Orsinia Polanco
“Être une femme ne signifie pas qu'on est inférieure et c'est un message que j'envoie directement aux femmes autochtones. Je connais de nombreuses femmes autochtones qui se sentent inférieures par rapport aux hommes et cet état d'esprit est regrettable. Nous devons éradiquer de nos esprits la peur de l'homme. Je crois que les femmes doivent avoir du caractère pour s'en sortir. Cela revient à dire: "Je suis comme je suis et je suis mieux que vous", mais sans le dire, ou plutôt en le disant par nos actes.” – Orsinia Polanco
iKNOW Politics: Merci beaucoup, Orsinia, de nous consacrer de votre temps. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre carrière? Comment est né votre intérêt pour la politique, qu'est-ce qui vous a inspirée? Et plus précisément, en quoi le fait d'être une femme, qui plus est une femme autochtone, a eu une incidence sur votre parcours?
Tout d'abord, je voudrais vous saluer cordialement. Je vous remercie pour cet entretien. Je suis fière et honorée de pouvoir représenter les femmes colombiennes au Congrès de mon pays. Mais ce n'est pas facile, vraiment pas, car je suis la première femme autochtone de l'histoire de la Colombie à être élue au Parlement. J'ai la politique dans le sang. Mon père était homme politique, il était "palabrero", un médiateur chargé de résoudre les conflits dans les communautés autochtones. Grâce à lui, je fais partie de mouvements politiques depuis l'âge de 13 ans, c'est lui qui est à l'origine de mon engagement.
J'ai toujours aimé la politique. A 18 ans, j'ai présenté ma candidature au conseil municipal de mon district de Guajira. Ma mère ne voulait pas que je fasse de la politique car elle trouvait cela fatigant. Mon père amenait beaucoup de personnes à la maison et elle s'occupait de tout ce monde. Ce sont mes idées et mes intérêts qui m'ont amenée à faire de la politique. J'ai constaté que ma communauté autochtone avait de nombreux besoins. J'ai constaté que la voix des femmes ne pouvait se faire entendre de façon autonome, alors de nombreuses personnes autochtones ont suggéré que je me présente aux élections. J'ai donc brigué un mandat national. J'ai travaillé à l'Agence territoriale autonome de Guajira, au Secrétariat des affaires autochtones du département de Guajira, en tant que professeure à l'Université nationale et à l'Université catholique au sein du personnel administratif. J'ai aussi été professeure de langues et de culture autochtones à l'Université Javeriana.
J'ai toujours défendu ma culture et ma langue Wayúu en Colombie et dans le monde. J'ai une maîtrise en linguistique de l'Université nationale. Je suis très fière et très contente parce que je suis jeune femme et j'ai dû beaucoup me battre. Les femmes ont été tenues à l'écart des espaces politiques car la phallocratie est encore l'idéologie dominante. La femme doit rester à la maison et lorsqu'elle est militante, elle doit faire campagne pour un homme, elle vend les empanadas pour lui financer sa campagne. Au mieux, la femme est valorisée dans son rôle de militante, mais pas pour ses capacités intellectuelles ou politiques. La femme est confinée, on l'empêche de sortir.
iKNOW Politics: Comment s'est déroulée votre candidature? A quel mouvement ou parti étiez-vous affiliée? A-t-il été difficile d'insérer votre nom sur les listes électorales?
Je fais partie du Pôle démocratique alternatif, le seul parti colombien qui donne sa place aux communautés autochtones. Il se définit dans ses statuts comme un parti multiethnique et multiculturel. Lorsque j'étais à l'Université nationale, d'abord comme étudiante en maîtrise, puis en tant que professeure, j'ai constaté que la plupart de mes professeurs et de mes condisciples étaient membres du Pôle démocratique. J'ai aussi été impressionnée par le fait que l'actuel président du parti a été membre du Tribunal Constitutionnel, où il a vigoureusement défendu les populations autochtones.
Ses arrêts étaient favorables aux populations autochtones, ils protégeaient leurs valeurs et leurs coutumes et respectaient leur autonomie. Il n'est pas fréquent de trouver des personnes de ce niveau qui respectent les populations autochtones. C'est la raison pour laquelle j'ai adhéré au Pôle démocratique. Lorsque j'ai adhéré, je n'ai pas senti de rejet, du moins pas ouvertement. J'ai tout de même eu de la concurrence parce que certains voulaient que le candidat autochtone soit un homme, car ils étaient convaincus qu'en tant que femme, je n'étais pas digne d'un siège au Congrès.
On m'a donc mise en concurrence avec un homme autochtone qui avait obtenu 17.000 voix quatre ans plus tôt et je l'ai battu parce qu'on nous a demandé de présenter notre programme. Mon homologue n'avait ni propagande électorale, ni quartier général. J'avais quant à moi un quartier général et de la propagande. Mon programme politique était très clair: la défense des femmes, des enfants et des populations autochtones. J'ai obtenu la majorité des voix. J'ai gagné grâce à mes propres capacités, parce que j'avais fait preuve de responsabilité, parce que je connaissais mes dossiers et que j'étais bien organisée. Les femmes sont mieux organisées que les hommes. Ils croyaient que je n'étais pas prête, mais je suis devenue forte, très forte, et mon discours était étayé par des arguments très solides.
iKNOW Politics: Vous avez beaucoup parlé du soutien de votre père, qui était très engagé politiquement. Dans quelle mesure votre culture d'origine a-t-elle facilité ou entravé votre participation à la vie politique?
Dans la culture Wayúu, l'homme est représenté par la femme dans presque toutes les sphères politiques, sociales et économiques. C'est notre histoire. Mon père me disait souvent que les femmes doivent sortir dans la rue parce que la femme est sacrée et ne peut pas être sacrifiée. A l'âge de douze ans, qui est l'âge de la puberté, nous autres femmes Wayúu sommes prêtes à être femmes, à occuper notre place dans la société, à nous marier et à représenter la communauté dans les différentes sphères politiques, sociales et économiques. C'est pour cela que la femme est celle qui représente la communauté dans son ensemble, parce qu'elle est investie de ce rôle, de cette fonction. Ce n'est pas du tout le cas dans d'autres cultures autochtones de Colombie.
J'ai la chance d'être née dans la culture Wayúu, qui est régie par un système matriarcal dans lequel la femme est celle qui donne les ordres, celle qui organise, celle qui représente. Heureusement, ma participation à la vie politique n'a posé aucun problème au sein de ma propre communauté. Au contraire, les hommes autochtones de ma communauté étaient très contents de moi et très fiers. Ils me disaient: "Vous devez être réélue parce que vous nous avez très bien représentés." A aucun moment ils n'ont fait barrage. Les autres communautés autochtones du pays font tout ce qu'elles peuvent pour entraver mon travail. Elles affirment que ma place devrait être occupée par un homme parce que la phallocratie est encore très forte en Colombie, tant parmi les "arijunas" (les personnes non autochtones) que dans les populations autochtones d'autres cultures.
iKNOW Politics: Quelles stratégies avez-vous appliquées pour rester en place et pour atteindre vos objectifs?
Eh bien, l'une d'entre elles est la tolérance et la compréhension, dont il faut faire preuve vis-à-vis des collègues. Nous les femmes sommes peu nombreuses dans la Chambre des Représentants: nous ne sommes que 13 sur 166 députés, presque rien. Parfois, en plénière, nous ne sommes que deux et je suis la seule femme autochtone. Alors pour faire avancer les choses, il faut être tolérant et forger peu à peu des alliances. Par ailleurs, il faut toujours être bien préparé et faire preuve d'intelligence pour élaborer des projets de loi, puis les défendre. Ceci dit, le plus important est peut-être de savoir affronter toutes les situations dans lesquelles la politique peut vous mettre.
En effet, nous ne nous en tenons pas uniquement aux projets de loi, nous devons aussi gérer la situation générale du pays. Pour ce qui est des peuples autochtones, nous avons mené plusieurs grèves pour revendiquer nos droits. Le gouvernement nous ayant pour cela traités de terroristes, j'ai dû faire face à cette situation parce que tout le monde s’empressait de me demander des explications, comme un essaim de guêpes. Au début, lorsque j'ai été élue, je ne connaissais pas les rouages de la politique, du protocole, de la diplomatie. J'exposais mes arguments contre un projet de loi et tout le monde m'attaquait parce qu'on voulait que le texte soit approuvé par consensus. Je refusais et je haussais un peu le ton, je parlais sans me maîtriser complètement, je m'énervais souvent.
Maintenant, j'explique mon point de vue avec respect et diplomatie, j'use de stratégie. J'ai beaucoup appris. Je leur dis que le Président représente tous les Colombiens, que je suis Colombienne, que les populations autochtones sont aussi colombiennes, qu'ils doivent comprendre pourquoi je m'oppose à un projet de loi. Je présente mes arguments et ils voient que je me suis préparée. Je ne m'exprime jamais quand je ne me suis pas préparée, même si je connais le sujet, je préfère me taire. C'est ainsi que je me suis gagné le respect.
iKNOW Politics: Vous êtes-vous trouvée dans une situation particulièrement désagréable pendant votre mandat, avez-vous eu l'impression d'être victime de discrimination en tant que femme autochtone? Quels enseignements avez-vous tirés de ces expériences?
L'une des expériences les plus douloureuses, qui est restée gravée dans ma mémoire, est le jour où on a marché sur ma manta, sur mes habits traditionnels. Mes habits traditionnels sont assez longs et un jour, en sortant des toilettes, je me dépêchais pour aller voter contre un projet de loi et plusieurs hommes se sont rassemblés, ils ont marché sur ma robe et m'ont immobilisée. Je me suis demandée ce qui se passait. J'ai failli porter plainte, j'étais extrêmement bouleversée, je trouvais cela terrible. Je me disais: "Je vis dans un pays démocratique, je suis dans une chambre législative, entourée de personnes sensées"…Lorsque la séance a commencé, je me suis sentie très seule. Une autre femme était présente, mais elle a disparu sans rien dire. Je me suis demandée: "Est-ce arrivé parce que je suis une femme? L'ont-ils fait pour que je ne vote pas? Est-ce que je n'ai aucun allié ici? Je dois trouver des alliés!"
J'ai donc commencé à chercher des alliés et maintenant j'en ai beaucoup. J'ai appris à les connaître. Le principal enseignement que j'ai tiré de mon expérience est qu'après un débat marqué par de vifs échanges d'arguments et dans lequel on a été très critique, il faut redevenir une femme très aimable, très appréciée, très souriante. Il ne faut alors laisser transparaître ni susceptibilité, ni sensibilité. L'un de mes amis m'a dit que la meilleure arme contre nos ennemis est l'amabilité. On peut démolir l'indifférence de ses ennemis avec une grande accolade, avec des signes d'amabilité, même quand on a été blessée.
iKNOW Politics: Le Groupe parlementaire des femmes a très bonne presse à l'échelon régional et il est devenu un outil incontournable pour encourager la présence des femmes en politique. Que pensez-vous de la Commission temporaire des femmes du Congrès colombien?
La possibilité donnée aux femmes de se rassembler au sein de cette commission de femmes est une très bonne chose. Nous avons pris part à des réunions, nous avons adhéré au Groupe parlementaire Inter-américain (GPI) et nous avons pu rencontrer des femmes du Costa Rica, du Pérou, de l'Equateur et d'autres pays. Je pense que c'est une très bonne chose pour les femmes car elle nous permet de parler de sujets politiques et non politiques. Je pense que la Commission temporaire des femmes ne doit pas disparaître parce que c'est l'endroit où nous laissons de côté les opinions partisanes, où nous nous libérons de l'influence des hommes et où nous commençons à élaborer les grandes stratégies et les programmes politiques en faveur de la femme.
iKNOW Politics: A votre avis, quelle a été l'influence du conflit interne en Colombie sur la participation des femmes, et surtout des femmes autochtones, à la vie politique?
Le conflit interne est un malheur. Beaucoup de sang a été versé et de nombreuses personnes autochtones ont subi des déplacements internes forcés. De nombreuses femmes ont dû aller vivre en ville avec leurs enfants dans les bras et sont tombées dans l'indigence et la mendicité. L'Etat n'a apporté aucun soutien aux populations autochtones. Nous avons perdu de nombreuses terres, c'est pourquoi nous organisons des marches dans tout le pays, car le gouvernement national n'a pas rendu aux peuples autochtones les terres qui leur ont été dérobées. Nous devons nous mobiliser, nous organiser et dire au gouvernement que nous existons et que nous avons besoin de ces terres pour vivre. Les déplacements forcés font beaucoup souffrir les femmes, surtout quand elles appartiennent à une communauté ayant ses propres valeurs, ses us et coutumes. Quand elles restent en ville, elles finissent par les perdre et cela peut provoquer la disparition de leur culture.
iKNOW Politics: Que pensez-vous du travail en réseau et des alliances? Ont-ils occupé une place importante dans votre expérience en politique?
Je pense qu'ils sont très importants. Ils permettent à la présence des femmes en politique de se diffuser. Si de nombreux Colombiens ne savent pas qui je suis, surtout en tant que première femme autochtone au Parlement, je pense que cet entretien me fera connaître. Les femmes, autochtones ou non, en sortiront renforcées et notre participation à la vie politique n'en sera que plus forte. L'ignorance nous fait faire des erreurs, mais quand on fait connaissance grâce aux réseaux, on crée des liens et on apprend beaucoup. La connaissance des politiques publiques à l'échelon international est très utile. Et cette connaissance est le fruit du travail en réseau. Nous pouvons, de cette manière, montrer ce que nous faisons et en même temps nous pouvons nous préparer pour participer efficacement aux travaux du Congrès de la République.
iKNOW Politics: Quels conseils donneriez-vous à des jeunes femmes, notamment des femmes autochtones, qui voudraient se lancer dans la politique?
Tout d'abord, être très forte. Et ensuite, bien se préparer pour montrer que nous sommes capables et que dans la vie rien n'est impossible. Etre une femme ne signifie pas qu'on est inférieure et c'est un message que j'envoie directement aux femmes autochtones. Je connais de nombreuses femmes autochtones qui se sentent inférieures par rapport aux hommes et cet état d'esprit est regrettable. Nous devons éradiquer de nos esprits la peur de l'homme. Je crois que les femmes doivent avoir du caractère pour s'en sortir. Cela revient à dire: "Je suis comme je suis et je suis mieux que vous", mais sans le dire, ou plutôt en le disant par nos actes. Voilà ce qui nous pousse à faire de la politique. Je n'ai pas réussi en politique grâce à l'argent. J'ai réussi en faisant campagne, à pied, pour faire connaître mon programme politique et c'est comme cela que j'ai obtenu 29.599 voix.
iKNOW Politics: Qu'avez-vous l'intention de faire pour favoriser la participation des femmes, et notamment celle des femmes autochtones, à la vie politique? Comment voulez-vous que l'on se souvienne de vous? Que souhaitez-vous laisser en héritage?
Le premier point de mon programme est, en tant que femme autochtone, de défendre avec ardeur les droits des communautés autochtones, qu'il s'agisse des droits humains ou de leur droit à la terre afin qu'elles puissent les cultiver et ainsi subsister. L'éducation et la santé font partie de ces domaines pour lesquels il faut tenir compte des communautés autochtones. J'ai aussi l'intention de continuer à me faire connaître et à servir d'exemple pour les femmes, mais pas seulement en Colombie, je voudrais que ma vie et mon œuvre soient connues dans le monde entier.
Quant à mon héritage, plutôt que d'être réélue, je voudrais qu'il y ait de l'eau dans mon territoire autochtone Wayúu. Ces terres sont arides, les gens n'ont pas d'eau, pas même pour boire, les animaux meurent de soif. Nous vivons dans une zone frontalière et il y a de l'eau au Venezuela dans le Lac Maracaibo et le Fleuve Limón. Pourquoi ne pas essayer d'amener de l'eau par des canalisations, tout comme on transporte du gaz de la Colombie vers le Venezuela?
Je voudrais rester dans les mémoires comme une femme engagée, ayant défendu les femmes et les peuples autochtones. Je voudrais continuer d'avancer en politique et qui sait, peut-être atteindre la présidence. Mais pour y arriver je dois mieux me préparer; faire un doctorat, aller à l'étranger et revenir pour continuer à me battre pour les droits de la femme en Colombie. Notre pays n'a jamais eu de présidente, pourquoi pas moi? Je voudrais régler non seulement les problèmes des femmes, mais aussi les problèmes du pays. Les populations autochtones ne sont pas les seules qui souffrent; les agriculteurs aussi sont déplacés. Certains habitants des villes sont très pauvres. En Colombie, les inégalités sont nombreuses et je voudrais que règne une démocratie véritable.
“Être une femme ne signifie pas qu'on est inférieure et c'est un message que j'envoie directement aux femmes autochtones. Je connais de nombreuses femmes autochtones qui se sentent inférieures par rapport aux hommes et cet état d'esprit est regrettable. Nous devons éradiquer de nos esprits la peur de l'homme. Je crois que les femmes doivent avoir du caractère pour s'en sortir. Cela revient à dire: "Je suis comme je suis et je suis mieux que vous", mais sans le dire, ou plutôt en le disant par nos actes.” – Orsinia Polanco
iKNOW Politics: Merci beaucoup, Orsinia, de nous consacrer de votre temps. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre carrière? Comment est né votre intérêt pour la politique, qu'est-ce qui vous a inspirée? Et plus précisément, en quoi le fait d'être une femme, qui plus est une femme autochtone, a eu une incidence sur votre parcours?
Tout d'abord, je voudrais vous saluer cordialement. Je vous remercie pour cet entretien. Je suis fière et honorée de pouvoir représenter les femmes colombiennes au Congrès de mon pays. Mais ce n'est pas facile, vraiment pas, car je suis la première femme autochtone de l'histoire de la Colombie à être élue au Parlement. J'ai la politique dans le sang. Mon père était homme politique, il était "palabrero", un médiateur chargé de résoudre les conflits dans les communautés autochtones. Grâce à lui, je fais partie de mouvements politiques depuis l'âge de 13 ans, c'est lui qui est à l'origine de mon engagement.
J'ai toujours aimé la politique. A 18 ans, j'ai présenté ma candidature au conseil municipal de mon district de Guajira. Ma mère ne voulait pas que je fasse de la politique car elle trouvait cela fatigant. Mon père amenait beaucoup de personnes à la maison et elle s'occupait de tout ce monde. Ce sont mes idées et mes intérêts qui m'ont amenée à faire de la politique. J'ai constaté que ma communauté autochtone avait de nombreux besoins. J'ai constaté que la voix des femmes ne pouvait se faire entendre de façon autonome, alors de nombreuses personnes autochtones ont suggéré que je me présente aux élections. J'ai donc brigué un mandat national. J'ai travaillé à l'Agence territoriale autonome de Guajira, au Secrétariat des affaires autochtones du département de Guajira, en tant que professeure à l'Université nationale et à l'Université catholique au sein du personnel administratif. J'ai aussi été professeure de langues et de culture autochtones à l'Université Javeriana.
J'ai toujours défendu ma culture et ma langue Wayúu en Colombie et dans le monde. J'ai une maîtrise en linguistique de l'Université nationale. Je suis très fière et très contente parce que je suis jeune femme et j'ai dû beaucoup me battre. Les femmes ont été tenues à l'écart des espaces politiques car la phallocratie est encore l'idéologie dominante. La femme doit rester à la maison et lorsqu'elle est militante, elle doit faire campagne pour un homme, elle vend les empanadas pour lui financer sa campagne. Au mieux, la femme est valorisée dans son rôle de militante, mais pas pour ses capacités intellectuelles ou politiques. La femme est confinée, on l'empêche de sortir.
iKNOW Politics: Comment s'est déroulée votre candidature? A quel mouvement ou parti étiez-vous affiliée? A-t-il été difficile d'insérer votre nom sur les listes électorales?
Je fais partie du Pôle démocratique alternatif, le seul parti colombien qui donne sa place aux communautés autochtones. Il se définit dans ses statuts comme un parti multiethnique et multiculturel. Lorsque j'étais à l'Université nationale, d'abord comme étudiante en maîtrise, puis en tant que professeure, j'ai constaté que la plupart de mes professeurs et de mes condisciples étaient membres du Pôle démocratique. J'ai aussi été impressionnée par le fait que l'actuel président du parti a été membre du Tribunal Constitutionnel, où il a vigoureusement défendu les populations autochtones.
Ses arrêts étaient favorables aux populations autochtones, ils protégeaient leurs valeurs et leurs coutumes et respectaient leur autonomie. Il n'est pas fréquent de trouver des personnes de ce niveau qui respectent les populations autochtones. C'est la raison pour laquelle j'ai adhéré au Pôle démocratique. Lorsque j'ai adhéré, je n'ai pas senti de rejet, du moins pas ouvertement. J'ai tout de même eu de la concurrence parce que certains voulaient que le candidat autochtone soit un homme, car ils étaient convaincus qu'en tant que femme, je n'étais pas digne d'un siège au Congrès.
On m'a donc mise en concurrence avec un homme autochtone qui avait obtenu 17.000 voix quatre ans plus tôt et je l'ai battu parce qu'on nous a demandé de présenter notre programme. Mon homologue n'avait ni propagande électorale, ni quartier général. J'avais quant à moi un quartier général et de la propagande. Mon programme politique était très clair: la défense des femmes, des enfants et des populations autochtones. J'ai obtenu la majorité des voix. J'ai gagné grâce à mes propres capacités, parce que j'avais fait preuve de responsabilité, parce que je connaissais mes dossiers et que j'étais bien organisée. Les femmes sont mieux organisées que les hommes. Ils croyaient que je n'étais pas prête, mais je suis devenue forte, très forte, et mon discours était étayé par des arguments très solides.
iKNOW Politics: Vous avez beaucoup parlé du soutien de votre père, qui était très engagé politiquement. Dans quelle mesure votre culture d'origine a-t-elle facilité ou entravé votre participation à la vie politique?
Dans la culture Wayúu, l'homme est représenté par la femme dans presque toutes les sphères politiques, sociales et économiques. C'est notre histoire. Mon père me disait souvent que les femmes doivent sortir dans la rue parce que la femme est sacrée et ne peut pas être sacrifiée. A l'âge de douze ans, qui est l'âge de la puberté, nous autres femmes Wayúu sommes prêtes à être femmes, à occuper notre place dans la société, à nous marier et à représenter la communauté dans les différentes sphères politiques, sociales et économiques. C'est pour cela que la femme est celle qui représente la communauté dans son ensemble, parce qu'elle est investie de ce rôle, de cette fonction. Ce n'est pas du tout le cas dans d'autres cultures autochtones de Colombie.
J'ai la chance d'être née dans la culture Wayúu, qui est régie par un système matriarcal dans lequel la femme est celle qui donne les ordres, celle qui organise, celle qui représente. Heureusement, ma participation à la vie politique n'a posé aucun problème au sein de ma propre communauté. Au contraire, les hommes autochtones de ma communauté étaient très contents de moi et très fiers. Ils me disaient: "Vous devez être réélue parce que vous nous avez très bien représentés." A aucun moment ils n'ont fait barrage. Les autres communautés autochtones du pays font tout ce qu'elles peuvent pour entraver mon travail. Elles affirment que ma place devrait être occupée par un homme parce que la phallocratie est encore très forte en Colombie, tant parmi les "arijunas" (les personnes non autochtones) que dans les populations autochtones d'autres cultures.
iKNOW Politics: Quelles stratégies avez-vous appliquées pour rester en place et pour atteindre vos objectifs?
Eh bien, l'une d'entre elles est la tolérance et la compréhension, dont il faut faire preuve vis-à-vis des collègues. Nous les femmes sommes peu nombreuses dans la Chambre des Représentants: nous ne sommes que 13 sur 166 députés, presque rien. Parfois, en plénière, nous ne sommes que deux et je suis la seule femme autochtone. Alors pour faire avancer les choses, il faut être tolérant et forger peu à peu des alliances. Par ailleurs, il faut toujours être bien préparé et faire preuve d'intelligence pour élaborer des projets de loi, puis les défendre. Ceci dit, le plus important est peut-être de savoir affronter toutes les situations dans lesquelles la politique peut vous mettre.
En effet, nous ne nous en tenons pas uniquement aux projets de loi, nous devons aussi gérer la situation générale du pays. Pour ce qui est des peuples autochtones, nous avons mené plusieurs grèves pour revendiquer nos droits. Le gouvernement nous ayant pour cela traités de terroristes, j'ai dû faire face à cette situation parce que tout le monde s’empressait de me demander des explications, comme un essaim de guêpes. Au début, lorsque j'ai été élue, je ne connaissais pas les rouages de la politique, du protocole, de la diplomatie. J'exposais mes arguments contre un projet de loi et tout le monde m'attaquait parce qu'on voulait que le texte soit approuvé par consensus. Je refusais et je haussais un peu le ton, je parlais sans me maîtriser complètement, je m'énervais souvent.
Maintenant, j'explique mon point de vue avec respect et diplomatie, j'use de stratégie. J'ai beaucoup appris. Je leur dis que le Président représente tous les Colombiens, que je suis Colombienne, que les populations autochtones sont aussi colombiennes, qu'ils doivent comprendre pourquoi je m'oppose à un projet de loi. Je présente mes arguments et ils voient que je me suis préparée. Je ne m'exprime jamais quand je ne me suis pas préparée, même si je connais le sujet, je préfère me taire. C'est ainsi que je me suis gagné le respect.
iKNOW Politics: Vous êtes-vous trouvée dans une situation particulièrement désagréable pendant votre mandat, avez-vous eu l'impression d'être victime de discrimination en tant que femme autochtone? Quels enseignements avez-vous tirés de ces expériences?
L'une des expériences les plus douloureuses, qui est restée gravée dans ma mémoire, est le jour où on a marché sur ma manta, sur mes habits traditionnels. Mes habits traditionnels sont assez longs et un jour, en sortant des toilettes, je me dépêchais pour aller voter contre un projet de loi et plusieurs hommes se sont rassemblés, ils ont marché sur ma robe et m'ont immobilisée. Je me suis demandée ce qui se passait. J'ai failli porter plainte, j'étais extrêmement bouleversée, je trouvais cela terrible. Je me disais: "Je vis dans un pays démocratique, je suis dans une chambre législative, entourée de personnes sensées"…Lorsque la séance a commencé, je me suis sentie très seule. Une autre femme était présente, mais elle a disparu sans rien dire. Je me suis demandée: "Est-ce arrivé parce que je suis une femme? L'ont-ils fait pour que je ne vote pas? Est-ce que je n'ai aucun allié ici? Je dois trouver des alliés!"
J'ai donc commencé à chercher des alliés et maintenant j'en ai beaucoup. J'ai appris à les connaître. Le principal enseignement que j'ai tiré de mon expérience est qu'après un débat marqué par de vifs échanges d'arguments et dans lequel on a été très critique, il faut redevenir une femme très aimable, très appréciée, très souriante. Il ne faut alors laisser transparaître ni susceptibilité, ni sensibilité. L'un de mes amis m'a dit que la meilleure arme contre nos ennemis est l'amabilité. On peut démolir l'indifférence de ses ennemis avec une grande accolade, avec des signes d'amabilité, même quand on a été blessée.
iKNOW Politics: Le Groupe parlementaire des femmes a très bonne presse à l'échelon régional et il est devenu un outil incontournable pour encourager la présence des femmes en politique. Que pensez-vous de la Commission temporaire des femmes du Congrès colombien?
La possibilité donnée aux femmes de se rassembler au sein de cette commission de femmes est une très bonne chose. Nous avons pris part à des réunions, nous avons adhéré au Groupe parlementaire Inter-américain (GPI) et nous avons pu rencontrer des femmes du Costa Rica, du Pérou, de l'Equateur et d'autres pays. Je pense que c'est une très bonne chose pour les femmes car elle nous permet de parler de sujets politiques et non politiques. Je pense que la Commission temporaire des femmes ne doit pas disparaître parce que c'est l'endroit où nous laissons de côté les opinions partisanes, où nous nous libérons de l'influence des hommes et où nous commençons à élaborer les grandes stratégies et les programmes politiques en faveur de la femme.
iKNOW Politics: A votre avis, quelle a été l'influence du conflit interne en Colombie sur la participation des femmes, et surtout des femmes autochtones, à la vie politique?
Le conflit interne est un malheur. Beaucoup de sang a été versé et de nombreuses personnes autochtones ont subi des déplacements internes forcés. De nombreuses femmes ont dû aller vivre en ville avec leurs enfants dans les bras et sont tombées dans l'indigence et la mendicité. L'Etat n'a apporté aucun soutien aux populations autochtones. Nous avons perdu de nombreuses terres, c'est pourquoi nous organisons des marches dans tout le pays, car le gouvernement national n'a pas rendu aux peuples autochtones les terres qui leur ont été dérobées. Nous devons nous mobiliser, nous organiser et dire au gouvernement que nous existons et que nous avons besoin de ces terres pour vivre. Les déplacements forcés font beaucoup souffrir les femmes, surtout quand elles appartiennent à une communauté ayant ses propres valeurs, ses us et coutumes. Quand elles restent en ville, elles finissent par les perdre et cela peut provoquer la disparition de leur culture.
iKNOW Politics: Que pensez-vous du travail en réseau et des alliances? Ont-ils occupé une place importante dans votre expérience en politique?
Je pense qu'ils sont très importants. Ils permettent à la présence des femmes en politique de se diffuser. Si de nombreux Colombiens ne savent pas qui je suis, surtout en tant que première femme autochtone au Parlement, je pense que cet entretien me fera connaître. Les femmes, autochtones ou non, en sortiront renforcées et notre participation à la vie politique n'en sera que plus forte. L'ignorance nous fait faire des erreurs, mais quand on fait connaissance grâce aux réseaux, on crée des liens et on apprend beaucoup. La connaissance des politiques publiques à l'échelon international est très utile. Et cette connaissance est le fruit du travail en réseau. Nous pouvons, de cette manière, montrer ce que nous faisons et en même temps nous pouvons nous préparer pour participer efficacement aux travaux du Congrès de la République.
iKNOW Politics: Quels conseils donneriez-vous à des jeunes femmes, notamment des femmes autochtones, qui voudraient se lancer dans la politique?
Tout d'abord, être très forte. Et ensuite, bien se préparer pour montrer que nous sommes capables et que dans la vie rien n'est impossible. Etre une femme ne signifie pas qu'on est inférieure et c'est un message que j'envoie directement aux femmes autochtones. Je connais de nombreuses femmes autochtones qui se sentent inférieures par rapport aux hommes et cet état d'esprit est regrettable. Nous devons éradiquer de nos esprits la peur de l'homme. Je crois que les femmes doivent avoir du caractère pour s'en sortir. Cela revient à dire: "Je suis comme je suis et je suis mieux que vous", mais sans le dire, ou plutôt en le disant par nos actes. Voilà ce qui nous pousse à faire de la politique. Je n'ai pas réussi en politique grâce à l'argent. J'ai réussi en faisant campagne, à pied, pour faire connaître mon programme politique et c'est comme cela que j'ai obtenu 29.599 voix.
iKNOW Politics: Qu'avez-vous l'intention de faire pour favoriser la participation des femmes, et notamment celle des femmes autochtones, à la vie politique? Comment voulez-vous que l'on se souvienne de vous? Que souhaitez-vous laisser en héritage?
Le premier point de mon programme est, en tant que femme autochtone, de défendre avec ardeur les droits des communautés autochtones, qu'il s'agisse des droits humains ou de leur droit à la terre afin qu'elles puissent les cultiver et ainsi subsister. L'éducation et la santé font partie de ces domaines pour lesquels il faut tenir compte des communautés autochtones. J'ai aussi l'intention de continuer à me faire connaître et à servir d'exemple pour les femmes, mais pas seulement en Colombie, je voudrais que ma vie et mon œuvre soient connues dans le monde entier.
Quant à mon héritage, plutôt que d'être réélue, je voudrais qu'il y ait de l'eau dans mon territoire autochtone Wayúu. Ces terres sont arides, les gens n'ont pas d'eau, pas même pour boire, les animaux meurent de soif. Nous vivons dans une zone frontalière et il y a de l'eau au Venezuela dans le Lac Maracaibo et le Fleuve Limón. Pourquoi ne pas essayer d'amener de l'eau par des canalisations, tout comme on transporte du gaz de la Colombie vers le Venezuela?
Je voudrais rester dans les mémoires comme une femme engagée, ayant défendu les femmes et les peuples autochtones. Je voudrais continuer d'avancer en politique et qui sait, peut-être atteindre la présidence. Mais pour y arriver je dois mieux me préparer; faire un doctorat, aller à l'étranger et revenir pour continuer à me battre pour les droits de la femme en Colombie. Notre pays n'a jamais eu de présidente, pourquoi pas moi? Je voudrais régler non seulement les problèmes des femmes, mais aussi les problèmes du pays. Les populations autochtones ne sont pas les seules qui souffrent; les agriculteurs aussi sont déplacés. Certains habitants des villes sont très pauvres. En Colombie, les inégalités sont nombreuses et je voudrais que règne une démocratie véritable.