Martha Roldós
"Je fais de la politique parce que je souhaite voir advenir certaines choses plutôt que d'autres. C'est en fonction de cela que je décide avec qui je m'allie, avec qui je discute, mais aussi avec qui je ne m'allierai pas et ne discuterai pas. Si je commence à réfléchir à qui est le plus célèbre, qui passe devant la caméra et que je me bats pour ça, je trahis mon engagement et je suis perdue, pire même: c'est mon engagement qui disparaît.” – Martha Roldós
iKNOW Politics: Vous êtes née dans une famille de politiciens. Comment ces antécédents influent-ils sur votre participation politique?
Mon père, Jaime Roldós Aguilera, a été Président de l'Equateur (1979-1981) et il est décédé avec ma mère en 1981, dans un accident d'avion dont les circonstances n'ont jamais été éclaircies. Abdalá Bucarám (1996-1997), un frère de ma mère, a aussi été Président de la République (1996-1997). J'étais à l'époque dans l'opposition. Mon ex-mari est le neveu d'Omar Torrijos, ancien Président de Panama. Si je n'étais pas engagée activement dans la politique, elle n'en était pas moins un sujet d'intérêt pour moi. J'ai étudié l'économie, la politique internationale et la sociologie.
J'ai toujours lu et suivi la politique de mon pays. León Roldós, le frère de mon père, socialiste, a été Vice-président de la République (1981-1984). Il a fondé le mouvement "Red Ética y Democracia" (Réseau éthique et démocratie), dans lequel je milite. J'ai fait de la politique pendant mes années d'université, mais c'est récemment, au cours des élections de 2006, que j'ai fait mon entrée sur la scène politique nationale. C'est en 2006 que j'ai été élue député au Congrès national, au moment de l'entrée en fonction du gouvernement du Président Rafael Correa Delgado (qui est intervenue en janvier 2007). J'ai été député pendant six mois avant de renoncer à mes fonctions pour présenter ma candidature à l'Assemblée nationale constituante, projet lancé par notre mouvement "Red Ética y Democracia".
L'Assemblée constituante était une aspiration des mouvements sociaux, des mouvements politiques progressistes et d'un nombre considérable de citoyens. J'ai été élue membre de l'Assemblée, qui a siégé de novembre 2007 à juillet 2008. Une fois la nouvelle constitution approuvée (2008), un régime de transition comportant une Commission législative sur la fiscalité (octobre 2008 – février 2009), au sein de laquelle certaines et certains d'entre nous avons continué à remplir des fonctions d'élaboration de la législation et de la fiscalité, a été mis en place. J'ai toujours été au centre-gauche, à chaque fois un peu plus à gauche, je crois, animée par un profond intérêt pour la question écologique et la parité. Pour moi, les questions d'écologie sont vitales, défendre l'environnement c'est défendre la vie. Il s'agit de l'une des causes les plus importantes des mouvements sociaux et autochtones. C'est un versant de la politique auquel je m'identifie tout à fait.
iKNOW Politics: L'Equateur a connu ces dernières années des changements extrêmement rapides. Comment voyez-vous les progrès réalisés par la cause des femmes, notamment leur participation politique?
Je crois que nous avons avancé en Equateur, ces dernières années. Nous nous sommes efforcés d'instaurer la parité par la loi, mais le plus important est que nous avons avancé dans la pratique: c'est justement au moment de l'Assemblée constituante que la participation féminine a été la plus forte. Un grand nombre de listes étaient emmenées par des femmes, ce qui nous a permis de faire un saut qualitatif. Nous avons réussi à obtenir, non seulement la parité, mais aussi l'alternance sur les listes. Auparavant, sur une liste de dix-huit noms, par exemple, les neuf derniers noms étaient ceux des femmes. Aujourd'hui, il faut alterner.
De fait, à l'Assemblée constituante, nous étions presque 40%. Quand la Commission législative sur la fiscalité a été élue, certains et certaines d'entre nous se sont opposés à ce que sa composition se base sur le nombre de membres de l'Assemblée, car nous considérions comme très difficile de préserver à la fois la proportionnalité par province, par force politique et par sexe. Une fois de plus, c'est la proportionnalité par sexe qui a été sacrifiée. Ceci étant, la présence de femmes ne fait pas nécessairement avancer la cause des femmes. La plus grande opposition à la cause des femmes, sur le plan de la santé sexuelle et génésique, est venue d'autres femmes, membres des partis de droite. Elles avaient un programme, un menu dirais-je, identique à celui qui a été proposé dans d'autres pays d'Amérique latine, inspiré des prises de position du Vatican, de certaines églises protestantes et du gouvernement de George Bush (ancien Président des Etats-Unis, 2001-2009). Leurs prises de position allaient à l'encontre de celles d'institutions internationales telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), source d'inspiration pour un grand nombre de membres de l'Assemblée en ce qui concerne les femmes et la parité.
iKNOW Politics: Les quotas ne suffisent pas, affirment un grand nombre de spécialistes, ce que confirment les études; il faudrait accompagner les autres lois adoptées en faveur des femmes, qui ne sont pas suffisantes non plus, de toute une structure sociale et législative. Sur la base de votre expérience, quelles sont les stratégies qu'il faudrait mettre en place pour concrétiser les changements structurels requis sur ce plan?
Effectivement, les quotas de candidatures ne suffisent pas. Sur ce plan, notre plus grande réussite a été l'obtention de l'alternance sur les listes. Il faut faire en sorte que davantage de femmes soient désignées et élues au parlement. Je crois que les partis politiques devraient se plier à une réglementation interne les obligeant à prendre au sérieux la candidature des femmes. Il arrive fréquemment que ces candidatures soient offertes à des reines de beauté, qui servent à appâter les électeurs.
Pour que les quotas soient efficaces, les partis doivent avoir des structures permettant aux femmes qui sont membres de participer. Nous éviterions ainsi que les candidatures féminines ne soient attribuées à des femmes étrangères aux partis, mais célèbres ou bien introduites dans les moyens de communication. Sur un autre plan, et c'est très intéressant, la participation politique des femmes ne se réduit pas aux partis et aux élections. Il existe d'autres formes de participation, à l'instar de la participation à des groupes opposés à la loi sur l'extraction minière, dans lesquels je suis moi-même engagée.
Les femmes sont très nombreuses parmi les défenseurs des communautés contre l'industrie minière et c'est aux femmes qu'il faut donner davantage d'espace. Je crois que c'est intéressant. C'est quand on monte au créneau avec la communauté, pour la souveraineté alimentaire, pour l'eau, contre l'industrie minière, que l'on rencontre le plus grand nombre de femmes montrant un degré d'engagement et de participation très élevé. Un grand nombre de nos camarades ont été diabolisées pour leur lutte contre l'industrie minière, par exemple Lina Solano ou Esther Landeta, menacée de mort par des tueurs à gages. Il est intéressant de relever que, dans ces autres espaces politiques, les femmes ont pris beaucoup d'importance et sont en général les plus persécutées.
iKNOW Politics: Et dans la société, quelles sont les stratégies qui vous paraissent les plus efficaces pour lutter contre la vision machiste et patriarcale qui tient pour illégitime la demande de parité émanant des femmes?
Je pense qu'il faudrait une stratégie de communication permettant de battre en brèche le machisme généralisé de la société. Mais nous les femmes qui font de la politique, nous devrions aussi être à la hauteur de notre fonction et ne pas nous laisser intimider. La façon la plus courante d'intimider une femme consiste à la menacer de révéler des aspects de sa vie personnelle, des points qui n'auraient pas la moindre importance dans la vie d'un homme.
Le moment est venu pour nous les femmes qui faisons de la politique de dire: "oui, et alors?" J'ai entendu parler d'une femme de droite qui a cessé de s'opposer au Président de l'Equateur (Rafael Correa Delgado) lorsque celui-ci a affirmé à la radio qu'elle avait une réputation douteuse. Je ne suis d'accord avec aucune des prises de position de cette femme, mais personne n'a le droit de l'attaquer ainsi. Pour notre part, nous ne remettons en cause la réputation de personne et nous ne parlons pas des partenaires sexuels des hommes qui font de la politique.
L'une des premières choses à faire serait de prendre des sanctions sévères à l'égard de ces campagnes, quel qu'en soit l'auteur. Il s'agit d'une discrimination inacceptable. C'est très pénible lorsque ces rumeurs atteignent les oreilles des enfants d'une femme et ce n'est pas facile pour la majeure partie des femmes. Pourtant, il faut apprendre aux enfants à répondre: "Oui, et alors? Ma vie privée ne regarde que moi". Il faut commencer à respecter la vie privée des femmes qui font de la politique, il n'y aucune raison qu'elle fasse l'objet de mépris ni de discussions politiques. Nous devrions être plus strictes dans la législation. Il faudrait que ce type de comportement soit apparenté à du harcèlement, à de la discrimination, quel qu'en soit l'auteur. Enfin, je crois que la question du financement de la campagne des femmes est de la plus haute importance. Il est beaucoup plus difficile aux femmes qu'aux hommes de réussir à financer leur campagne. Les choses se compliquent, prennent un tour personnel, il faudrait commencer à réfléchir à cette question.
iKNOW Politics: L'Association des femmes municipalistes d'Equateur (AMUME) a élaboré un projet de loi sur le harcèlement et la violence à l'égard des femmes engagées en politique. Que pensez-vous de ce travail?
Je connais cette initiative, qui m’a été présentée par Margarita Carranco, Présidente de l'AMUME. Un grand nombre de femmes a été menacé. C'est peut-être moins fréquent dans l'enceinte parlementaire, car nous sommes plus visibles, mais cela arrive très souvent à l'échelon municipal, surtout pour les femmes conseillères. Une amie à moi, qui est conseillère représentant le même mouvement que moi, a été intimidée à Santo Domingo pour avoir porté plainte pour corruption contre le maire. Les menaces font partie intégrante de la stratégie politique et, dans les petites communautés, les menaces sont physiques. C'est encore plus grave dans le cas d'une femme, car la menace physique voile la menace de violences d'une autre nature, sexuelle par exemple, ou de commentaires injurieux, ou de harcèlement.
iKNOW Politics: Les populations autochtones sont très importantes dans la région et l'Equateur est l'un des pays les plus représentatifs sur ce plan. Comment voyez-vous la situation des femmes autochtones équatoriennes sur le plan politique? Comment pensez-vous que leur situation évoluera à l'avenir?
Il y a des femmes autochtones équatoriennes engagées en politique, par exemple Mónica Chuji, qui représente non seulement les femmes autochtones, mais aussi les femmes en général et qui défend leurs intérêts avec beaucoup de conviction dans le domaine de la santé sexuelle et génésique. Je me rappelle la participation remarquée de femmes des mouvements sociaux du Chimborazo, par exemple notre camarade Cucuri, qui a demandé à ce que, quand on reconnaîtra les droits des peuples ancestraux, on exige aussi d'eux en échange qu'ils respectent les droits des femmes. Ici, en Equateur, la participation, de qualité élevée, augmente, depuis Nina Pacari en passant par Lourdes Vivan, Dolores Cacuango, Blanca Chancoso, et beaucoup d'autres dont le nom m'échappe. Il faut nourrir ce processus, nos camarades demandent à être entendues dans leur communauté et dans la collectivité, et cet espace doit être respecté par toutes et tous.
iKNOW Politics: Quelle difficulté a représenté pour vous l'obligation de vous imposer dans un milieu majoritairement masculin comme la politique? Comment avez-vous relevé ce défi?
Quand je suis arrivée au Congrès national, nous étions six représentants et représentantes de la "Red Ética y Democracia" et il a été décidé de me nommer chef de file, ce qui a donné beaucoup de fil à retordre aux chefs des autres blocs. L'un d'entre eux ne s'adressait d'ailleurs jamais à moi, mais à ses camarades, lorsque nous étions censés négocier quelque chose. Eux lui disaient: “non, la responsable de cette question c'est Martha, c'est à elle que tu dois t'adresser”, mais il s'y refusait, car nous nous étions déjà trouvés dans l'impasse sur d'autres sujets. En fin de compte, il a fallu que son bloc le remplace par quelqu'un qui réussissait à dialoguer avec moi comme avec tous les autres. Je crois qu'il faut se faire respecter, au début c'est difficile, quand on arrive on est timide, un peu impressionnée. L'une des choses que l'on apprend lorsqu'on fait de la politique c'est de ne pas avoir peur de passer pour une sorcière. On peut passer pour une sorcière aux yeux de ceux qui nous attaquent et être généreuse et avoir le cœur, la tête et les bras ouverts pour les causes qui le méritent.
iKNOW Politics: Quelles stratégies recommanderiez-vous pour faire alliance avec les hommes en faveur de l'égalité des sexes?
Je collabore très bien avec la majeure partie des hommes. Il faut d'abord avoir le sens de l'humour, savoir discuter et être franche, mettre cartes sur table: ce que je veux moi et ce que tu veux toi. Pour autant qu'on n'y aille pas par quatre chemins, on peut nouer les alliances qu'on veut ou dont on a besoin. Si quelqu'un tergiverse, cela veut probablement dire qu'il n'a pas envie d'être ton allié. Je crois que le temps presse aujourd'hui et que les causes sont urgentes. Nous devons aller de l'avant avec détermination, dans un esprit de camaraderie et avec le sens de l'humour, c'est le plus important pour moi. Au début on peut recevoir des coups d'œil dédaigneux, mais pour finir tout le monde reconnaît la capacité de travail de quelqu'un qui arrive avant les autres, qui en sait plus et repart après tout le monde. Il est évident que c'est très difficile et injuste, car on devrait pouvoir être sur un pied d'égalité et ne pas devoir en faire plus, mais au début c'est pourtant ce qu'il faut faire. Cela a toujours été le destin des femmes: en faire beaucoup plus. Il faut prouver que l'on est au moins aussi bien préparée et formée que n'importe quel homme.
iKNOW Politics: Au cours de votre trajectoire, vous avez eu l'occasion de travailler dans des réseaux, des alliances. Quelle signification ce travail a-t-il eu pour vous?
J'ai pris part à des réseaux temporaires, et j'ai également très bien travaillé avec des groupes de femmes et des écologistes sur un certain nombre de sujets ponctuels. Ce qui est essentiel pour que ces réseaux fonctionnent, c'est de s'engager dans une cause commune. Si tel est le cas, on peut impulser ou diriger, peu importe. Je crois que les luttes de pouvoir sont néfastes, il faut développer ses capacités de meneuse sans forcer les choses. On constate alors qu'il existe beaucoup de programmes pour apprendre aux gens à devenir des leaders qui, selon moi, alimentent l'arrivisme politique. Ces programmes sont souvent totalement creux et ne se réfèrent en rien aux causes à défendre, mais uniquement aux postes à occuper. On peut peut-être se faire une place au soleil, mais autour d'un vide, et en fin de compte les nouveaux "leaders", masculins ou féminins, feront la même chose que tous ceux qui les ont précédés.
Lorsqu'on défend une cause avec passion et engagement, on a toutes les chances de devenir un leader. Personnellement, je n'aime pas diriger la lutte pour certaines causes, si quelqu'un d'autre peut faire mieux que moi je ne vois pas d'objection à lui laisser la place. Parfois, lorsqu'on s'engage à fond en faveur d'une cause, on réalise que peu de gens sont disposés à aller aussi loin. C'est un rôle de leader qui en vaut la peine, le rôle de leader qui naît d'un engagement réel en faveur d'une cause et non le rôle de leader qui vient du désir de voir son nom apparaître devant celui de tous les autres. Je fais de la politique parce que je souhaite voir advenir certaines choses plutôt que d'autres. C'est en fonction de cela que je décide avec qui je m'allie, avec qui je discute, mais aussi avec qui je ne m'allierai pas et ne discuterai pas. Si je commence à réfléchir à qui est le plus célèbre, qui passe devant la caméra et que je me bats pour ça, je trahis mon engagement et je suis perdue, pire même: c'est mon engagement qui disparaît.
iKNOW Politics: Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes (non seulement équatoriennes, mais de la région) intéressées par l'engagement politique, mais considérant la politique comme inaccessible?
Cela peut sembler curieux, mais nombreux seront peut-être ceux qui penseront que je suis dans le cas de la petite fille qui veut être trapéziste comme toute sa famille. Cela paraît facile. Il en va tout autrement de la petite fille qui rentre à la maison après le cirque et qui dit qu'elle aussi voudrait y vivre. Je connais toutefois un grand nombre de femmes ayant joué un rôle important en politique sans antécédents familiaux dans ce domaine. En fait, j'ai refusé pendant longtemps de faire de la politique et je m'y suis lancée, non pas grâce à mes antécédents, mais parce que je souhaitais m'engager en faveur de certaines causes, que j'avais un programme à défendre, plus de vingt ans après la disparition de mes parents. Lorsqu'on se lance dans quelque chose, c'est par passion. On trouve le moyen. Ce que je recommanderais à tout le monde, et pas seulement à celles qui veulent faire de la politique, c'est de faire ce qui les intéresse dans cette vie, de chercher ce qui les passionne. Je ne pourrais pas supporter les gens que je supporte, ni lutter comme je lutte si je n'étais pas passionnée, si je ne défendais pas des causes avec passion. Il vaudrait mieux que je reste chez moi à cultiver mon jardin.
iKNOW Politics: Avez-vous quelque chose à ajouter?
Je sais ce que c'est que de ne pas savoir si on sera encore en vie le lendemain. C'est une leçon de vie. C'est pour cela que je tente toujours de faire de mon mieux avec ce qui m'est donné, dans le temps qui m'est imparti. Je ne sais pas où je serai dans quelques mois, probablement encore engagée dans la politique, car il y a beaucoup de causes qui méritent d'être défendues. J'aime profondément mon pays. J'ai vécu dans beaucoup d'endroits, où j'ai côtoyé beaucoup de personnes formidables. Les latino-américains, hommes ou femmes, sont en général très gentils, ce sont des gens qu'on aime facilement, pour lesquels on s'engage avec cœur. Mais ce sont parfois des gens qui ne protestent pas comme ils le devraient, ce qui me révolte.
Je me rappelle avoir parlé avec des camarades travailleurs et travailleuses durement exploités dans les plantations de bananes. L'un d'entre eux me disait qu'il avait été exposé à un produit toxique qui lui avait coûté un œil et fait perdre tous ses cheveux. Avec grande simplicité, il m'a dit: “bon, j'ai sans doute eu de la malchance, et c'est comme ça que j'ai attrapé le mauvais œil…”. Ce n'est pas de la malchance, lui ai-je répondu, “c'est de l'exploitation, sans vous avertir on vous a demandé de manipuler un produit toxique interdit à l'échelon international”. C'est cela l'injustice et cela donne envie de continuer à se battre. J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, j'ai été étudiante, professeure, fait des enquêtes et j'ai aussi été, pendant une partie de l'enfance de ma fille, une simple mère de famille. Il peut y avoir des étapes dans la vie, c'est un chemin qui m'a menée où je suis aujourd'hui et qui me mènera probablement encore ailleurs. J'exhorte ceux qui sont prêts à se battre pour certaines causes à s'engager dans la politique. Quant à ceux qui souhaitent voir leur nom en haut de l'affiche et rien d'autre, mieux vaudrait qu'ils fassent du show business.
"Je fais de la politique parce que je souhaite voir advenir certaines choses plutôt que d'autres. C'est en fonction de cela que je décide avec qui je m'allie, avec qui je discute, mais aussi avec qui je ne m'allierai pas et ne discuterai pas. Si je commence à réfléchir à qui est le plus célèbre, qui passe devant la caméra et que je me bats pour ça, je trahis mon engagement et je suis perdue, pire même: c'est mon engagement qui disparaît.” – Martha Roldós
iKNOW Politics: Vous êtes née dans une famille de politiciens. Comment ces antécédents influent-ils sur votre participation politique?
Mon père, Jaime Roldós Aguilera, a été Président de l'Equateur (1979-1981) et il est décédé avec ma mère en 1981, dans un accident d'avion dont les circonstances n'ont jamais été éclaircies. Abdalá Bucarám (1996-1997), un frère de ma mère, a aussi été Président de la République (1996-1997). J'étais à l'époque dans l'opposition. Mon ex-mari est le neveu d'Omar Torrijos, ancien Président de Panama. Si je n'étais pas engagée activement dans la politique, elle n'en était pas moins un sujet d'intérêt pour moi. J'ai étudié l'économie, la politique internationale et la sociologie.
J'ai toujours lu et suivi la politique de mon pays. León Roldós, le frère de mon père, socialiste, a été Vice-président de la République (1981-1984). Il a fondé le mouvement "Red Ética y Democracia" (Réseau éthique et démocratie), dans lequel je milite. J'ai fait de la politique pendant mes années d'université, mais c'est récemment, au cours des élections de 2006, que j'ai fait mon entrée sur la scène politique nationale. C'est en 2006 que j'ai été élue député au Congrès national, au moment de l'entrée en fonction du gouvernement du Président Rafael Correa Delgado (qui est intervenue en janvier 2007). J'ai été député pendant six mois avant de renoncer à mes fonctions pour présenter ma candidature à l'Assemblée nationale constituante, projet lancé par notre mouvement "Red Ética y Democracia".
L'Assemblée constituante était une aspiration des mouvements sociaux, des mouvements politiques progressistes et d'un nombre considérable de citoyens. J'ai été élue membre de l'Assemblée, qui a siégé de novembre 2007 à juillet 2008. Une fois la nouvelle constitution approuvée (2008), un régime de transition comportant une Commission législative sur la fiscalité (octobre 2008 – février 2009), au sein de laquelle certaines et certains d'entre nous avons continué à remplir des fonctions d'élaboration de la législation et de la fiscalité, a été mis en place. J'ai toujours été au centre-gauche, à chaque fois un peu plus à gauche, je crois, animée par un profond intérêt pour la question écologique et la parité. Pour moi, les questions d'écologie sont vitales, défendre l'environnement c'est défendre la vie. Il s'agit de l'une des causes les plus importantes des mouvements sociaux et autochtones. C'est un versant de la politique auquel je m'identifie tout à fait.
iKNOW Politics: L'Equateur a connu ces dernières années des changements extrêmement rapides. Comment voyez-vous les progrès réalisés par la cause des femmes, notamment leur participation politique?
Je crois que nous avons avancé en Equateur, ces dernières années. Nous nous sommes efforcés d'instaurer la parité par la loi, mais le plus important est que nous avons avancé dans la pratique: c'est justement au moment de l'Assemblée constituante que la participation féminine a été la plus forte. Un grand nombre de listes étaient emmenées par des femmes, ce qui nous a permis de faire un saut qualitatif. Nous avons réussi à obtenir, non seulement la parité, mais aussi l'alternance sur les listes. Auparavant, sur une liste de dix-huit noms, par exemple, les neuf derniers noms étaient ceux des femmes. Aujourd'hui, il faut alterner.
De fait, à l'Assemblée constituante, nous étions presque 40%. Quand la Commission législative sur la fiscalité a été élue, certains et certaines d'entre nous se sont opposés à ce que sa composition se base sur le nombre de membres de l'Assemblée, car nous considérions comme très difficile de préserver à la fois la proportionnalité par province, par force politique et par sexe. Une fois de plus, c'est la proportionnalité par sexe qui a été sacrifiée. Ceci étant, la présence de femmes ne fait pas nécessairement avancer la cause des femmes. La plus grande opposition à la cause des femmes, sur le plan de la santé sexuelle et génésique, est venue d'autres femmes, membres des partis de droite. Elles avaient un programme, un menu dirais-je, identique à celui qui a été proposé dans d'autres pays d'Amérique latine, inspiré des prises de position du Vatican, de certaines églises protestantes et du gouvernement de George Bush (ancien Président des Etats-Unis, 2001-2009). Leurs prises de position allaient à l'encontre de celles d'institutions internationales telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), source d'inspiration pour un grand nombre de membres de l'Assemblée en ce qui concerne les femmes et la parité.
iKNOW Politics: Les quotas ne suffisent pas, affirment un grand nombre de spécialistes, ce que confirment les études; il faudrait accompagner les autres lois adoptées en faveur des femmes, qui ne sont pas suffisantes non plus, de toute une structure sociale et législative. Sur la base de votre expérience, quelles sont les stratégies qu'il faudrait mettre en place pour concrétiser les changements structurels requis sur ce plan?
Effectivement, les quotas de candidatures ne suffisent pas. Sur ce plan, notre plus grande réussite a été l'obtention de l'alternance sur les listes. Il faut faire en sorte que davantage de femmes soient désignées et élues au parlement. Je crois que les partis politiques devraient se plier à une réglementation interne les obligeant à prendre au sérieux la candidature des femmes. Il arrive fréquemment que ces candidatures soient offertes à des reines de beauté, qui servent à appâter les électeurs.
Pour que les quotas soient efficaces, les partis doivent avoir des structures permettant aux femmes qui sont membres de participer. Nous éviterions ainsi que les candidatures féminines ne soient attribuées à des femmes étrangères aux partis, mais célèbres ou bien introduites dans les moyens de communication. Sur un autre plan, et c'est très intéressant, la participation politique des femmes ne se réduit pas aux partis et aux élections. Il existe d'autres formes de participation, à l'instar de la participation à des groupes opposés à la loi sur l'extraction minière, dans lesquels je suis moi-même engagée.
Les femmes sont très nombreuses parmi les défenseurs des communautés contre l'industrie minière et c'est aux femmes qu'il faut donner davantage d'espace. Je crois que c'est intéressant. C'est quand on monte au créneau avec la communauté, pour la souveraineté alimentaire, pour l'eau, contre l'industrie minière, que l'on rencontre le plus grand nombre de femmes montrant un degré d'engagement et de participation très élevé. Un grand nombre de nos camarades ont été diabolisées pour leur lutte contre l'industrie minière, par exemple Lina Solano ou Esther Landeta, menacée de mort par des tueurs à gages. Il est intéressant de relever que, dans ces autres espaces politiques, les femmes ont pris beaucoup d'importance et sont en général les plus persécutées.
iKNOW Politics: Et dans la société, quelles sont les stratégies qui vous paraissent les plus efficaces pour lutter contre la vision machiste et patriarcale qui tient pour illégitime la demande de parité émanant des femmes?
Je pense qu'il faudrait une stratégie de communication permettant de battre en brèche le machisme généralisé de la société. Mais nous les femmes qui font de la politique, nous devrions aussi être à la hauteur de notre fonction et ne pas nous laisser intimider. La façon la plus courante d'intimider une femme consiste à la menacer de révéler des aspects de sa vie personnelle, des points qui n'auraient pas la moindre importance dans la vie d'un homme.
Le moment est venu pour nous les femmes qui faisons de la politique de dire: "oui, et alors?" J'ai entendu parler d'une femme de droite qui a cessé de s'opposer au Président de l'Equateur (Rafael Correa Delgado) lorsque celui-ci a affirmé à la radio qu'elle avait une réputation douteuse. Je ne suis d'accord avec aucune des prises de position de cette femme, mais personne n'a le droit de l'attaquer ainsi. Pour notre part, nous ne remettons en cause la réputation de personne et nous ne parlons pas des partenaires sexuels des hommes qui font de la politique.
L'une des premières choses à faire serait de prendre des sanctions sévères à l'égard de ces campagnes, quel qu'en soit l'auteur. Il s'agit d'une discrimination inacceptable. C'est très pénible lorsque ces rumeurs atteignent les oreilles des enfants d'une femme et ce n'est pas facile pour la majeure partie des femmes. Pourtant, il faut apprendre aux enfants à répondre: "Oui, et alors? Ma vie privée ne regarde que moi". Il faut commencer à respecter la vie privée des femmes qui font de la politique, il n'y aucune raison qu'elle fasse l'objet de mépris ni de discussions politiques. Nous devrions être plus strictes dans la législation. Il faudrait que ce type de comportement soit apparenté à du harcèlement, à de la discrimination, quel qu'en soit l'auteur. Enfin, je crois que la question du financement de la campagne des femmes est de la plus haute importance. Il est beaucoup plus difficile aux femmes qu'aux hommes de réussir à financer leur campagne. Les choses se compliquent, prennent un tour personnel, il faudrait commencer à réfléchir à cette question.
iKNOW Politics: L'Association des femmes municipalistes d'Equateur (AMUME) a élaboré un projet de loi sur le harcèlement et la violence à l'égard des femmes engagées en politique. Que pensez-vous de ce travail?
Je connais cette initiative, qui m’a été présentée par Margarita Carranco, Présidente de l'AMUME. Un grand nombre de femmes a été menacé. C'est peut-être moins fréquent dans l'enceinte parlementaire, car nous sommes plus visibles, mais cela arrive très souvent à l'échelon municipal, surtout pour les femmes conseillères. Une amie à moi, qui est conseillère représentant le même mouvement que moi, a été intimidée à Santo Domingo pour avoir porté plainte pour corruption contre le maire. Les menaces font partie intégrante de la stratégie politique et, dans les petites communautés, les menaces sont physiques. C'est encore plus grave dans le cas d'une femme, car la menace physique voile la menace de violences d'une autre nature, sexuelle par exemple, ou de commentaires injurieux, ou de harcèlement.
iKNOW Politics: Les populations autochtones sont très importantes dans la région et l'Equateur est l'un des pays les plus représentatifs sur ce plan. Comment voyez-vous la situation des femmes autochtones équatoriennes sur le plan politique? Comment pensez-vous que leur situation évoluera à l'avenir?
Il y a des femmes autochtones équatoriennes engagées en politique, par exemple Mónica Chuji, qui représente non seulement les femmes autochtones, mais aussi les femmes en général et qui défend leurs intérêts avec beaucoup de conviction dans le domaine de la santé sexuelle et génésique. Je me rappelle la participation remarquée de femmes des mouvements sociaux du Chimborazo, par exemple notre camarade Cucuri, qui a demandé à ce que, quand on reconnaîtra les droits des peuples ancestraux, on exige aussi d'eux en échange qu'ils respectent les droits des femmes. Ici, en Equateur, la participation, de qualité élevée, augmente, depuis Nina Pacari en passant par Lourdes Vivan, Dolores Cacuango, Blanca Chancoso, et beaucoup d'autres dont le nom m'échappe. Il faut nourrir ce processus, nos camarades demandent à être entendues dans leur communauté et dans la collectivité, et cet espace doit être respecté par toutes et tous.
iKNOW Politics: Quelle difficulté a représenté pour vous l'obligation de vous imposer dans un milieu majoritairement masculin comme la politique? Comment avez-vous relevé ce défi?
Quand je suis arrivée au Congrès national, nous étions six représentants et représentantes de la "Red Ética y Democracia" et il a été décidé de me nommer chef de file, ce qui a donné beaucoup de fil à retordre aux chefs des autres blocs. L'un d'entre eux ne s'adressait d'ailleurs jamais à moi, mais à ses camarades, lorsque nous étions censés négocier quelque chose. Eux lui disaient: “non, la responsable de cette question c'est Martha, c'est à elle que tu dois t'adresser”, mais il s'y refusait, car nous nous étions déjà trouvés dans l'impasse sur d'autres sujets. En fin de compte, il a fallu que son bloc le remplace par quelqu'un qui réussissait à dialoguer avec moi comme avec tous les autres. Je crois qu'il faut se faire respecter, au début c'est difficile, quand on arrive on est timide, un peu impressionnée. L'une des choses que l'on apprend lorsqu'on fait de la politique c'est de ne pas avoir peur de passer pour une sorcière. On peut passer pour une sorcière aux yeux de ceux qui nous attaquent et être généreuse et avoir le cœur, la tête et les bras ouverts pour les causes qui le méritent.
iKNOW Politics: Quelles stratégies recommanderiez-vous pour faire alliance avec les hommes en faveur de l'égalité des sexes?
Je collabore très bien avec la majeure partie des hommes. Il faut d'abord avoir le sens de l'humour, savoir discuter et être franche, mettre cartes sur table: ce que je veux moi et ce que tu veux toi. Pour autant qu'on n'y aille pas par quatre chemins, on peut nouer les alliances qu'on veut ou dont on a besoin. Si quelqu'un tergiverse, cela veut probablement dire qu'il n'a pas envie d'être ton allié. Je crois que le temps presse aujourd'hui et que les causes sont urgentes. Nous devons aller de l'avant avec détermination, dans un esprit de camaraderie et avec le sens de l'humour, c'est le plus important pour moi. Au début on peut recevoir des coups d'œil dédaigneux, mais pour finir tout le monde reconnaît la capacité de travail de quelqu'un qui arrive avant les autres, qui en sait plus et repart après tout le monde. Il est évident que c'est très difficile et injuste, car on devrait pouvoir être sur un pied d'égalité et ne pas devoir en faire plus, mais au début c'est pourtant ce qu'il faut faire. Cela a toujours été le destin des femmes: en faire beaucoup plus. Il faut prouver que l'on est au moins aussi bien préparée et formée que n'importe quel homme.
iKNOW Politics: Au cours de votre trajectoire, vous avez eu l'occasion de travailler dans des réseaux, des alliances. Quelle signification ce travail a-t-il eu pour vous?
J'ai pris part à des réseaux temporaires, et j'ai également très bien travaillé avec des groupes de femmes et des écologistes sur un certain nombre de sujets ponctuels. Ce qui est essentiel pour que ces réseaux fonctionnent, c'est de s'engager dans une cause commune. Si tel est le cas, on peut impulser ou diriger, peu importe. Je crois que les luttes de pouvoir sont néfastes, il faut développer ses capacités de meneuse sans forcer les choses. On constate alors qu'il existe beaucoup de programmes pour apprendre aux gens à devenir des leaders qui, selon moi, alimentent l'arrivisme politique. Ces programmes sont souvent totalement creux et ne se réfèrent en rien aux causes à défendre, mais uniquement aux postes à occuper. On peut peut-être se faire une place au soleil, mais autour d'un vide, et en fin de compte les nouveaux "leaders", masculins ou féminins, feront la même chose que tous ceux qui les ont précédés.
Lorsqu'on défend une cause avec passion et engagement, on a toutes les chances de devenir un leader. Personnellement, je n'aime pas diriger la lutte pour certaines causes, si quelqu'un d'autre peut faire mieux que moi je ne vois pas d'objection à lui laisser la place. Parfois, lorsqu'on s'engage à fond en faveur d'une cause, on réalise que peu de gens sont disposés à aller aussi loin. C'est un rôle de leader qui en vaut la peine, le rôle de leader qui naît d'un engagement réel en faveur d'une cause et non le rôle de leader qui vient du désir de voir son nom apparaître devant celui de tous les autres. Je fais de la politique parce que je souhaite voir advenir certaines choses plutôt que d'autres. C'est en fonction de cela que je décide avec qui je m'allie, avec qui je discute, mais aussi avec qui je ne m'allierai pas et ne discuterai pas. Si je commence à réfléchir à qui est le plus célèbre, qui passe devant la caméra et que je me bats pour ça, je trahis mon engagement et je suis perdue, pire même: c'est mon engagement qui disparaît.
iKNOW Politics: Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes (non seulement équatoriennes, mais de la région) intéressées par l'engagement politique, mais considérant la politique comme inaccessible?
Cela peut sembler curieux, mais nombreux seront peut-être ceux qui penseront que je suis dans le cas de la petite fille qui veut être trapéziste comme toute sa famille. Cela paraît facile. Il en va tout autrement de la petite fille qui rentre à la maison après le cirque et qui dit qu'elle aussi voudrait y vivre. Je connais toutefois un grand nombre de femmes ayant joué un rôle important en politique sans antécédents familiaux dans ce domaine. En fait, j'ai refusé pendant longtemps de faire de la politique et je m'y suis lancée, non pas grâce à mes antécédents, mais parce que je souhaitais m'engager en faveur de certaines causes, que j'avais un programme à défendre, plus de vingt ans après la disparition de mes parents. Lorsqu'on se lance dans quelque chose, c'est par passion. On trouve le moyen. Ce que je recommanderais à tout le monde, et pas seulement à celles qui veulent faire de la politique, c'est de faire ce qui les intéresse dans cette vie, de chercher ce qui les passionne. Je ne pourrais pas supporter les gens que je supporte, ni lutter comme je lutte si je n'étais pas passionnée, si je ne défendais pas des causes avec passion. Il vaudrait mieux que je reste chez moi à cultiver mon jardin.
iKNOW Politics: Avez-vous quelque chose à ajouter?
Je sais ce que c'est que de ne pas savoir si on sera encore en vie le lendemain. C'est une leçon de vie. C'est pour cela que je tente toujours de faire de mon mieux avec ce qui m'est donné, dans le temps qui m'est imparti. Je ne sais pas où je serai dans quelques mois, probablement encore engagée dans la politique, car il y a beaucoup de causes qui méritent d'être défendues. J'aime profondément mon pays. J'ai vécu dans beaucoup d'endroits, où j'ai côtoyé beaucoup de personnes formidables. Les latino-américains, hommes ou femmes, sont en général très gentils, ce sont des gens qu'on aime facilement, pour lesquels on s'engage avec cœur. Mais ce sont parfois des gens qui ne protestent pas comme ils le devraient, ce qui me révolte.
Je me rappelle avoir parlé avec des camarades travailleurs et travailleuses durement exploités dans les plantations de bananes. L'un d'entre eux me disait qu'il avait été exposé à un produit toxique qui lui avait coûté un œil et fait perdre tous ses cheveux. Avec grande simplicité, il m'a dit: “bon, j'ai sans doute eu de la malchance, et c'est comme ça que j'ai attrapé le mauvais œil…”. Ce n'est pas de la malchance, lui ai-je répondu, “c'est de l'exploitation, sans vous avertir on vous a demandé de manipuler un produit toxique interdit à l'échelon international”. C'est cela l'injustice et cela donne envie de continuer à se battre. J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, j'ai été étudiante, professeure, fait des enquêtes et j'ai aussi été, pendant une partie de l'enfance de ma fille, une simple mère de famille. Il peut y avoir des étapes dans la vie, c'est un chemin qui m'a menée où je suis aujourd'hui et qui me mènera probablement encore ailleurs. J'exhorte ceux qui sont prêts à se battre pour certaines causes à s'engager dans la politique. Quant à ceux qui souhaitent voir leur nom en haut de l'affiche et rien d'autre, mieux vaudrait qu'ils fassent du show business.