María Paula Romo
“Pour faire activement de la politique, il n'est pas nécessaire d'être candidate. L'engagement politique peut aussi passer par la musique, le théâtre, l'art, les graffitis et le militantisme. Ce sont des formes qui parlent beaucoup plus aux jeunes. Nous n'avons rien contre la politique au sens classique du terme, puisqu'elle permet de prendre des décisions et, pour faciliter la participation, nous avons éliminé le critère de l'âge jusqu'à présent appliqué par l'Equateur.” - María Paula Romo
iKNOW Politics: Merci infiniment d'avoir accepté cet entretien avec iKNOW Politics. Je voudrais commencer par vous demander de nous parler de votre expérience politique, y compris les défis auxquels vous avez été confrontée.
J'ai toujours aimé la politique. J'ai officiellement commencé à en faire à l'université, où j'ai présidé le gouvernement étudiant, ce qui m'a permis de me mettre en contact avec d'autres jeunes et représentantes du mouvement féministe. A l'époque, il existait un forum national de la jeunesse et, quelques années plus tard, nous avons lancé un mouvement politique pour les jeunes. On nous a appelés “la Ruptura de los 25” [Rupture des 25] car l'Equateur fêtait le 25e anniversaire de sa démocratie à l'époque et que nous avions aussi à peu près cet âge-là. Jusqu'alors, les personnes autorisées à donner leur avis en matière de politique étaient toujours les mêmes, tandis que nous étions des “marginaux.” Même aux scrutins présidentiels, on trouvait toujours les mêmes candidats. Nous avons donc fait notre apparition, en disant que 25 ans des mêmes histoires, c'était suffisant, qu'il fallait rompre ce cycle et en constituer un nouveau, faire œuvre de sensibilisation.
La crise institutionnelle était très complexe, cela faisait presque huit ans à l'époque qu'aucun président ne finissait son mandat. C'est ainsi que nous avons commencé à faire de la politique à l'échelon national, au-delà des groupes de jeunes et de l'université. Par la suite, nous avons décidé de rejoindre les rangs du Acuerdo País [Accord pour le pays] qui, allié aux partis politiques Movimiento País [Mouvement pour le pays] et Alianza País [Alliance pour le pays], soutenait la candidature de Rafael Correa Delgado à la Présidence et défendait la création d'une Assemblée constituante. Correa a remporté les élections présidentielles [en 2006] et nous avons défendu à ses côtés l'idée d'un référendum national visant à décider si le pays avait besoin d'une nouvelle constitution. 82 pour cent de la population nous a soutenus lors de ce référendum. Nous avons présenté nos listes de candidats à l'Assemblée constituante et j'étais tête de liste pour la province du Pichincha [2007]. Il s'agissait de l'une des rares listes emmenées par une femme, bien qu'il ait été exigé que 50 pour cent des candidats présentés sur ces listes soient des femmes, et que leur nom apparaisse en alternance avec celui des hommes depuis les premiers rangs de la liste, afin qu'elles ne soient pas simplement des remplaçantes [en toute fin de liste]. La participation aux élections de l'Assemblée constituante a été sans précédent dans toutes les couches sociales de l'Equateur.
iKNOW Politics: Quels sont les obstacles auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière politique, plutôt longue en dépit de votre jeune âge?
Je n'ai pas l'impression de faire de la politique depuis longtemps, même si mon engagement a été très intense. Nous avons mené un certain nombre de campagnes électorales, les unes après les autres: le référendum, l'Assemblée constituante, le référendum d'approbation. Notre principale difficulté est venue du fait que notre mouvement politique est encore tout jeune. L'Equateur est un pays dans lequel règne une très forte tradition de favoritisme politique. Il faut savoir prendre des décisions et travailler en équipe.
Dans l'Assemblée constituante [novembre 2007 – juillet 2008], 80 des 130 représentants étaient du parti au pouvoir. Nous avons commencé à apprendre à gérer la diversité, l'hétérogénéité des différentes positions adoptées au sein du groupe, à travailler au consensus et à adopter des positions communes, et je crois que nous y sommes arrivés. J'ai bien sûr été confrontée à des difficultés en tant que femme, particulièrement femme jeune. Je le dis car nous continuons à vivre dans une société dans laquelle les femmes ne sont pas les bienvenues dans certains domaines et je pense que la politique et la sphère publique et juridique (je suis avocate) sont restées des domaines réservés aux hommes. Dans ce pays, en tout cas, il en va ainsi.
Je crois donc que nous sommes sans cesse mises au défi de prouver notre valeur, nous sommes toujours testées et nous devons prouver que nous méritons notre place, ce qui n'est pas le cas pour nos homologues masculins, qui détiennent cette place de droit.
iKNOW Politics: Un certain nombre d'études révèlent que l'indifférence et le scepticisme règnent parmi les jeunes de la région. A en croire votre description, l'Equateur serait une exception. Pourriez-vous nous donner votre avis sur la question?
Je pense que l'idée que les jeunes aient démissionné dans le domaine politique vient du fait que la politique est réduite aux élections. Les jeunes d'Equateur et d'Amérique latine sont engagés dans la politique par d'autres biais, ce qui était l'un des messages que le mouvement “Rupture des 25” souhaitait faire passer. Pour s'engager activement en politique, il n'est pas indispensable d'être candidat. L'engagement politique peut aussi passer par la musique, le théâtre, l'art, les graffitis et le militantisme. Ce sont des formes qui parlent beaucoup plus aux jeunes. Nous n'avons rien contre la politique au sens classique du terme, puisqu'elle permet de prendre des décisions et, pour faciliter la participation, nous avons éliminé le critère de l'âge jusqu'à présent appliqué par l'Equateur.
En Equateur, il existait aussi des limites d'âge pour les ministres et les députés. La seule chose que nous ayons maintenue concerne le fait que tous les candidats doivent être majeurs [avoir au moins 18 ans]. En démocratie, le soutien du peuple compte beaucoup plus que l'âge. L'âge n'a rien à voir avec les capacités ni l'honnêteté, ce que nous avons souligné avec force. Nous avons aussi accordé un droit de vote facultatif aux jeunes entre 16 et 18 ans. En général en Equateur, les jeunes ont envie de participer à la politique. Une enquête réalisée parmi les jeunes donnera peut-être les mêmes résultats que ceux que vous mentionnez si elle parle des partis ou des usages politiques traditionnels, ce qui ne signifie pas que les jeunes se moquent de ce qui se passe dans leur pays ou dans le monde, ni que nous sommes confrontés à un vide sur le plan des propositions. C'est de la politique, le mouvement "Rupture" l'a bien montré et nous espérons rester des libres penseurs dans ce monde si traditionnel.
iKNOW Politics: En tant que membre d'un parti politique, quel panorama brosseriez-vous de l'engagement des femmes, et surtout des jeunes femmes, dans les partis politiques?
L'Amérique latine, et plus particulièrement l'Equateur, connaissent une crise des partis et de la représentation, qui est en train de nous obliger à repenser la façon dont les partis sont structurés et leurs objectifs. C'est ce qui se passe en ce moment en raison du fait que la nouvelle Constitution [2008] demande aux partis de redéposer des statuts, de redonner leur affiliation et de reformuler leur déclaration de principes, ainsi que leur programme de gouvernement, en vérifiant que tous ces partis bénéficient d'un soutien populaire. Nous nous sommes demandés quel type d'organisation politique nous souhaitons mettre en place et la réponse est que nous souhaitons une participation très active des citoyens: non pas des membres aveugles ou soumis, mais des membres capables d'émettre des critiques.
Nous souhaitons faire preuve de souplesse plutôt que de faire une différence entre ceux qui sont membres et ceux qui ne le sont pas, car un parti politique doit représenter les intérêts de la majorité, et pas seulement de ses membres. La constitution évoque très clairement les droits des femmes. Elle exige que la moitié de tous les dirigeants à tous les échelons des partis politiques soient des femmes, que la moitié de candidats sur les listes soient des femmes et que les responsables des organes de contrôle, qui sont désignés et non élus, soient aussi à cinquante pour cent des femmes. Ce qui constituait voici peu l'objectif du mouvement féministe équatorien, à savoir le respect des droits politiques des femmes, l'égalité, est aujourd'hui inscrit dans la constitution.
Nous avons résolu notre problème de “quantité” de représentation, mais nous devons maintenant nous attaquer à la question de la “qualité” de cette représentation. Les femmes ne défendent pas toujours la cause des femmes et les femmes candidates retombent parfois dans la pratique dans le système patriarcal, en reproduisant les schémas discriminatoires à l'égard d'autres femmes. C'est là notre défi: mettre en place une représentation ferme. Enfin, je pense que l'un des autres défis consiste à intégrer les hommes dans la défense de la cause des femmes. L'égalité n'est pas un problème de femmes, mais une question qui nous concerne tous.
iKNOW Politics: Quels avantages cette modification de la représentation des femmes a-t-elle entraînés?
En Equateur, la loi sur les quotas a été approuvée en 1997. Cette loi rendait obligatoire la présence de 30 pour cent de femmes sur les listes électorales et l'augmentation de 5 pour cent à chaque élection, jusqu'à atteindre la proportion de 50 pour cent. Cette loi, approuvée voici plus de 10 ans, n'a jamais été appliquée. Les partis politiques et leurs dirigeants ont toujours réussi à la contourner. Ils ont fait figurer 30 pour cent de femmes, mais tout en bas de la liste ou comme remplaçantes de candidats hommes.
C'est la raison pour laquelle les statuts du parti en vigueur lors des élections à l'Assemblée constituante étaient totalement clairs: 50 pour cent de femmes sur la liste signifiait qu'il y aurait un homme, une femme, un homme, une femme ou vice-versa. Aucune autre interprétation n'est acceptable. En outre, à 50 pour cent déjà, la formule de l'alternance et du rang s'applique et toutes les listes qui ne s'y plient pas sont refusées. Au terme d'années au cours desquelles toute sorte d'instruments et de règlements destinés à donner d'autres interprétations ont été approuvés, une décision politique a finalement été prise et la volonté s'est manifestée de réellement appliquer la règle des 50 pour cent.
iKNOW Politics: Le premier forum de discussion organisé par iKNOW Politics portait sur “L'élimination de la violence à l'égard des femmes faisant de la politique ” [10-14 déc. 2007]. L'association équatorienne de femmes municipalistes [AMUME] a pris la tête d'un projet de loi dans ce domaine. Que pensez-vous de ces efforts?
J'ai étudié la question avec des collègues femmes de l'Association équatorienne de femmes municipalistes [AMUME]. En ma qualité d'avocate, je ne pense pas qu'on puisse adapter les voies de recours à la catégorie de personnes concernée. Je ne considère pas cette proposition comme très orthodoxe sur le plan juridique. Par exemple, il ne faudrait pas prévoir un recours destiné aux “personnes emprisonnées,” mais plutôt protéger la liberté. Il convient de classer les recours en fonction du droit protégé, et non de la personne susceptible d'y faire appel. Il n'existe aucun recours particulier pour la protection des enfants, des personnes âgées, ou des personnes handicapées, mais bien des recours destinés à lutter contre les violations provoquées par la discrimination, des recours permettant de protéger la liberté et d'autres pour éviter les arrestations abusives.
C'est la raison pour laquelle je ne me sens pas en accord avec la façon dont ce projet de loi a été présenté. Je pense qu'il devrait mettre l'accent sur les droits protégés par le recours et non sur le sujet protégé. Je pense que les populations autochtones et afro-équatoriennes souffrent des mêmes harcèlements en politique. Il faudrait que ce projet de loi soit reformulé pour que chaque recours proposé soit envisagé du point de vue de la protection d'un ou de plusieurs droits.
iKNOW Politics: Comment le reformuleriez-vous?
En réalité, la nouvelle constitution prévoit six voies de recours différentes pour la protection immédiate, avec effet suspensif pour éviter toute violation des droits constitutionnels. Il me semble que ces dispositions répondent aux attentes des femmes dans ce domaine. J'ai parlé avec les femmes de l'AMUME et je pense que la prochaine étape consistera à créer des précédents juridiques, à choisir des cas emblématiques et à faire pression sur différents organes, par exemple la Cour constitutionnelle, pour prendre position en créant un précédent clair sur la question de la discrimination politique à l'égard des femmes. Il est très difficile d'inscrire ce type de question dans la loi en prévoyant toutes les situations possibles: prévoir un recours spécial si une femme n'est pas invitée à une réunion, un recours spécial en cas de discrimination relative au droit de prendre la parole, etc.
Je pense que, sur le plan juridique, il serait beaucoup plus utile de disposer d'une décision de la Cour constitutionnelle définissant clairement le comportement qui peut être considéré comme discriminatoire et ses conséquences, déterminer si le Conseil électoral doit intervenir, etc.
iKNOW Politics: Selon vous, quelles sont les trois principales stratégies à mettre en œuvre pour continuer à promouvoir l'accès des femmes et leur participation à la politique?
Il est exigé des femmes davantage de préparation, de compétences et de travail. Toutes les stratégies doivent tenir compte de ces exigences. Nous devons faire un gros effort pour renforcer nos capacités et apprendre les unes des autres. Nous devons être plus fortes que les hommes et imposer les initiatives des femmes. Nous devons faire preuve d'habileté dans la mise en œuvre des programmes pour lesquels nous avons été élues. Si notre présence dans le domaine politique ne suscite pas de changements dans la vie des femmes qui ne seront jamais candidates, je crois que nous n'atteignons pas notre objectif principal.
iKNOW Politics: Dans votre carrière politique, vous avez certainement dû constituer des alliances et utiliser des réseaux. Que pensez-vous de ce type de travail?
Oui, bien sûr. Le pouvoir s'exerce de bien des façons. Encore aujourd'hui, cet exercice suit le modèle masculin, que nous devons remettre en cause. Les réseaux et les alliances proposent un exercice du pouvoir différent, beaucoup plus horizontal. C'est un défi pour les hommes comme pour les femmes, puisque nous devons prouver que cette façon de travailler, de prendre des décisions, peut se révéler aussi efficace que l'autorité traditionnelle. C'est la grande question que nous nous posons, nous les femmes et les secteurs progressistes de la société équatorienne et latino-américaine: comment le pouvoir doit-il être exercé? Comment travailler en politique de façon plus inclusive, plus démocratique et horizontale?
iKNOW Politics: Quelles sont les suggestions que vous feriez aux femmes qui s'intéressent à la politique, mais considèrent ce domaine comme lointain et inaccessible?
La politique est difficile: Je dis toujours qu'il ne faut pas se lancer dans la politique en pensant que les choses seront faciles et que tout le monde sera satisfait. La politique est plus difficile qu'on ne le pense, mais le jeu en vaut la chandelle. Je ne suis pas douée pour donner des conseils et je n'aime guère en recevoir des autres non plus, mais je dirais que la politique offre des satisfactions qui en valent la peine. Assister à certaines réalisations rend la difficulté supportable. Il faut être active, courageuse, et ignorer ceux qui disent que nous ne sommes pas à la hauteur et que nous ferions mieux de faire autre chose. Nous devons nous préparer au quotidien. La participation des femmes doit être basée sur le courage, mais pas sur l'improvisation.
iKNOW Politics: Comment voudriez-vous qu'on se souvienne de vous? Quelle trace de votre engagement politique souhaiteriez-vous laisser?
Cela me paraît un peu prétentieux, les gens ne se souviendront peut-être même pas de mon nom. Quoi qu'il en soit, au terme de ma carrière politique, j'espère, en ce qui me concerne, que j'aurai le sentiment d'avoir été cohérente dans mon travail et mes engagements.
“Pour faire activement de la politique, il n'est pas nécessaire d'être candidate. L'engagement politique peut aussi passer par la musique, le théâtre, l'art, les graffitis et le militantisme. Ce sont des formes qui parlent beaucoup plus aux jeunes. Nous n'avons rien contre la politique au sens classique du terme, puisqu'elle permet de prendre des décisions et, pour faciliter la participation, nous avons éliminé le critère de l'âge jusqu'à présent appliqué par l'Equateur.” - María Paula Romo
iKNOW Politics: Merci infiniment d'avoir accepté cet entretien avec iKNOW Politics. Je voudrais commencer par vous demander de nous parler de votre expérience politique, y compris les défis auxquels vous avez été confrontée.
J'ai toujours aimé la politique. J'ai officiellement commencé à en faire à l'université, où j'ai présidé le gouvernement étudiant, ce qui m'a permis de me mettre en contact avec d'autres jeunes et représentantes du mouvement féministe. A l'époque, il existait un forum national de la jeunesse et, quelques années plus tard, nous avons lancé un mouvement politique pour les jeunes. On nous a appelés “la Ruptura de los 25” [Rupture des 25] car l'Equateur fêtait le 25e anniversaire de sa démocratie à l'époque et que nous avions aussi à peu près cet âge-là. Jusqu'alors, les personnes autorisées à donner leur avis en matière de politique étaient toujours les mêmes, tandis que nous étions des “marginaux.” Même aux scrutins présidentiels, on trouvait toujours les mêmes candidats. Nous avons donc fait notre apparition, en disant que 25 ans des mêmes histoires, c'était suffisant, qu'il fallait rompre ce cycle et en constituer un nouveau, faire œuvre de sensibilisation.
La crise institutionnelle était très complexe, cela faisait presque huit ans à l'époque qu'aucun président ne finissait son mandat. C'est ainsi que nous avons commencé à faire de la politique à l'échelon national, au-delà des groupes de jeunes et de l'université. Par la suite, nous avons décidé de rejoindre les rangs du Acuerdo País [Accord pour le pays] qui, allié aux partis politiques Movimiento País [Mouvement pour le pays] et Alianza País [Alliance pour le pays], soutenait la candidature de Rafael Correa Delgado à la Présidence et défendait la création d'une Assemblée constituante. Correa a remporté les élections présidentielles [en 2006] et nous avons défendu à ses côtés l'idée d'un référendum national visant à décider si le pays avait besoin d'une nouvelle constitution. 82 pour cent de la population nous a soutenus lors de ce référendum. Nous avons présenté nos listes de candidats à l'Assemblée constituante et j'étais tête de liste pour la province du Pichincha [2007]. Il s'agissait de l'une des rares listes emmenées par une femme, bien qu'il ait été exigé que 50 pour cent des candidats présentés sur ces listes soient des femmes, et que leur nom apparaisse en alternance avec celui des hommes depuis les premiers rangs de la liste, afin qu'elles ne soient pas simplement des remplaçantes [en toute fin de liste]. La participation aux élections de l'Assemblée constituante a été sans précédent dans toutes les couches sociales de l'Equateur.
iKNOW Politics: Quels sont les obstacles auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière politique, plutôt longue en dépit de votre jeune âge?
Je n'ai pas l'impression de faire de la politique depuis longtemps, même si mon engagement a été très intense. Nous avons mené un certain nombre de campagnes électorales, les unes après les autres: le référendum, l'Assemblée constituante, le référendum d'approbation. Notre principale difficulté est venue du fait que notre mouvement politique est encore tout jeune. L'Equateur est un pays dans lequel règne une très forte tradition de favoritisme politique. Il faut savoir prendre des décisions et travailler en équipe.
Dans l'Assemblée constituante [novembre 2007 – juillet 2008], 80 des 130 représentants étaient du parti au pouvoir. Nous avons commencé à apprendre à gérer la diversité, l'hétérogénéité des différentes positions adoptées au sein du groupe, à travailler au consensus et à adopter des positions communes, et je crois que nous y sommes arrivés. J'ai bien sûr été confrontée à des difficultés en tant que femme, particulièrement femme jeune. Je le dis car nous continuons à vivre dans une société dans laquelle les femmes ne sont pas les bienvenues dans certains domaines et je pense que la politique et la sphère publique et juridique (je suis avocate) sont restées des domaines réservés aux hommes. Dans ce pays, en tout cas, il en va ainsi.
Je crois donc que nous sommes sans cesse mises au défi de prouver notre valeur, nous sommes toujours testées et nous devons prouver que nous méritons notre place, ce qui n'est pas le cas pour nos homologues masculins, qui détiennent cette place de droit.
iKNOW Politics: Un certain nombre d'études révèlent que l'indifférence et le scepticisme règnent parmi les jeunes de la région. A en croire votre description, l'Equateur serait une exception. Pourriez-vous nous donner votre avis sur la question?
Je pense que l'idée que les jeunes aient démissionné dans le domaine politique vient du fait que la politique est réduite aux élections. Les jeunes d'Equateur et d'Amérique latine sont engagés dans la politique par d'autres biais, ce qui était l'un des messages que le mouvement “Rupture des 25” souhaitait faire passer. Pour s'engager activement en politique, il n'est pas indispensable d'être candidat. L'engagement politique peut aussi passer par la musique, le théâtre, l'art, les graffitis et le militantisme. Ce sont des formes qui parlent beaucoup plus aux jeunes. Nous n'avons rien contre la politique au sens classique du terme, puisqu'elle permet de prendre des décisions et, pour faciliter la participation, nous avons éliminé le critère de l'âge jusqu'à présent appliqué par l'Equateur.
En Equateur, il existait aussi des limites d'âge pour les ministres et les députés. La seule chose que nous ayons maintenue concerne le fait que tous les candidats doivent être majeurs [avoir au moins 18 ans]. En démocratie, le soutien du peuple compte beaucoup plus que l'âge. L'âge n'a rien à voir avec les capacités ni l'honnêteté, ce que nous avons souligné avec force. Nous avons aussi accordé un droit de vote facultatif aux jeunes entre 16 et 18 ans. En général en Equateur, les jeunes ont envie de participer à la politique. Une enquête réalisée parmi les jeunes donnera peut-être les mêmes résultats que ceux que vous mentionnez si elle parle des partis ou des usages politiques traditionnels, ce qui ne signifie pas que les jeunes se moquent de ce qui se passe dans leur pays ou dans le monde, ni que nous sommes confrontés à un vide sur le plan des propositions. C'est de la politique, le mouvement "Rupture" l'a bien montré et nous espérons rester des libres penseurs dans ce monde si traditionnel.
iKNOW Politics: En tant que membre d'un parti politique, quel panorama brosseriez-vous de l'engagement des femmes, et surtout des jeunes femmes, dans les partis politiques?
L'Amérique latine, et plus particulièrement l'Equateur, connaissent une crise des partis et de la représentation, qui est en train de nous obliger à repenser la façon dont les partis sont structurés et leurs objectifs. C'est ce qui se passe en ce moment en raison du fait que la nouvelle Constitution [2008] demande aux partis de redéposer des statuts, de redonner leur affiliation et de reformuler leur déclaration de principes, ainsi que leur programme de gouvernement, en vérifiant que tous ces partis bénéficient d'un soutien populaire. Nous nous sommes demandés quel type d'organisation politique nous souhaitons mettre en place et la réponse est que nous souhaitons une participation très active des citoyens: non pas des membres aveugles ou soumis, mais des membres capables d'émettre des critiques.
Nous souhaitons faire preuve de souplesse plutôt que de faire une différence entre ceux qui sont membres et ceux qui ne le sont pas, car un parti politique doit représenter les intérêts de la majorité, et pas seulement de ses membres. La constitution évoque très clairement les droits des femmes. Elle exige que la moitié de tous les dirigeants à tous les échelons des partis politiques soient des femmes, que la moitié de candidats sur les listes soient des femmes et que les responsables des organes de contrôle, qui sont désignés et non élus, soient aussi à cinquante pour cent des femmes. Ce qui constituait voici peu l'objectif du mouvement féministe équatorien, à savoir le respect des droits politiques des femmes, l'égalité, est aujourd'hui inscrit dans la constitution.
Nous avons résolu notre problème de “quantité” de représentation, mais nous devons maintenant nous attaquer à la question de la “qualité” de cette représentation. Les femmes ne défendent pas toujours la cause des femmes et les femmes candidates retombent parfois dans la pratique dans le système patriarcal, en reproduisant les schémas discriminatoires à l'égard d'autres femmes. C'est là notre défi: mettre en place une représentation ferme. Enfin, je pense que l'un des autres défis consiste à intégrer les hommes dans la défense de la cause des femmes. L'égalité n'est pas un problème de femmes, mais une question qui nous concerne tous.
iKNOW Politics: Quels avantages cette modification de la représentation des femmes a-t-elle entraînés?
En Equateur, la loi sur les quotas a été approuvée en 1997. Cette loi rendait obligatoire la présence de 30 pour cent de femmes sur les listes électorales et l'augmentation de 5 pour cent à chaque élection, jusqu'à atteindre la proportion de 50 pour cent. Cette loi, approuvée voici plus de 10 ans, n'a jamais été appliquée. Les partis politiques et leurs dirigeants ont toujours réussi à la contourner. Ils ont fait figurer 30 pour cent de femmes, mais tout en bas de la liste ou comme remplaçantes de candidats hommes.
C'est la raison pour laquelle les statuts du parti en vigueur lors des élections à l'Assemblée constituante étaient totalement clairs: 50 pour cent de femmes sur la liste signifiait qu'il y aurait un homme, une femme, un homme, une femme ou vice-versa. Aucune autre interprétation n'est acceptable. En outre, à 50 pour cent déjà, la formule de l'alternance et du rang s'applique et toutes les listes qui ne s'y plient pas sont refusées. Au terme d'années au cours desquelles toute sorte d'instruments et de règlements destinés à donner d'autres interprétations ont été approuvés, une décision politique a finalement été prise et la volonté s'est manifestée de réellement appliquer la règle des 50 pour cent.
iKNOW Politics: Le premier forum de discussion organisé par iKNOW Politics portait sur “L'élimination de la violence à l'égard des femmes faisant de la politique ” [10-14 déc. 2007]. L'association équatorienne de femmes municipalistes [AMUME] a pris la tête d'un projet de loi dans ce domaine. Que pensez-vous de ces efforts?
J'ai étudié la question avec des collègues femmes de l'Association équatorienne de femmes municipalistes [AMUME]. En ma qualité d'avocate, je ne pense pas qu'on puisse adapter les voies de recours à la catégorie de personnes concernée. Je ne considère pas cette proposition comme très orthodoxe sur le plan juridique. Par exemple, il ne faudrait pas prévoir un recours destiné aux “personnes emprisonnées,” mais plutôt protéger la liberté. Il convient de classer les recours en fonction du droit protégé, et non de la personne susceptible d'y faire appel. Il n'existe aucun recours particulier pour la protection des enfants, des personnes âgées, ou des personnes handicapées, mais bien des recours destinés à lutter contre les violations provoquées par la discrimination, des recours permettant de protéger la liberté et d'autres pour éviter les arrestations abusives.
C'est la raison pour laquelle je ne me sens pas en accord avec la façon dont ce projet de loi a été présenté. Je pense qu'il devrait mettre l'accent sur les droits protégés par le recours et non sur le sujet protégé. Je pense que les populations autochtones et afro-équatoriennes souffrent des mêmes harcèlements en politique. Il faudrait que ce projet de loi soit reformulé pour que chaque recours proposé soit envisagé du point de vue de la protection d'un ou de plusieurs droits.
iKNOW Politics: Comment le reformuleriez-vous?
En réalité, la nouvelle constitution prévoit six voies de recours différentes pour la protection immédiate, avec effet suspensif pour éviter toute violation des droits constitutionnels. Il me semble que ces dispositions répondent aux attentes des femmes dans ce domaine. J'ai parlé avec les femmes de l'AMUME et je pense que la prochaine étape consistera à créer des précédents juridiques, à choisir des cas emblématiques et à faire pression sur différents organes, par exemple la Cour constitutionnelle, pour prendre position en créant un précédent clair sur la question de la discrimination politique à l'égard des femmes. Il est très difficile d'inscrire ce type de question dans la loi en prévoyant toutes les situations possibles: prévoir un recours spécial si une femme n'est pas invitée à une réunion, un recours spécial en cas de discrimination relative au droit de prendre la parole, etc.
Je pense que, sur le plan juridique, il serait beaucoup plus utile de disposer d'une décision de la Cour constitutionnelle définissant clairement le comportement qui peut être considéré comme discriminatoire et ses conséquences, déterminer si le Conseil électoral doit intervenir, etc.
iKNOW Politics: Selon vous, quelles sont les trois principales stratégies à mettre en œuvre pour continuer à promouvoir l'accès des femmes et leur participation à la politique?
Il est exigé des femmes davantage de préparation, de compétences et de travail. Toutes les stratégies doivent tenir compte de ces exigences. Nous devons faire un gros effort pour renforcer nos capacités et apprendre les unes des autres. Nous devons être plus fortes que les hommes et imposer les initiatives des femmes. Nous devons faire preuve d'habileté dans la mise en œuvre des programmes pour lesquels nous avons été élues. Si notre présence dans le domaine politique ne suscite pas de changements dans la vie des femmes qui ne seront jamais candidates, je crois que nous n'atteignons pas notre objectif principal.
iKNOW Politics: Dans votre carrière politique, vous avez certainement dû constituer des alliances et utiliser des réseaux. Que pensez-vous de ce type de travail?
Oui, bien sûr. Le pouvoir s'exerce de bien des façons. Encore aujourd'hui, cet exercice suit le modèle masculin, que nous devons remettre en cause. Les réseaux et les alliances proposent un exercice du pouvoir différent, beaucoup plus horizontal. C'est un défi pour les hommes comme pour les femmes, puisque nous devons prouver que cette façon de travailler, de prendre des décisions, peut se révéler aussi efficace que l'autorité traditionnelle. C'est la grande question que nous nous posons, nous les femmes et les secteurs progressistes de la société équatorienne et latino-américaine: comment le pouvoir doit-il être exercé? Comment travailler en politique de façon plus inclusive, plus démocratique et horizontale?
iKNOW Politics: Quelles sont les suggestions que vous feriez aux femmes qui s'intéressent à la politique, mais considèrent ce domaine comme lointain et inaccessible?
La politique est difficile: Je dis toujours qu'il ne faut pas se lancer dans la politique en pensant que les choses seront faciles et que tout le monde sera satisfait. La politique est plus difficile qu'on ne le pense, mais le jeu en vaut la chandelle. Je ne suis pas douée pour donner des conseils et je n'aime guère en recevoir des autres non plus, mais je dirais que la politique offre des satisfactions qui en valent la peine. Assister à certaines réalisations rend la difficulté supportable. Il faut être active, courageuse, et ignorer ceux qui disent que nous ne sommes pas à la hauteur et que nous ferions mieux de faire autre chose. Nous devons nous préparer au quotidien. La participation des femmes doit être basée sur le courage, mais pas sur l'improvisation.
iKNOW Politics: Comment voudriez-vous qu'on se souvienne de vous? Quelle trace de votre engagement politique souhaiteriez-vous laisser?
Cela me paraît un peu prétentieux, les gens ne se souviendront peut-être même pas de mon nom. Quoi qu'il en soit, au terme de ma carrière politique, j'espère, en ce qui me concerne, que j'aurai le sentiment d'avoir été cohérente dans mon travail et mes engagements.