Ruth Zavaleta Salgado
"J'ai un rêve: j'espère qu'un jour il n'y aura plus de frontières ni de guerres, que la paix régnera dans le monde mais, surtout, que nous pourrons communiquer, circuler et voyager, travailler et nous établir où bon nous semblera, sans aucun type de conflit. Je crois que l'Internet et les réseaux virtuels tels qu’iKNOW Politics tendent vers cet objectif." - Ruth Zavaleta Salgado
iKNOW Politics: Quels défis avez-vous eu à relever en tant que femme occupant un poste de leader, d'abord entant que vice-présidente puis présidente du Bureau de la Chambre des députés? Votre expérience antérieure vous a-t-elle aidée? De quelle manière?
A mos sens, le principal défi est de travailler en faveur de l’institutionnalisation. En 2006, à l’issue d’un processus électoral complexe et polarisé, où notre parti (le Partido de la Revolución Democrática, PRD) a remporté la course à la présidence du Mexique, nous avons constaté que les dirigeants de la Chambre des députés de l’époque, qui étaient membres du parti d'opposition, n'agissaient pas dans l'intérêt de l'institution mais obéissaient à des motivations politiques – ce qui constituait un défi difficile à relever. Le fait d’avoir déjà occupé d’autres fonctions publiques, comme celle de députée locale (2000-2003), qui nous avait permis d’obtenir l'approbation de la loi sur les transports et de la circulation, m’a énormément aidée dans ce contexte.
Ma fonction de chef de délégation de Venustiano Carranza (2003-2006), qui m’a appris l'importance d’un travail institutionnel équilibré, propre à renforcer et à promouvoir les organes dans lesquels nous travaillons pour le bien du peuple, m’a également été très utile. Le fait d’être femme suscite encore d’autres difficultés, imputables à la culture machiste qui prévaut dans notre pays, et qui sont très difficiles à surmonter, parce que les femmes sont-elles mêmes imprégnées de cette culture. C’est pourquoi des manifestations de mépris ou de misogynie sont parfois considérées comme naturelles ou, pis encore, comme divertissantes. Ce constat se vérifie aussi bien en politique que dans d'autres secteurs.
Parfois, un député ou un chef de parti dénigre le travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés, notamment l’accent que je place sur les institutions. Quant à moi, je ne considère pas cette attitude comme une barrière ou un obstacle insurmontable. A mon sens, un des moyens de changer les choses consiste pour moi à riposter en accomplissant mon devoir et en gagnant l'acceptation de la population. Il est très important que les citoyens sachent, pensent, voient et croient qu'il est possible de briser cette culture et de changer cet état de fait.
iKNOW Politics: Quel est, au Mexique, la situation actuelle en ce qui concerne la participation des femmes en politique, au sein des partis ainsi que des pouvoirs législatif et exécutif?
Elle est consacrée dans la loi, et en particulier dans la Constitution. Dans la pratique toutefois, elle n’est pas systématiquement respectée, notamment dans les régions appelées provinces ou municipalités, en particulier celles qui sont les plus éloignées des villes, qui ne sont pas régies par la Constitution, en termes d'égalité ou des droits des femmes, mais par des pratiques et des coutumes qui, aujourd'hui encore – un siècle après la naissance de Simone de Beauvoir – limitent considérablement la participation des femmes à la démocratie.
Le cas d'Eufrosina Cruz à Oaxaca, qui a fait la une des médias internationaux, est emblématique. En tant que femme autochtone, elle s’est retrouvée écartée de la fonction publique en raison des coutumes de sa communauté. Je le répète, un des principaux obstacles est que la législation et la réglementation en vigueur ne sont pas appliquées, et les femmes sont celles qui en font le plus les frais.
iKNOW Politics: La loi mexicaine sur l'égalité est considérée comme une loi très progressiste dans la région. Dans quelle mesure a-t-elle été mise en application? A votre avis, constitue-t-elle une référence fondamentale à l’heure de réaliser une véritable égalité des sexes?
La loi sur l’égalité, lacunaire, doit encore s’appuyer sur une réglementation d’application. Nous devons suivre la situation pour nous assurer que l’exécutif au niveau fédéral applique une législation favorable. A mon avis, il serait très bénéfique de favoriser l’éducation, particulièrement auprès des jeunes et des enfants de l’un et l’autre sexe. A l’heure actuelle toutefois, les travaux progressent davantage sur le plan rhétorique et théorique que dans la pratique ; or, je pense que si nous pouvions faire appliquer les lois et sanctionner ceux qui ne les respectent pas, nous ne nous en porterions que mieux. A nouveau, il subsiste des lacunes dans la réglementation pertinente.
iKNOW Politics: Comment le système de quotas est-il mis en œuvre au Mexique? Quelles sont les mesures ou les normes prévues pour sanctionner la non-application? Quels sont vos projets, objectifs ou défis futurs à propos du système de quotas?
En règle générale, je n’aspire ni plus ni moins qu’à la parité. Au sein des partis politiques, tout dépend du parti. La plupart appliquent un quota obligatoire de 30 % sur leurs listes de candidats dans le contexte d’une représentation proportionnelle. La Constitution en vigueur prévoit que quiconque – homme ou femme – souhaite se présenter aux élections peut le faire. Mais la loi électorale est très claire au sujet de la participation des femmes et impose un quota de 30 % sur les listes proportionnelles.
Pour en revenir aux partis politiques, le PRD, par exemple, a examiné la question de la parité à son dernier congrès et l'a approuvée. Le PRD est à l’avant-garde dans ce domaine. Il applique la norme d’une représentation à 50 % d’hommes et à 50 % de femmes sur les listes proportionnelles. Il est essentiel de respecter les quotas qui existent actuellement. Même avec un quota de 30 % instauré dans les communautés et dans les États, il subsiste des problèmes qui vont au-delà de la légalité et qui ont trait à l'éducation et au respect de la fonction. Prenons par exemple le cas des députées fédérales. Lorsque la femme parvient au niveau du District fédéral pour assumer ses fonctions, elle démissionne et renonce au profit d’un suppléant, le plus souvent un homme –fils, frère ou fiancé.
iKNOW Politics: Y a-t-il un mécanisme en vigueur qui sanctionne la non-conformité aux quotas fixés par la loi ?
Oui. Dans le cas du PRD, si une femme dont le nom devrait figurer sur la liste en est absente – compte tenu de la proportion, qui veut qu'un candidat sur trois soit une femme ou un jeune –l'Institut électoral fédéral (Instituto Federal Electoral, IFE), l’organe habilité à sanctionner un parti qui ne respecte pas ses lois sur les quotas, déterminera la punition à imposer.
iKNOW Politics: Dans plusieurs pays du monde et dans la région, les comités ou groupements parlementaires de femmes sont bien acceptés et ont beaucoup de succès, notamment à l’heure de proposer des initiatives au profit des femmes, de suivre l'application des normes en vigueur, etc. Existe-t-il un mécanisme analogue au Parlement mexicain?
La Commission de l’égalité de la Chambre des députés est le principal organe habilité à examiner les questions concernant les femmes. Il préconise régulièrement des initiatives liées à la santé, à l'éducation et à la violence familiale en mettant en œuvre une approche féministe. Il contrôle également l’affectation des crédits proposés par l’exécutif et approuvés tous les ans par la législature. Pour 2008, nous avons un budget extraordinaire dont l'affectation est contrôlée par la Commission de l'égalité. Il existe également, au sein de la Chambre des députés, un centre d’études féministes, qui consacre toute une gamme d'études, d’enquêtes et de propositions à la lutte pour l'égalité des sexes. Bien que le Parlement mexicain ne compte pas de groupement de femmes, lorsqu’il d’agit de questions sensibles telles que la violence à Juárez, la prévention du SIDA ou le cancer de l’utérus, nous nous réunissons avec nos consœurs de différentes factions parlementaires pour formuler des propositions, examiner des programmes et assurer le suivi des différents cas.
iKNOW Politics: En tant que présidente du Bureau de la Chambre des députés, quels projets envisagez-vous de promouvoir pour augmenter la participation des femmes en politique? Certains médias ont décrit une proposition de financement des questions d’égalité, qui est en cours d’élaboration. Comment sera-t-elle mise en œuvre?
Les députées organisent les femmes en communautés locales pour promouvoir la formation, l’éducation et l’accès à la justice pour les cas de violence familiale. C’est là essentiellement ce que nous préconisons. Je viens de la région de Venustiano Carranza, que nous visitons en nous rendant dans les appartements et les quartiers et en réunissant leurs habitants pour leur parler de la culture de la légalité et de la violence contre les femmes, de manière à amorcer son élimination. Nous leur disons que la loi les protège, qu’ils peuvent nous demander de l’aide et des conseils pour saisir le ministère public et déposer, en cas de problème, une plainte, et que nous pouvons les orienter vers un abri.
Il y a également des tâches plus spécifiques à accomplir qui viennent compléter les activités de formation et d’instruction pour permettre aux individus de s’organiser. Les personnes qui sont sans travail ou qui ont des difficultés économiques au sein de la famille peuvent s’organiser pour obtenir des crédits et pour accéder aux biens de production. Dans le cas de Michoacán, par exemple, des femmes s’adonnant à la broderie et à la couture s’organisent au sein de leurs communautés. S’agissant de la proposition de financement, le budget est établi tous les ans et un budget extraordinaire est proposé pour aider les femmes dans différents domaines. Ces crédits ont déjà été mis en œuvre.
Ainsi, un budget de plus de 2 milliards de pesos a été dépensé dans le domaine de la justice. Les ministères publics ont reçu des fonds extraordinaires pour promouvoir la formation et l'éducation de leurs fonctionnaires de manière à pouvoir aider les femmes victimes de violences familiales. Ces fonds sont maintenant dépensés ; c'est là un budget pour l’obtention duquel nous avons lutté l’an dernier, et je suis persuadée que cette année encore nous obtiendrons un montant identique, voire supérieur. Nous demandons que ces montants soient augmentés au gré des résultats obtenus par les programmes au chapitre de la formation dispensée aux divers acteurs qui aident les femmes.
iKNOW Politics: A quels obstacles vous êtes-vous heurtée en tant que femme dans votre carrière politique, en particulier avec vos colistiers ou au sein du Parlement? Comment les avez-vous surmontés?
Deux exemples me viennent à l'esprit. Le premier a trait au travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés. Régulièrement, je suis la cible de certains députés de sexe masculin, qui tendent à ne voir que les erreurs que je puisse commettre, particulièrement dans des déclarations publiques. Je les appelle des erreurs parce que, parfois, la presse déforme vos propos ou les extraits de leur contexte. Il n’y a pas si longtemps, un journaliste m’a demandé lors d’une entrevue mon avis sur la participation du clergé aux questions de politique. Ma réponse a peut-être été un peu désinvolte, en ce que je me suis montrée favorable à sa participation, en disant, sans entrer dans les détails : « Qu’ils votent et qu’ils soient élus ! Où est le problème, pour autant qu’ils suivent les règles du jeu politique ? ». À ma surprise, l'article qui est paru affirmait que j'avais proposé la réforme de l'article 130 de la Constitution de façon à autoriser les prêtres à voter.
Profitant de la situation, un collègue qui m'avait ouvertement critiqué à diverses reprises s’est exprimé dans diverses émissions télévisées, en insistant lourdement sur la question. Quelle est donc ma position en pareils cas ? Premièrement, je ne réponds pas à toutes les provocations, parce qu’à mon avis, cela peut s’avérer déroutant, notamment quand vos détracteurs sont membres de votre propre parti. Deuxièmement, ma proposition pour mon parti, le PRD, veut que la formation et l'éducation – à commencer par celle des dirigeants – se fondent sur le respect des femmes au sein du parti. En d'autres termes, nous devons promouvoir une vraie formation politique si nous voulons un parti véritablement démocratique.
Le second exemple que j’évoquerai est un épisode fabriqué de toutes pièces au cours duquel un politicien aurait dit qu’il voulait venir « m’attraper la jambe ». Bien qu’il ait usé d’une métaphore politique, il s’est exprimé en public et dans les médias, notamment à la télévision. En raison de l’écho qu’ont eu ces propos peu heureux, j'ai été contrainte de le traiter, en réponse, de « cherche-bagarre de taverne ».
J'ai employé cette expression parce qu'il avait dénigré mon travail institutionnel, en insinuant des propos sexistes, et il est évident que je dois exiger le respect, même si ce respect se fait à mes dépens. Le ton de ma réponse en a contrarié certains. Il n’en demeure pas moins que j'ai été contrainte de m’affirmer et d’obtenir le respect de l’ensemble des forces politiques, notamment parce que mon travail m’impose de contrôler l'équilibre des forces en présence et du débat. Je ne pouvais tout de même pas les laisser me rabaisser de la sorte, n'est-ce pas? Si on s’acharne sur moi, c’est parce que je suis une femme. Je n'ai jamais entendu un des gouverneurs du PRD qui, réunis avec Felipe Calderón, lui aient dit qu’ils voulaient lui attraper la jambe. Honnêtement, j’estime que l'attitude envers le travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés est des plus déplorable et dénigrante.
iKNOW Politics: Forte de votre expérience, que considérez-vous comme la meilleure stratégie pour intégrer les hommes aux processus visant à promouvoir l'égalité des sexes, notamment en termes de participation à la politique?
Une des options stratégiques est la légalité. On pourrait ainsi renvoyer expressément, dans un article spécifique de la Constitution (l’article 3, qui traite de l'enseignement primaire et secondaire), à la culture de la légalité, à la culture du respect des droits des femmes et à l'égalité des sexes. Cette question devrait être traitée à l’école et au sein de la famille. Nous vivons dans une culture machiste, qui considère comme « normal » que ce soient les filles, et non les garçons, qui accomplissent les tâches domestiques. J’estime qu’il faut changer les choses, d’abord en se fondant sur la loi, mais également en éduquant les personnes qui travaillent avec nos enfants, c’est-à-dire les enseignants à l’école, à l’université, au lycée.
Nous devons réformer tout le système de rémunération des enseignants. Un enseignant devrait gagner autant qu'un député, parce que si nous voulons nous entourer de professionnels de premier plan, nous devons leur payer des salaires de premier plan. Je pense que les hommes et les femmes pourraient abolir les préjugés culturels si, dans notre pays, on dispensait un autre type d'éducation. C’est là une stratégie qui, à mon sens, devrait venir compléter celle que le gouvernement prône à la télévision en s’appuyant sur la diffusion de messages sur le respect des femmes.
iKNOW Politics: Quelles suggestions ou conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui, non seulement au Mexique, mais aussi dans diverses parties de la région, souhaitent participer à la vie politique mais perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?
De ne pas prendre les choses trop à cœur. Parfois, nous nous engonçons nous-mêmes dans des carcans, alors qu’il nous faut vivre et profiter de tout ce que nous pensons pouvoir faire. Nous devons nous enthousiasmer pour notre cause, la vivre et la promouvoir avec toute la passion dont nous sommes capables. Depuis que j'ai commencé ma carrière en tant que leader social, puis en tant que chef de parti et, actuellement, en tant que députée fédérale, je n'ai cessé d’agir avec passion au sein de toutes les fonctions que j’ai assumées. Il est vrai – je dois l’avoue – que je suis une passionnée, même lorsque je n'exerce pas de fonctions et que je m’occupe de mon jardin.
Il faut vraiment se passionner pour la vie. Il est faux de dire que nous serons toujours heureux ou que tout est réglé une bonne fois pour toutes. J’estime au contraire que nous devons nous efforcer de recueillir davantage de moments de bonheur, allonger ces brefs moments de bonheur en pensant toujours à la manière de résoudre les problèmes existants. Nous ne pouvons pas sombrer dans la dépression ; nous ne pouvons-nous permettre de penser que tout est perdu. Au contraire, tout est gagné, parce que nous avons la vie. Nous devons en profiter et célébrer notre féminité. Je pense que nous autres femmes sommes plus en mesure que les hommes de profiter de ces bienfaits. Je crois que, quoi que nous fassions, nous devons l’accomplir avec un grand dévouement et beaucoup d’engagement, mais surtout avec beaucoup de passion, en croyant à la possibilité qui nous est offerte de nous épanouir et d’en profiter pleinement.
iKNOW Politics: Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez dire à nos lecteurs et à nos lectrices du monde entier qui liront vos propos?
Je crois que l'Internet nous rapproche. L'Internet est un outil qui contribue à transcender les frontières, et pour transcender les frontières il faut une certaine maturité. J'ai un rêve: j'espère qu'un jour il n'y aura plus de frontières ni de guerres, que la paix régnera dans le monde mais, surtout, que nous pourrons communiquer, circuler et voyager, travailler et nous établir où bon nous semblera, sans aucun type de conflit. Je crois que l'Internet et les réseaux virtuels tels qu’iKNOW Politics tendent vers cet objectif, parce que ces outils ne sont pas propres à un lieu spécifique: ils sont de portée planétaire. La lecture, en particulier des romans, me procure un grand plaisir : j'imagine les endroits, les parcs, les chutes d'eau. J'imagine la souffrance d’un être humain, ses rires et ses motifs de bonheur. Je crois que lorsque nous sommes reliés par un réseau, par un type de relation comme celle celui que vous préconisez, nous pouvons nous trouver en un endroit éloigné sans devoir nécessairement nous déplacer physiquement. Et c’est là, à mon sens, un acquis dont il y a tout lieu de se réjouir.
"J'ai un rêve: j'espère qu'un jour il n'y aura plus de frontières ni de guerres, que la paix régnera dans le monde mais, surtout, que nous pourrons communiquer, circuler et voyager, travailler et nous établir où bon nous semblera, sans aucun type de conflit. Je crois que l'Internet et les réseaux virtuels tels qu’iKNOW Politics tendent vers cet objectif." - Ruth Zavaleta Salgado
iKNOW Politics: Quels défis avez-vous eu à relever en tant que femme occupant un poste de leader, d'abord entant que vice-présidente puis présidente du Bureau de la Chambre des députés? Votre expérience antérieure vous a-t-elle aidée? De quelle manière?
A mos sens, le principal défi est de travailler en faveur de l’institutionnalisation. En 2006, à l’issue d’un processus électoral complexe et polarisé, où notre parti (le Partido de la Revolución Democrática, PRD) a remporté la course à la présidence du Mexique, nous avons constaté que les dirigeants de la Chambre des députés de l’époque, qui étaient membres du parti d'opposition, n'agissaient pas dans l'intérêt de l'institution mais obéissaient à des motivations politiques – ce qui constituait un défi difficile à relever. Le fait d’avoir déjà occupé d’autres fonctions publiques, comme celle de députée locale (2000-2003), qui nous avait permis d’obtenir l'approbation de la loi sur les transports et de la circulation, m’a énormément aidée dans ce contexte.
Ma fonction de chef de délégation de Venustiano Carranza (2003-2006), qui m’a appris l'importance d’un travail institutionnel équilibré, propre à renforcer et à promouvoir les organes dans lesquels nous travaillons pour le bien du peuple, m’a également été très utile. Le fait d’être femme suscite encore d’autres difficultés, imputables à la culture machiste qui prévaut dans notre pays, et qui sont très difficiles à surmonter, parce que les femmes sont-elles mêmes imprégnées de cette culture. C’est pourquoi des manifestations de mépris ou de misogynie sont parfois considérées comme naturelles ou, pis encore, comme divertissantes. Ce constat se vérifie aussi bien en politique que dans d'autres secteurs.
Parfois, un député ou un chef de parti dénigre le travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés, notamment l’accent que je place sur les institutions. Quant à moi, je ne considère pas cette attitude comme une barrière ou un obstacle insurmontable. A mon sens, un des moyens de changer les choses consiste pour moi à riposter en accomplissant mon devoir et en gagnant l'acceptation de la population. Il est très important que les citoyens sachent, pensent, voient et croient qu'il est possible de briser cette culture et de changer cet état de fait.
iKNOW Politics: Quel est, au Mexique, la situation actuelle en ce qui concerne la participation des femmes en politique, au sein des partis ainsi que des pouvoirs législatif et exécutif?
Elle est consacrée dans la loi, et en particulier dans la Constitution. Dans la pratique toutefois, elle n’est pas systématiquement respectée, notamment dans les régions appelées provinces ou municipalités, en particulier celles qui sont les plus éloignées des villes, qui ne sont pas régies par la Constitution, en termes d'égalité ou des droits des femmes, mais par des pratiques et des coutumes qui, aujourd'hui encore – un siècle après la naissance de Simone de Beauvoir – limitent considérablement la participation des femmes à la démocratie.
Le cas d'Eufrosina Cruz à Oaxaca, qui a fait la une des médias internationaux, est emblématique. En tant que femme autochtone, elle s’est retrouvée écartée de la fonction publique en raison des coutumes de sa communauté. Je le répète, un des principaux obstacles est que la législation et la réglementation en vigueur ne sont pas appliquées, et les femmes sont celles qui en font le plus les frais.
iKNOW Politics: La loi mexicaine sur l'égalité est considérée comme une loi très progressiste dans la région. Dans quelle mesure a-t-elle été mise en application? A votre avis, constitue-t-elle une référence fondamentale à l’heure de réaliser une véritable égalité des sexes?
La loi sur l’égalité, lacunaire, doit encore s’appuyer sur une réglementation d’application. Nous devons suivre la situation pour nous assurer que l’exécutif au niveau fédéral applique une législation favorable. A mon avis, il serait très bénéfique de favoriser l’éducation, particulièrement auprès des jeunes et des enfants de l’un et l’autre sexe. A l’heure actuelle toutefois, les travaux progressent davantage sur le plan rhétorique et théorique que dans la pratique ; or, je pense que si nous pouvions faire appliquer les lois et sanctionner ceux qui ne les respectent pas, nous ne nous en porterions que mieux. A nouveau, il subsiste des lacunes dans la réglementation pertinente.
iKNOW Politics: Comment le système de quotas est-il mis en œuvre au Mexique? Quelles sont les mesures ou les normes prévues pour sanctionner la non-application? Quels sont vos projets, objectifs ou défis futurs à propos du système de quotas?
En règle générale, je n’aspire ni plus ni moins qu’à la parité. Au sein des partis politiques, tout dépend du parti. La plupart appliquent un quota obligatoire de 30 % sur leurs listes de candidats dans le contexte d’une représentation proportionnelle. La Constitution en vigueur prévoit que quiconque – homme ou femme – souhaite se présenter aux élections peut le faire. Mais la loi électorale est très claire au sujet de la participation des femmes et impose un quota de 30 % sur les listes proportionnelles.
Pour en revenir aux partis politiques, le PRD, par exemple, a examiné la question de la parité à son dernier congrès et l'a approuvée. Le PRD est à l’avant-garde dans ce domaine. Il applique la norme d’une représentation à 50 % d’hommes et à 50 % de femmes sur les listes proportionnelles. Il est essentiel de respecter les quotas qui existent actuellement. Même avec un quota de 30 % instauré dans les communautés et dans les États, il subsiste des problèmes qui vont au-delà de la légalité et qui ont trait à l'éducation et au respect de la fonction. Prenons par exemple le cas des députées fédérales. Lorsque la femme parvient au niveau du District fédéral pour assumer ses fonctions, elle démissionne et renonce au profit d’un suppléant, le plus souvent un homme –fils, frère ou fiancé.
iKNOW Politics: Y a-t-il un mécanisme en vigueur qui sanctionne la non-conformité aux quotas fixés par la loi ?
Oui. Dans le cas du PRD, si une femme dont le nom devrait figurer sur la liste en est absente – compte tenu de la proportion, qui veut qu'un candidat sur trois soit une femme ou un jeune –l'Institut électoral fédéral (Instituto Federal Electoral, IFE), l’organe habilité à sanctionner un parti qui ne respecte pas ses lois sur les quotas, déterminera la punition à imposer.
iKNOW Politics: Dans plusieurs pays du monde et dans la région, les comités ou groupements parlementaires de femmes sont bien acceptés et ont beaucoup de succès, notamment à l’heure de proposer des initiatives au profit des femmes, de suivre l'application des normes en vigueur, etc. Existe-t-il un mécanisme analogue au Parlement mexicain?
La Commission de l’égalité de la Chambre des députés est le principal organe habilité à examiner les questions concernant les femmes. Il préconise régulièrement des initiatives liées à la santé, à l'éducation et à la violence familiale en mettant en œuvre une approche féministe. Il contrôle également l’affectation des crédits proposés par l’exécutif et approuvés tous les ans par la législature. Pour 2008, nous avons un budget extraordinaire dont l'affectation est contrôlée par la Commission de l'égalité. Il existe également, au sein de la Chambre des députés, un centre d’études féministes, qui consacre toute une gamme d'études, d’enquêtes et de propositions à la lutte pour l'égalité des sexes. Bien que le Parlement mexicain ne compte pas de groupement de femmes, lorsqu’il d’agit de questions sensibles telles que la violence à Juárez, la prévention du SIDA ou le cancer de l’utérus, nous nous réunissons avec nos consœurs de différentes factions parlementaires pour formuler des propositions, examiner des programmes et assurer le suivi des différents cas.
iKNOW Politics: En tant que présidente du Bureau de la Chambre des députés, quels projets envisagez-vous de promouvoir pour augmenter la participation des femmes en politique? Certains médias ont décrit une proposition de financement des questions d’égalité, qui est en cours d’élaboration. Comment sera-t-elle mise en œuvre?
Les députées organisent les femmes en communautés locales pour promouvoir la formation, l’éducation et l’accès à la justice pour les cas de violence familiale. C’est là essentiellement ce que nous préconisons. Je viens de la région de Venustiano Carranza, que nous visitons en nous rendant dans les appartements et les quartiers et en réunissant leurs habitants pour leur parler de la culture de la légalité et de la violence contre les femmes, de manière à amorcer son élimination. Nous leur disons que la loi les protège, qu’ils peuvent nous demander de l’aide et des conseils pour saisir le ministère public et déposer, en cas de problème, une plainte, et que nous pouvons les orienter vers un abri.
Il y a également des tâches plus spécifiques à accomplir qui viennent compléter les activités de formation et d’instruction pour permettre aux individus de s’organiser. Les personnes qui sont sans travail ou qui ont des difficultés économiques au sein de la famille peuvent s’organiser pour obtenir des crédits et pour accéder aux biens de production. Dans le cas de Michoacán, par exemple, des femmes s’adonnant à la broderie et à la couture s’organisent au sein de leurs communautés. S’agissant de la proposition de financement, le budget est établi tous les ans et un budget extraordinaire est proposé pour aider les femmes dans différents domaines. Ces crédits ont déjà été mis en œuvre.
Ainsi, un budget de plus de 2 milliards de pesos a été dépensé dans le domaine de la justice. Les ministères publics ont reçu des fonds extraordinaires pour promouvoir la formation et l'éducation de leurs fonctionnaires de manière à pouvoir aider les femmes victimes de violences familiales. Ces fonds sont maintenant dépensés ; c'est là un budget pour l’obtention duquel nous avons lutté l’an dernier, et je suis persuadée que cette année encore nous obtiendrons un montant identique, voire supérieur. Nous demandons que ces montants soient augmentés au gré des résultats obtenus par les programmes au chapitre de la formation dispensée aux divers acteurs qui aident les femmes.
iKNOW Politics: A quels obstacles vous êtes-vous heurtée en tant que femme dans votre carrière politique, en particulier avec vos colistiers ou au sein du Parlement? Comment les avez-vous surmontés?
Deux exemples me viennent à l'esprit. Le premier a trait au travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés. Régulièrement, je suis la cible de certains députés de sexe masculin, qui tendent à ne voir que les erreurs que je puisse commettre, particulièrement dans des déclarations publiques. Je les appelle des erreurs parce que, parfois, la presse déforme vos propos ou les extraits de leur contexte. Il n’y a pas si longtemps, un journaliste m’a demandé lors d’une entrevue mon avis sur la participation du clergé aux questions de politique. Ma réponse a peut-être été un peu désinvolte, en ce que je me suis montrée favorable à sa participation, en disant, sans entrer dans les détails : « Qu’ils votent et qu’ils soient élus ! Où est le problème, pour autant qu’ils suivent les règles du jeu politique ? ». À ma surprise, l'article qui est paru affirmait que j'avais proposé la réforme de l'article 130 de la Constitution de façon à autoriser les prêtres à voter.
Profitant de la situation, un collègue qui m'avait ouvertement critiqué à diverses reprises s’est exprimé dans diverses émissions télévisées, en insistant lourdement sur la question. Quelle est donc ma position en pareils cas ? Premièrement, je ne réponds pas à toutes les provocations, parce qu’à mon avis, cela peut s’avérer déroutant, notamment quand vos détracteurs sont membres de votre propre parti. Deuxièmement, ma proposition pour mon parti, le PRD, veut que la formation et l'éducation – à commencer par celle des dirigeants – se fondent sur le respect des femmes au sein du parti. En d'autres termes, nous devons promouvoir une vraie formation politique si nous voulons un parti véritablement démocratique.
Le second exemple que j’évoquerai est un épisode fabriqué de toutes pièces au cours duquel un politicien aurait dit qu’il voulait venir « m’attraper la jambe ». Bien qu’il ait usé d’une métaphore politique, il s’est exprimé en public et dans les médias, notamment à la télévision. En raison de l’écho qu’ont eu ces propos peu heureux, j'ai été contrainte de le traiter, en réponse, de « cherche-bagarre de taverne ».
J'ai employé cette expression parce qu'il avait dénigré mon travail institutionnel, en insinuant des propos sexistes, et il est évident que je dois exiger le respect, même si ce respect se fait à mes dépens. Le ton de ma réponse en a contrarié certains. Il n’en demeure pas moins que j'ai été contrainte de m’affirmer et d’obtenir le respect de l’ensemble des forces politiques, notamment parce que mon travail m’impose de contrôler l'équilibre des forces en présence et du débat. Je ne pouvais tout de même pas les laisser me rabaisser de la sorte, n'est-ce pas? Si on s’acharne sur moi, c’est parce que je suis une femme. Je n'ai jamais entendu un des gouverneurs du PRD qui, réunis avec Felipe Calderón, lui aient dit qu’ils voulaient lui attraper la jambe. Honnêtement, j’estime que l'attitude envers le travail que j’effectue au sein de la Chambre des députés est des plus déplorable et dénigrante.
iKNOW Politics: Forte de votre expérience, que considérez-vous comme la meilleure stratégie pour intégrer les hommes aux processus visant à promouvoir l'égalité des sexes, notamment en termes de participation à la politique?
Une des options stratégiques est la légalité. On pourrait ainsi renvoyer expressément, dans un article spécifique de la Constitution (l’article 3, qui traite de l'enseignement primaire et secondaire), à la culture de la légalité, à la culture du respect des droits des femmes et à l'égalité des sexes. Cette question devrait être traitée à l’école et au sein de la famille. Nous vivons dans une culture machiste, qui considère comme « normal » que ce soient les filles, et non les garçons, qui accomplissent les tâches domestiques. J’estime qu’il faut changer les choses, d’abord en se fondant sur la loi, mais également en éduquant les personnes qui travaillent avec nos enfants, c’est-à-dire les enseignants à l’école, à l’université, au lycée.
Nous devons réformer tout le système de rémunération des enseignants. Un enseignant devrait gagner autant qu'un député, parce que si nous voulons nous entourer de professionnels de premier plan, nous devons leur payer des salaires de premier plan. Je pense que les hommes et les femmes pourraient abolir les préjugés culturels si, dans notre pays, on dispensait un autre type d'éducation. C’est là une stratégie qui, à mon sens, devrait venir compléter celle que le gouvernement prône à la télévision en s’appuyant sur la diffusion de messages sur le respect des femmes.
iKNOW Politics: Quelles suggestions ou conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui, non seulement au Mexique, mais aussi dans diverses parties de la région, souhaitent participer à la vie politique mais perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?
De ne pas prendre les choses trop à cœur. Parfois, nous nous engonçons nous-mêmes dans des carcans, alors qu’il nous faut vivre et profiter de tout ce que nous pensons pouvoir faire. Nous devons nous enthousiasmer pour notre cause, la vivre et la promouvoir avec toute la passion dont nous sommes capables. Depuis que j'ai commencé ma carrière en tant que leader social, puis en tant que chef de parti et, actuellement, en tant que députée fédérale, je n'ai cessé d’agir avec passion au sein de toutes les fonctions que j’ai assumées. Il est vrai – je dois l’avoue – que je suis une passionnée, même lorsque je n'exerce pas de fonctions et que je m’occupe de mon jardin.
Il faut vraiment se passionner pour la vie. Il est faux de dire que nous serons toujours heureux ou que tout est réglé une bonne fois pour toutes. J’estime au contraire que nous devons nous efforcer de recueillir davantage de moments de bonheur, allonger ces brefs moments de bonheur en pensant toujours à la manière de résoudre les problèmes existants. Nous ne pouvons pas sombrer dans la dépression ; nous ne pouvons-nous permettre de penser que tout est perdu. Au contraire, tout est gagné, parce que nous avons la vie. Nous devons en profiter et célébrer notre féminité. Je pense que nous autres femmes sommes plus en mesure que les hommes de profiter de ces bienfaits. Je crois que, quoi que nous fassions, nous devons l’accomplir avec un grand dévouement et beaucoup d’engagement, mais surtout avec beaucoup de passion, en croyant à la possibilité qui nous est offerte de nous épanouir et d’en profiter pleinement.
iKNOW Politics: Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez dire à nos lecteurs et à nos lectrices du monde entier qui liront vos propos?
Je crois que l'Internet nous rapproche. L'Internet est un outil qui contribue à transcender les frontières, et pour transcender les frontières il faut une certaine maturité. J'ai un rêve: j'espère qu'un jour il n'y aura plus de frontières ni de guerres, que la paix régnera dans le monde mais, surtout, que nous pourrons communiquer, circuler et voyager, travailler et nous établir où bon nous semblera, sans aucun type de conflit. Je crois que l'Internet et les réseaux virtuels tels qu’iKNOW Politics tendent vers cet objectif, parce que ces outils ne sont pas propres à un lieu spécifique: ils sont de portée planétaire. La lecture, en particulier des romans, me procure un grand plaisir : j'imagine les endroits, les parcs, les chutes d'eau. J'imagine la souffrance d’un être humain, ses rires et ses motifs de bonheur. Je crois que lorsque nous sommes reliés par un réseau, par un type de relation comme celle celui que vous préconisez, nous pouvons nous trouver en un endroit éloigné sans devoir nécessairement nous déplacer physiquement. Et c’est là, à mon sens, un acquis dont il y a tout lieu de se réjouir.