américaines de différents pays dire qu'elles voulaient changer le système. C'est là un but très noble. Moi, je pense qu’il faudrait commencer par quelque chose de plus simple – comme, par exemple, mettre le système face à ses responsabilités, parce qu'il importe de prendre en compte le contexte théorique dans lequel évoluent les pays d’Amérique latine et les engagements politiques qu’ils ont contractés, tout récemment dans le cadre du Consensus de Quito. La signature d’accords est une très bonne chose. Pratiquement tous les pays d’Amérique latine ont signé la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son Protocole facultatif. Il ont également signé d'autres traités et résolutions du Parlement Latino-Américain.

Au chapitre de la lutte contre la violence, citons la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme (la Convention de Belém do Pará). En d'autres termes, il n'y a pas qu’une doctrine, il y a aussi un engagement politique. Avec ces outils, chaque parlement doit placer son gouvernement face à ses responsabilités. Il ne s’agit pas de demander l’impossible, mais de mettre en œuvre à la lettre les engagements internationaux que les pays d’Amérique latine ont souscrits. Souvent, les questions examinées ont déjà été réglées et approuvées par les gouvernements ; il ne reste donc plus qu’à œuvrer à l’adoption de règlements d’application. Si je ne suis pas bien placée pour donner mon avis sur le système des autres pays, je leur conseillerais de mettre le système face à ses responsabilités, de placer leurs gouvernements et leurs présidents face aux engagements qu'ils ont contractés à l’échelle internationale.

iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux ou le réseautage ont-ils eu sur votre carrière ? Les estimez-vous utiles? Dans ce contexte, que pensez-vous de l'initiative iKNOW Politics?

Je crois que le travail en réseau est extrêmement important. L'information et l'éducation sont essentielles. En effet, nul ne parvient à la vie professionnelle ou à une vie d'engagements sans des connaissances. On ne peut aimer ou apprécier ce que l’on ignore. D’après mon expérience, acquise au fil de nombreuses années, je constate avant tout un manque de formation. De nombreuses parlementaires – et je parle de parlementaires qui méconnaissent l’enchevêtrement des droits et obligations reconnus dans leurs pays respectifs – ont beaucoup de mal à formuler des revendications sur ces questions ou à en suivre l’évolution, simplement parce qu'elles ne les connaissent pas.

Les initiatives telles qu’iKNOW Politics sont très importantes. Premièrement, elle permet aux intéressés de se renseigner sur les bonnes pratiques mises en œuvre dans d'autres pays, de les évaluer et de décider si elles peuvent ou non être transposées dans leur pays au vu de la situation sociopolitique ou socioéconomique existante. Deuxièmement, elle nous permet de mettre en commun des informations sur notre expérience et notre vécu. La plateforme peut servir à examiner l’élaboration de lois, à recevoir des recommandations, des suggestions, etc. L’évolution de la société ne se fait pas en un jour, ni au lendemain de l’entrée en vigueur d'une loi : elle s’appuie sur une base durable, et je crois que des initiatives telles que la vôtre sont là pour que nous puissions nous aider mutuellement.

iKNOW Politics: Que conseilleriez-vous aux jeunes femmes qui s’intéressent à la politique mais qui perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?

Aujourd’hui, nous autres femmes n’avons aucune raison objective de nous sentir intimidées. Nous sommes désormais nombreuses à être instruites, et l'éducation et la culture ne nous sont plus étrangères. Nous savons qu'il existe des pays où il subsiste d’importants obstacles, mais nous avons tout ce qu’un être humain doit avoir – éducation, dévouement et motivation – pour participer aux mutations sociales qui se produisent dans notre environnement et pour nous y engager.

Les modalités de participation à la politique sont nombreuses. Le vote est un élément décisif, mais il ne reflète que la position d’un individu. Il est certes important, mais moi j’encouragerais les femmes à investir réellement l'appareil du pouvoir, qui est l’acteur du progrès ou, au contraire, de la régression. Je crois que nous autres femmes avons beaucoup à faire et beaucoup à apporter, en termes sociaux aussi bien que politiques.

Il est évident que certains rôles dévolus aux hommes ont fait leur temps. La politique a aussi besoin d’un regard nouveau, d’opinions nouvelles, qui témoignent des besoins et des problèmes concrets des hommes et des femmes. Nous autres femmes - peut-être parce que nous sommes plus opprimées – avons davantage les pieds sur terre et faisons preuve d’un réalisme qui nous rend plus à l’écoute des problèmes et des besoins, et mieux à même de trouver des solutions.

iKNOW Politics: Voudriez-vous ajouter une autre observation à l’adresse de nos lecteurs?

Je me suis toujours sentie très proche de la lutte pour l'égalité, où qu’elle soit menée. Je suis vouée à œuvrer pour l'égalité des femmes dans tous les domaines. Dans ma vie, j'ai combattu toute inégalité que j'ai constatée, partout où elle se produisait. Je m’engage toujours avec un même enthousiasme, que l’inégalité se produise dans le régime fiscal, l'éducation ou la santé. J’estime qu'il vaut la peine de s’investir pour améliorer la qualité de vie des êtres humains et pour les rendre plus heureux. Tel est, en fin de compte, le but du socialisme, et moi je suis, par-dessus tout, une femme socialiste.

 

 

Date de l'entretien
Région
ancienne sénatrice espagnole et première femme présidente d'une Communauté autonome

"L'inégalité est si réelle et si profonde qu’on ne peux jamais se reposer sur ses lauriers. Lorsqu’on se projette dans l’avenir, on voit qu'il reste beaucoup à faire. Néanmoins, je veux m’efforcer de vivre toujours le présent et d’en jouir. Force est de reconnaître qu’en Espagne, nous avons, au cours de l’année écoulée, accompli beaucoup d’exploits et pris des mesures importantes, ce qui s’est révélé pour moi une expérience très intense." - María Antonia Martínez

iKNOW Politics: Pour commencer, pourriez-vous nous dire quels défis vous avez eu à relever en tant que femme à des postes de leader politique, puisque vous avez été élue sénatrice à deux reprises? En quoi votre vécu et votre expérience vous ont aidée?

Je me suis toujours considérée comme une féministe, et je le suis devenue davantage à mesure que j’ai avancé dans la vie politique. J'ai assumé diverses responsabilités dans le domaine public et au sein du mouvement syndical. J'ai travaillé dans différents secteurs puisque l’on m’a confié divers dossiers – économie, finances, relations avec les communautés autonomes ; j'ai été membre et vice-présidente d’un parlement et présidente d'un gouvernement autonome. J'ai toujours fait preuve d’un même enthousiasme, qu’il s’agisse de promouvoir les affaires publiques ou de militer pour le droit à l'égalité de traitement et à l'égalité des chances pour chaque femme.

C’est dans le domaine législatif que, cette dernière année, j'ai trouvé les plus grandes satisfactions. Des lois sont rédigées, que ce soit à l’initiative du gouvernement ou de l'opposition, et il est très gratifiant de savoir que l'introduction d’un paragraphe ou d’un article signifie un progrès important vers l'égalité de traitement et l'égalité des chances pour les femmes. Ces progrès permettront aux femmes de concilier plus facilement vie de famille, vie personnelle et vie professionnelle. L'inégalité est si réelle et si profonde qu’on ne peux jamais se reposer sur ses lauriers. Lorsqu’on se projette dans l’avenir, on voit qu'il reste beaucoup à faire.

Néanmoins, je veux m’efforcer de vivre toujours le présent et d’en jouir. Force est de reconnaître qu’en Espagne, nous avons, au cours de l’année écoulée, accompli beaucoup d’exploits et pris des mesures importantes, ce qui s’est révélé pour moi une expérience très intense. Je crois qu'être femme, mère et épouse ou compagne, constitue un défi de taille – et je préfère ce terme à celui d’obstacle. Incontestablement, cette responsabilité nous suit, où que nous allions et quoi que nous fassions, ce qui ne manque pas d’influer sur notre manière d’être. Elle est toujours présente en nous, bien que nous voulions parfois rationaliser et nous persuader que nous ne sommes pas seules à l’assumer mais que nous la partageons avec notre compagnon.

Nous devons porter un poids culturel en assumant un rôle qui nous a été dévolu depuis l’enfance, celui de prendre soin des autres – et par « les autres », je veux parler du compagnon, des enfants, des parents, et de toutes autres responsabilités familiales en général. Les obligations familiales ne manquent pas, même si, en Espagne nous avons modifié le Code civil pour redéfinir la notion même de mariage de manière à répartir les charges à égalité. Dans le milieu où j’ai évolué, je ne connais aucune femme qui n’assume ce fardeau, malgré un travail qui l’emploie quotidiennement ou la fermeté de son engagement.

iKNOW Politics: Quelques institutions font des recherches pour déterminer pourquoi le taux de femmes réélues à des postes politiques est si bas par rapport à celui des hommes. Une étude a été récemment menée en Espagne, sous le titre « Les hommes sont en politique ; les femmes ne font que passer ». Or, vous êtes une politicienne qui s’est non seulement présentée à une réélection, mais qui l’a remportée. Que pensez-vous des statistiques qui font état d’un faible taux de réélection de femmes ? Comment expliqueriez-vous ce phénomène?

D’après mon expérience, je crois que la cause en est l’absence de participation des femmes à la politique, à la politique des partis, à la politique qui s’apprend au sein d’un parti. En dernière analyse, dans les processus électoraux, ce sont les partis politiques qui déterminent la composition des listes de candidats – c'est-à-dire qui décident qui se présente aux élections, qui se représente ou qui s’en abstient. Je crois que nous autres femmes sommes absentes de l'appareil politique de partis.

Mon cas particulier en est un exemple. J'ai occupé divers postes, mais en bénéficiant d’une stabilité et d’une continuité. J’ai même pu décider de poursuivre ou non ma carrière. J'ai eu une longue carrière politique et j’ai été Secrétaire général du Parti socialiste espagnol (PSOE) pour ma région. Quand on est en politique, c'est le parti qui décide. Dès que j’en ai l’occasion, je dis à mes consœurs au sein du parti que toute instance ou commission - famille, jeunesse, culture, éducation - est très importante et qu’elles devraient assumer ces responsabilités. Toutefois, je les encourage également à s’occuper du secrétariat institutionnel du parti et de faire office de secrétaire général de leurs groupes.

Nous devons, en tant que femmes, nous autonomiser. Nous devons prendre le pouvoir si nous voulons l'exercer. Quand les hommes sont au pouvoir, ils l'exercent pour nous, et s’ils invitent les femmes à y participer, c’est parce qu'il leur est utile ou pratique de le faire, ou parce qu'ils veulent se donner une image d’ouverture, ou montrer que leur liste est plus démocratique. Nous savons bien que la répartition du pouvoir est une considération qui ne vient qu’en second lieu. Ainsi, dans les fonctions parlementaires, si l’on examine un à un les organes du parlement – que ce soit les commissions ou les bureaux de direction au congrès ou au sénat – nous observons que les femmes sont présentes au sein de commissions ou de secrétariats, mais très peu d’entre elles en sont vice-présidentes ou présidentes. Pourquoi ? Parce que le pouvoir, l’exercice politique du pouvoir, demeure majoritairement une affaire d’hommes.

Aussi est-il important que les femmes soient de plus en plus nombreuses à rester dans la course politique. C'est là un des objectifs visés, et je crois qu'il vaut la peine de s’y investir. L'Union interparlementaire (UIP) fait un travail fabuleux, dont les effets s’inscrivent dans la continuité. Elle vise notamment à autonomiser les femmes et à les aider à reconnaître où se trouve le pouvoir et comment l'exercer et s’en servir, dans l’intérêt général et dans le leur en particulier.

iKNOW Politics: Bien que la répartition du pouvoir soit manifestement inégale, les femmes ont besoin de l'appui des hommes pour réaliser l'égalité. D’après votre expérience, quelles sont selon vous les meilleures stratégies pour intégrer les hommes dans les processus de promotion de l’égalité des sexes, en particulier dans le domaine de la participation politique?

Il est évident que l'égalité n’est pas une préoccupation spécifique aux femmes, mais un objectif général. Je crois que les progrès sont d’autant plus significatifs que nous nous associons la « complicité » des hommes et que la question devient une cause de la lutte pour l'égalité entre hommes et femmes. Nous avons clairement constaté ce fait en Espagne et, au risque de paraître quelque peu prétentieuse, j’en suis très fière. Au sein du PSOE, le parti auquel j'appartiens, le processus s’est fait de manière ininterrompue, quoique non sans difficultés, parce que l'école de pensée féministe-socialiste a vu le jour en Espagne très tôt, avec l’avènement du parti socialiste. En incitant et en constituant un groupe de pression, les femmes féministes ont œuvré et milité pour que les divers congrès de parti adoptent des résolutions visant à encourager la participation des femmes. De fait, le PSOE à été le premier à imposer un quota interne, qui est passé de 25 à 30 %. Ce processus n’a certainement pas manqué de profiter aussi aux hommes, parce qu’au final, toutes ces résolutions ont été adoptées par l’ensemble des organes du parti – les hommes les ont non seulement entérinées : ils ont voté pour elles et les ont approuvées.

Or, qu’observons-nous maintenant ? Nous avons fait un bond en avant qualitatif. Nous sommes passés du quota interne à l’instauration d’une réforme dans la loi électorale où, au-delà de la notion de quota, nous avons préconisé une présence équilibrée entre hommes et femmes, étant entendu que la participation des femmes à la politique – et, dans mon pays, nous représentons plus de la moitié de la population – ne fait qu’enrichir la démocratie. Je crois que l'alliance entre hommes et femmes s’est révélée très importante et tout aussi important, bien entendu, a été l'engagement d'un homme, un féministe, qui a fait de la promotion de la femme une priorité : José Luis Rodríguez Zapatero, président du PSOE et président de l'Etat espagnol. Il est un des nombreux hommes du PSOE qui ont mûri et compris que l'égalité est un défi, parce que l’inégalité est toujours présente – un constat d’autant plus important pour un parti comme le nôtre, qui se consacre depuis toujours à la lutte contre les inégalités.

L’évolution en Espagne n’est pas sans rappeler l’évolution qui se produit dans d'autres pays. Il y a une sorte de synergie : lorsqu’un parti considère la participation des femmes comme une valeur démocratique, les autres partis se sentent contraints de suivre le mouvement, même s’ils ne partagent pas cette idée. Cela devient un cercle vertueux : quand on fait un pas en avant, les autres doivent suivre le mouvement, parce que l’ensemble des citoyens les observent. L’Espagne a pris un engagement sérieux, même si le travail n’est jamais terminé parce qu’il s’agit d’une lutte de longue haleine. Quoi qu’il en soit, l’alliance des hommes et des femmes est à mon sens indispensable si nous voulons progresser.

iKNOW Politics: Dans votre réponse précédente, vous donnez des repères sur la nature de la participation des femmes à la politique espagnole. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur l'état actuel de la participation des femmes en politique, tant au sein des partis que des pouvoirs législatif ou exécutif?

La loi sur l’égalité, adoptée en 2007, est un grand pas en avant à tous les niveaux, parce qu’elle constitue la référence pour tous en indiquant quelles sont les obligations, non seulement des pouvoirs publics, mais également du monde de la culture, de l’éducation, des arts, des affaires et des syndicats, dans le domaine de la promotion de la femme et de sa participation à égalité. La loi dispose que ni l'un ni l'autre sexe ne sauraient être représentés à plus de 60 % ou à moins de 40 %. En dépit des recours pour anti constitutionalité invoqués contre elle, la réforme a vu sa validité confirmée par le Tribunal constitutionnel. C'est là un processus où les progrès se feront sentir dans la durée. A ce stade, je peux dire que, dans la sphère publique, les dernières élections autonomes et municipales ont débouché, avec le nouveau régime électoral, sur l’entrée en fonctions de 7 000 nouvelles femmes à des municipalités.

C’est ainsi qu’actuellement, plus de 23 000 femmes occupent des postes de maire ou de conseiller municipal. Dans le secteur des affaires en revanche, la loi ménage un délai de quatre ans pour l’intégration de femmes dans les organes de gestion. Cette mesure est considérée comme très audacieuse, puisque la loi pénètre dans la sphère privée. Mais l'Etat dispose de quelques outils pour le faire, de même que pour exiger l’instauration de plans pour l'égalité dans ce domaine. Bien que je ne puisse pas vous fournir les chiffres exacts, le volume des marchés publics en Espagne est très important. Il porte non seulement sur les services, mais aussi, notamment, sur l'infrastructure, les routes, les chemins de fer, l’épuration des eaux et l’assainissement dans son ensemble et le bâtiment et les travaux publics.

La future loi sur les marchés publics comporte une mesure d’incitation disposant que, parmi les entreprises réunissant les conditions d’une adjudication, seules les entreprises mettant en œuvre des plans pour l'égalité obtiendront des contrats ; son adoption nous permettra de voir combien d’entreprises vont élaborer de tels plans. Il existe actuellement des milliers d’entreprises qui offrent ce type de travaux. Nous appliquons ainsi l'égalité d’une manière intersectorielle. C’est justement au sein du pouvoir législatif que la participation est la plus élevée – à l’échelon des communautés autonomes, des municipalités ou des parlements. Au sein des autres pouvoirs, il nous reste encore beaucoup à faire. Dans la judiciaire, la présence des femmes demeure extrêmement faible. En ce moment en Espagne, plus de 50 % des juges sont des femmes, mais les femmes sont très peu présentes au sein de la Cour suprême, même si une d’elles est présidente de la Cour constitutionnelle. Le pouvoir judiciaire a besoin de renouvellement, de même que, notamment, l’armée, le Conseil économique et social ou la Cour des comptes.

iKNOW Politics: La loi espagnole sur l'égalité est un texte très progressiste. Elle révèle l’existence en Espagne d’un processus structuré et systématique dans ce domaine. Dans quel contexte sociopolitique la loi a-t-elle vu le jour ? La Commission parlementaire bicamérale des droits de la femme et de l'égalité des chances s’est-elle révélée fondamentale à cet égard?

Les organisations de femmes – qu’il s’agisse de groupes féministes ou autres qui ont défendu la cause féministe – ont joué un rôle clé en l’espèce. Ce sont les groupes de femmes au sein des partis politiques, du PSOE ou d’Izquierda Unida, qui ont décidé de poursuivre les efforts des féministes, ce qui s’est révélé une étape très importante pour l’Espagne. Certaines décisions capitales, comme la création de l'Institut de la femme, tout au début de l’ère démocratique, puis l’instauration, en 1988, de la Commission mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances, qui vient de fêter son 20ème anniversaire, sont le résultat de l'engagement de nombreux hommes et femmes.

Des hommes avec beaucoup de poids et de longues carrières politiques ont conféré à la commission son prestige, de même que le travail des femmes ayant récemment accédé au pouvoir. Si, actuellement, les femmes sont très nombreuses au sein de la commission, à ses débuts, l’un et l’autre sexe étaient pratiquement représentés à égalité. L'Institut et la Commission ont tous deux eu un effet imparable: deux pouvoirs – l’exécutif auquel appartient l'Institut, et le législatif, dont fait partie la Commission – ont rédigé des propositions très sérieuses et suscité une évolution sociale d’importance. Il ne faut pas oublier qu'actuellement en Espagne, nous en sommes à la mise en œuvre du quatrième plan sur l'égalité.

Ces plans sont le résultat de nombreuses années de travail. A la différence des autres toutefois, ce plan n’est pas une simple mesure de soutien ou d’encouragement : il s’agit aussi, comme je l'ai déjà dit, d’une mesure d’intervention. Par ailleurs, l'article 14 de notre Constitution, vieille de presque trente ans, consacre le principe de l'égalité et de la non-discrimination. Nous avons également un autre mandat impératif, qui s’adresse à l’ensemble des pouvoirs publics, celui de promouvoir les conditions d’une véritable égalité et de fomenter la participation politique, économique, sociale et culturelle de tous les citoyens et citoyennes. Toutefois – et je le répète – c’est lors du gouvernement du Président Rodríguez Zapatero que s’est produit le bond en avant qualitatif.

C'est une culture entièrement nouvelle qui s’impose dans les plus hautes sphères du pouvoir politique. Le Ministre du travail n’a-t-il pas déclaré que la Constitution ne saurait demeurer étrangère au monde de l'éducation, de l’entreprise ou des syndicats ? La Constitution s'applique non seulement à la vie publique, mais également à la vie privée. La loi sur l'égalité est puissante. Mais le travail le plus difficile et le plus long sera celui d’induire l’évolution sociale dont nous avons besoin.

Le problème de l'inégalité est lié à la culture du machisme profondément ancrée dans la société et dans la culture dominante de mon pays et des pays avoisinants. Une intervention dans le domaine de l'éducation est cruciale, tout autant que des mesures préventives. Cette loi est également un « code ». Nous l'appelons ainsi parce qu'elle a modifié 24 lois du pays, dont de nom réutilisés lois organiques: loi sur le travail, loi organique du pouvoir judiciaire, loi sur les contrats de l’Etat, Code civil, loi sur la sécurité sociale et autres. Elle constitue une révision de fond en comble et une reconnaissance de nouveaux droits. Je ne saurais pas non plus oublier l'appui financier. La loi a été présentée aux parlements fédéraux avec un budget de 400 millions d'euros et en est sortie avec une dotation de 490 millions d'euros. Cette loi servira de fondement pour notre travail exécutif et législatif pendant les dix années à venir.

iKNOW Politics: Il n’y a pas, en Espagne, de commission parlementaire de femmes. Pensez-vous qu’une telle instance soit dans tous les cas nécessaire ? Ou est-elle remplacée, en Espagne, par la Commission parlementaire mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances?

Effectivement, nous n'avons pas en Espagne ce que les pays d’Amérique latine appellent des commissions de femmes. Nos commissions parlementaires mixtes se composent de 42 membres – hommes et femmes – des deux chambres. Il règne, au sein de la Commission mixte des droits de la femme et de l'égalité des chances, un important esprit de consensus, parce que les questions que nous y soulevons sont très importantes, comme le droit à l'égalité, qui est un des droits de l'homme. Les différends politiques ne manquent pas au sein de la commission. Toutefois, le consensus y est facilement atteint parce qu’il y a une grande complicité entre les femmes de tous les partis. Il s’agit d’une commission permanente, à caractère non législatif mais qui doit connaître la législation élaborée dans toutes les commissions. Elle est habilitée à intervenir dans toutes les questions qui touchent à l’ensemble des commissions parlementaires. Elle examine toutes les questions préliminaires ainsi que la rédaction des lois. Elle entend des témoignages – non seulement de fonctionnaires du gouvernement, mais également d’agents sociaux et économiques, de représentants des milieux académiques et d’autres groupements.

D’une part, la Commission est chargée de surveiller l’application par les organes gouvernementaux des questions liées à l'égalité des sexes, à l'égalité de traitement et à l’égalité des chances. De l’autre, elle est chargée de mener des études et des recherches et de formuler des propositions au gouvernement et aux autres commissions parlementaires. Ainsi, une excellente présentation a été faite sur la prostitution en Espagne, qui a donné lieu à la soumission au pouvoir exécutif d’un plan en 37 points. Non contente d’exercer une sorte de contrôle législatif, la Commission entretient également un lien avec la société, au sein de laquelle se posent les vrais problèmes que la législation doit résoudre. Son travail dans ce secteur est très efficace.

iKNOW Politics: Au-delà des particularités de chaque pays, quelles étapes fondamentales recommanderiez-vous aux femmes parlementaires pour instaurer un système progressiste pour l'égalité et la participation des femmes en politique?

Je crois que les problèmes rencontrés en différents endroits du monde sont très semblables. J'ai entendu beaucoup de députées Latino-Américaines de différents pays dire qu'elles voulaient changer le système. C'est là un but très noble. Moi, je pense qu’il faudrait commencer par quelque chose de plus simple – comme, par exemple, mettre le système face à ses responsabilités, parce qu'il importe de prendre en compte le contexte théorique dans lequel évoluent les pays d’Amérique latine et les engagements politiques qu’ils ont contractés, tout récemment dans le cadre du Consensus de Quito. La signature d’accords est une très bonne chose. Pratiquement tous les pays d’Amérique latine ont signé la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son Protocole facultatif. Il ont également signé d'autres traités et résolutions du Parlement Latino-Américain.

Au chapitre de la lutte contre la violence, citons la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme (la Convention de Belém do Pará). En d'autres termes, il n'y a pas qu’une doctrine, il y a aussi un engagement politique. Avec ces outils, chaque parlement doit placer son gouvernement face à ses responsabilités. Il ne s’agit pas de demander l’impossible, mais de mettre en œuvre à la lettre les engagements internationaux que les pays d’Amérique latine ont souscrits. Souvent, les questions examinées ont déjà été réglées et approuvées par les gouvernements ; il ne reste donc plus qu’à œuvrer à l’adoption de règlements d’application. Si je ne suis pas bien placée pour donner mon avis sur le système des autres pays, je leur conseillerais de mettre le système face à ses responsabilités, de placer leurs gouvernements et leurs présidents face aux engagements qu'ils ont contractés à l’échelle internationale.

iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux ou le réseautage ont-ils eu sur votre carrière ? Les estimez-vous utiles? Dans ce contexte, que pensez-vous de l'initiative iKNOW Politics?

Je crois que le travail en réseau est extrêmement important. L'information et l'éducation sont essentielles. En effet, nul ne parvient à la vie professionnelle ou à une vie d'engagements sans des connaissances. On ne peut aimer ou apprécier ce que l’on ignore. D’après mon expérience, acquise au fil de nombreuses années, je constate avant tout un manque de formation. De nombreuses parlementaires – et je parle de parlementaires qui méconnaissent l’enchevêtrement des droits et obligations reconnus dans leurs pays respectifs – ont beaucoup de mal à formuler des revendications sur ces questions ou à en suivre l’évolution, simplement parce qu'elles ne les connaissent pas.

Les initiatives telles qu’iKNOW Politics sont très importantes. Premièrement, elle permet aux intéressés de se renseigner sur les bonnes pratiques mises en œuvre dans d'autres pays, de les évaluer et de décider si elles peuvent ou non être transposées dans leur pays au vu de la situation sociopolitique ou socioéconomique existante. Deuxièmement, elle nous permet de mettre en commun des informations sur notre expérience et notre vécu. La plateforme peut servir à examiner l’élaboration de lois, à recevoir des recommandations, des suggestions, etc. L’évolution de la société ne se fait pas en un jour, ni au lendemain de l’entrée en vigueur d'une loi : elle s’appuie sur une base durable, et je crois que des initiatives telles que la vôtre sont là pour que nous puissions nous aider mutuellement.

iKNOW Politics: Que conseilleriez-vous aux jeunes femmes qui s’intéressent à la politique mais qui perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?

Aujourd’hui, nous autres femmes n’avons aucune raison objective de nous sentir intimidées. Nous sommes désormais nombreuses à être instruites, et l'éducation et la culture ne nous sont plus étrangères. Nous savons qu'il existe des pays où il subsiste d’importants obstacles, mais nous avons tout ce qu’un être humain doit avoir – éducation, dévouement et motivation – pour participer aux mutations sociales qui se produisent dans notre environnement et pour nous y engager.

Les modalités de participation à la politique sont nombreuses. Le vote est un élément décisif, mais il ne reflète que la position d’un individu. Il est certes important, mais moi j’encouragerais les femmes à investir réellement l'appareil du pouvoir, qui est l’acteur du progrès ou, au contraire, de la régression. Je crois que nous autres femmes avons beaucoup à faire et beaucoup à apporter, en termes sociaux aussi bien que politiques.

Il est évident que certains rôles dévolus aux hommes ont fait leur temps. La politique a aussi besoin d’un regard nouveau, d’opinions nouvelles, qui témoignent des besoins et des problèmes concrets des hommes et des femmes. Nous autres femmes - peut-être parce que nous sommes plus opprimées – avons davantage les pieds sur terre et faisons preuve d’un réalisme qui nous rend plus à l’écoute des problèmes et des besoins, et mieux à même de trouver des solutions.

iKNOW Politics: Voudriez-vous ajouter une autre observation à l’adresse de nos lecteurs?

Je me suis toujours sentie très proche de la lutte pour l'égalité, où qu’elle soit menée. Je suis vouée à œuvrer pour l'égalité des femmes dans tous les domaines. Dans ma vie, j'ai combattu toute inégalité que j'ai constatée, partout où elle se produisait. Je m’engage toujours avec un même enthousiasme, que l’inégalité se produise dans le régime fiscal, l'éducation ou la santé. J’estime qu'il vaut la peine de s’investir pour améliorer la qualité de vie des êtres humains et pour les rendre plus heureux. Tel est, en fin de compte, le but du socialisme, et moi je suis, par-dessus tout, une femme socialiste.

 

 

Date de l'entretien
Région
ancienne sénatrice espagnole et première femme présidente d'une Communauté autonome

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