Marlene Malahoo Forte
“Dans la vie, je m'efforce tout simplement de faire de mon mieux: me servir de mes fonctions au mieux tant que je les détiens et tenir présent à l'esprit qu'une fonction n'est pas un lieu où s'exercent des privilèges personnels, mais le point de départ de hautes responsabilités. Toutes les décisions que je prends doivent donc servir le bien d'autrui.” - Marlene Malahoo Forte
iKNOW Politics: Je voudrais commencer par vous parler de votre carrière politique. Quand a-t-elle débuté et avec quelle motivation? Quelles opportunités et quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme engagée dans la vie politique?
Je suis avocate de formation. J'ai plaidé pendant neuf ans et été procureur pendant quatre ans et demi. C'est à cette époque que j'ai commencé à m'intéresser de près à la vie publique. Ce sont aussi mes contacts fréquents avec le gouvernement qui m'ont de plus en plus donné envie de savoir ce qui se passait dans ses rouages. J'ai donc à une ou deux reprises interrompu ma carrière d'avocate pour réfléchir à la façon dont je pouvais mettre le mieux possible au service des autres mon vif intérêt pour la politique et les rouages du gouvernement. Pendant ma dernière année sabbatique, j'ai reçu une invitation du Premier ministre me proposant un siège au Sénat et un portefeuille ministériel aux affaires étrangères et au commerce extérieur. J'ai beaucoup réfléchi et beaucoup prié avant d'accepter cette invitation, qui m'amène à me présenter à vous en cette qualité un an plus tard.
Des obstacles? Il n'en a pas manqué au début. Je n'avais pas de bagage politique et ceux qui estimaient avoir fait leurs preuves politiques pensaient bien évidemment qu'une vacance en haut de la pyramide leur revenait de droit. J'étais donc toute nouvelle sur la scène politique et mes collègues ne savaient pas en quoi je croyais. Je crois toutefois avant tout à mon pays et à mon engagement, qui est de mettre mes compétences, mon talent et ma formation à profit pour mettre davantage le gouvernement au service des citoyens. C'est une position difficile pour les femmes, bien difficile, mais nous avons beaucoup progressé. Comme vous le savez peut-être, la Jamaïque a eu une femme Premier ministre, même si elle n'est pas sortie des urnes. Elle était le successeur naturel à la tête de son parti. Nous avons maintenant notre première femme Ministre de la justice et une femme est Juge en chef. De grandes avancées ont donc eu lieu en faveur de la parité en politique, mais de telles positions restent très difficiles pour les femmes.
iKNOW Politics: Pourquoi est-ce si dur, selon vous? Pourriez-vous nous parler de votre expérience personnelle? Avez-vous réussi à dépasser cette barrière?
Il me semble que parfois, en tant que jeune femme, on n'est pas prise au sérieux. Peut-être que les gens pensent que le combat quotidien de la politique n'est pas pour nous ou que nous ne devrions pas avoir notre mot à dire dans les structures du parti. Les femmes de mon parti (le Parti travailliste jamaïcain) me disent qu'elles n'ont pas eu la vie facile, même si des femmes éminentes ont été le numéro deux du parti. Dans mon cas, on me dit parfois que je ne suis pas taillée pour la politique et on me conseille de m'endurcir pour faire face aux électeurs.
Je suis sénatrice nommée, et pas parlementaire élue, et je n'ai donc jamais été confrontée au combat politique. A en juger par la réaction des gens et leurs attentes à l'égard des femmes au gouvernement, toutefois, le Parlement donne le sentiment d'être un monde d'hommes.
iKNOW Politics: Vous êtes très jeune et vous êtes aussi la deuxième femme à occuper ce poste. Comment avez-vous été désignée? Votre nomination s'inscrit-elle dans le contexte d'une nouvelle politique gouvernementale?
Je suis Ministre d'Etat du Ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur et je suis effectivement la deuxième femme à occuper ce poste. Il est intéressant de relever que la première était une militante féministe de renom et c'est un honneur pour moi de reprendre le flambeau après elle. Je ne peux que vous répétez ce que m'a dit le Premier Ministre lorsqu'il m'a envoyé cette invitation. Il m'a dit: "J'ai besoin d'aide pour accomplir la mission qui m'a été confiée par le peuple et je cherche les personnes les plus qualifiées et les plus brillantes pour m'épauler". C'est peut-être parce qu'il connaissait mes qualifications qu'il a pensé que ma place était ici. Je peux vous dire que je travaille beaucoup depuis un an. Je crois que notre Premier Ministre a notamment l'intention d'ouvrir la scène politique aux jeunes générations. Il me semble aussi qu'il pense à l'héritage qu'il laissera derrière lui. Je suis donc honorée de la confiance qu'il a en moi et je m'efforce de faire du mieux possible pour mon pays.
iKNOW Politics: Pourriez-vous décrire trois objectifs que vous êtes en train de concrétiser ou que vous envisagez de concrétiser pour faire avancer la cause des femmes, en particulier celles quoi s'engagent en politique? Quelle stratégie avez-vous l'intention d'adopter?
Au Ministère, l'une de mes responsabilités les plus importantes concerne le commerce extérieur, ce qui inclut la négociation des accords commerciaux avec l'étranger. Je supervise les accords de libre-échange et les autres accords relatifs au commerce et au développement, ainsi que notre participation à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la Communauté caribéenne (CARICOM). Nous négocions également un accord avec le Canada. J'ai découvert que l'autonomisation financière des femmes est essentielle au développement de la société. A chaque fois que je m'assois à mon bureau, cette réalité occupe tout mon esprit. J'aimerais que nos orientations générales et le commerce tiennent compte du rôle particulier que jouent les femmes. Je voudrais que les femmes puissent mettre à profit les avantages que nous avons négociés et j'aimerais créer un environnement dans lequel elles puissent prospérer, non seulement dans de petites entreprises, mais aussi à l'exportation, où l'échelle compte. C'est ce que je prends en considération: la place spéciale réservée aux femmes dans nos accords commerciaux, et je tente de veiller à ce que ces initiatives les aident à prospérer et réussir en affaires.
L'accès des femmes aux capitaux m'intéresse aussi et je suis de près la politique menée par les institutions financières. En dehors de mes fonctions, je suis aussi à la tête d'un groupe de femmes appelé "Women’s Leadership Initiative" (Initiative de leadership des femmes), un groupe de défense des droits des femmes et des enfants, auquel appartiennent des membres influents de la société et qui soutient des femmes éminentes à tous les niveaux. Des banquiers, des financiers, et toute sorte d'autres professionnels sont dans nos rangs. J'ai donc commencé à m'intéresser à la politique menée par les banques pour voir si elle permet ou non aux femmes d'accéder à des financements, tout particulièrement les femmes qui ne disposent pas de garanties bancaires traditionnelles. Je crois que la situation doit changer. Il faut faire évoluer la façon de mesurer le risque.
En ce qui concerne la politique, je suis convaincue que faire participer les femmes à la prise de décision permet d'obtenir de meilleurs résultats. Je voudrais vraiment que davantage de femmes s'engagent en politique afin qu'elles puissent assumer des responsabilités. Il nous faut des femmes sensibles aux questions de parité, engagées en faveur du développement et conscientes du rôle critique joué par les femmes dans l'autonomisation d'autres femmes.
iKNOW Politics: Vous avez évoqué CARICOM. Ce type d'accords étant de plus en plus fréquent, pouvez-vous nous en dire quelques mots? Comment pensez-vous qu'il soit possible de mettre ces accords à profit pour promouvoir l'égalité des sexes?
La Jamaïque est membre de CARICOM, la Communauté caribéenne, composée de 15 Etats membres, dont Haïti. Nous nous efforçons de nous donner des principes communs généraux en matière de commerce extérieur. Nous travaillons aussi sur des questions de parité et de droits des femmes. C'est une étape très importante pour nous, tant du point de vue des Caraïbes que de l'Amérique latine. Les pays plus avancés dans le domaine de la parité peuvent aider ceux qui sont en retard, ce qui permet de faire évoluer les lois et d'appliquer des politiques, en faisant respecter la législation existante et en améliorant de façon générale la situation des femmes. Il existe donc un marché unique caribéen et nous nous acheminons vers une économie unique. Nous disposons déjà d'un marché intérieur unique exigeant des pays qui sont en retard qu'ils portent leurs politiques au niveau de ceux qui sont plus avancés. Ainsi, personne ne sera désavantagé sur le marché du travail ou dans d'autres secteurs clés à l'intérieur de ce marché unique.
iKNOW Politics: Quelle est votre vision de l'engagement des femmes dans la vie politique et de leur accès à la politique en Jamaïque? Il n'existe pas de quotas dans votre pays et la Chambre des Représentants compte huit femmes sur 60 parlementaires, le Sénat cinq sur 21 sénateurs. Comment envisagez-vous donc les choses? Que faudrait-il changer?
Eh oui, huit des 60 parlementaires de la Chambre des représentants sont des femmes. La proportion est plus élevée au Sénat, où nous sommes cinq femmes sur 21 (quatre représentantes du parti au gouvernement et une représentante de l'opposition). Cinq femmes siègent donc à la Chambre haute (le Sénat) et huit à la Chambre basse. Une fois encore, je félicite mon Premier Ministre d'avoir eu le courage de nommer davantage de représentantes du parti au gouvernement, dont des femmes jeunes, au Sénat. C'est une très bonne initiative. Je peux vous dire que c'est une attitude nouvelle et différente et que cela se remarque.
J'aimerais que davantage de femmes soient élues à la Chambre basse. J'en serais vraiment ravie. Mais c'est très difficile pour l'instant car les campagnes coûtent cher et assumer des fonctions politiques est une tâche ingrate et impitoyable. A moins d'avoir le profond désir de rendre au monde et d'en faire un endroit où il fait meilleur vivre en s'engageant… j'ai bien peur qu'étant donné la façon dont le système est conçu les femmes continuent à être exclues. Il est très important de faire évoluer la législation. J'aime bien l'idée des quotas, mais encore plus l'idée de recruter les personnes les meilleures et les mieux qualifiées. Par contre je ne veux pas que les femmes subissent une discrimination sexiste ni que des portes se ferment devant elles parce qu'elles sont des femmes. L'égalité des chances pour les deux sexes est donc essentielle. J'aimerais que davantage de femmes s'impliquent dans des fonctions élues afin que nous puissions grimper les échelons et montrer ce dont nous sommes capables.
iKNOW Politics: Les partis politiques jouent le rôle de filtre. Quelle est la situation des partis politiques en Jamaïque, tout particulièrement pour ce qui est de la promotion de l'accès des femmes à l'intérieur des partis?
Honnêtement, je ne crois pas avoir encore tout à fait réussi à comprendre mon parti. Je sais que le poste le plus élevé qu'une femme y ait jamais occupé est celui de Vice-présidente. Aucune femme n'occupe actuellement de telles fonctions, mais ce sera bientôt le cas et je ne serais pas surprise qu'une femme prenne bientôt les destinées du parti en main.
Certaines militantes du parti se sont mises au travail. La semaine dernière, je parlais à l'une de mes collègues sénatrice, qui me disait qu'en dehors de son engagement dans le groupe des représentantes politiques, elle allait aussi former des femmes à devenir directrices de campagne et à apprendre à d'autres femmes comment se porter candidates. Je trouve ça très bien et quand je quitte mon bureau, j'aime qu'on me parle de ce type d'efforts. Je crois que l'électorat en général s'est rendu compte que les femmes ont un style de direction plus sensible. Je ne serais pas surprise que les électeurs exigent un jour ou l'autre de voir des femmes tenir les rênes des partis politiques. Le Parti national populaire (d'opposition) est dirigé par une femme. Portia Simpson Mill a été notre première femme à la tête du gouvernement. Nous ne sommes donc pas si en retard que ça en Jamaïque. Je ne connais pas bien le fonctionnement interne du Parti national populaire, car ce n'est pas le parti auquel je suis affiliée, mais une femme est à la tête de l'un des deux grand partis politiques de Jamaïque. Une femme a déjà été Premier Ministre chez nous et je suis sure que ce n'est qu'un début.
iKNOW Politics: En politique, il est essentiel de s'entourer de bonnes alliances et de bons réseaux. iKNOW Politics est à la fois un réseau et une ressource pour les autres réseaux. Quel est le rôle joué par les alliances et les réseaux dans votre carrière?
J’ai toujours été active dans la société civile. J'ai toujours travaillé le soir en plus de mon travail de la journée. Je vous ai dit que j'ai pris la tête d'un groupe de femme baptisé Women’s Leadership Initiative, qui offre un soutien considérable. Je crois que j'ai eu la grande chance d'être entourée de gens qui savent ce que c'est que de faire du bon travail. Je ne sous-estimerai jamais le pouvoir des réseaux. Même à l'échelle personnelle, quand on a besoin de quelqu'un et qu'on connaît une personne compétente, on commence par s'adresser à elle. La Jamaïque est un petit pays et la qualité du réseau dont on s'entoure est essentielle. Ceci étant, je me rends aussi compte que tout le monde n'appartient pas à un réseau. Par conséquent, même quand on entre dans un réseau, on doit faire attention à ne pas se couper du reste du monde. Il y a des gens puissants partout. Pour moi, en dernière analyse, ceci signifie que tout peut avoir de la valeur. Pour autant que vous le souhaitiez et que nous partagions le souhait de faire avancer notre pays, je suis prête à m'associer avec vous et si votre avis diverge du mien, je m'efforcerai de le comprendre. Je sais changer d'avis.
iKNOW Politics: Quel souvenir souhaiteriez-vous laisser? Quel type d'héritage aimeriez-vous transmettre, tout particulièrement en ce qui concerne la cause des femmes et les femmes en politique?
Dans la vie, je m'efforce tout simplement de faire de mon mieux: me servir de mes fonctions au mieux tant que je les détiens et tenir présent à l'esprit qu'une fonction n'est pas un lieu où s'exercent des privilèges personnels, mais le point de départ de hautes responsabilités. Toutes les décisions que je prends doivent donc servir le bien d'autrui. Je souhaite profondément donner une place internationale à la Jamaïque. Certaines particularités ne sont pas toujours comprises ou appréciées, des particularités ayant un impact sur le progrès de tous. Aujourd'hui, la Jamaïque est considérée comme un pays à revenus intermédiaires, mais nous sommes lourdement endettés. Notre ratio dette publique/PIB dépasse les 25 pour cent. Ce n'est pas bon pour le financement des programmes. Ce sont les projets destinés aux segments les plus vulnérables de la population qui en souffrent.
Ce que je souhaite à court terme et ce que je voudrais léguer: je voudrais que les pays à revenus intermédiaires lourdement endettés soient reconnus comme une catégorie à part entière. On considère que ces pays ne sont pas assez pauvres pour recevoir une aide spéciale en raison de leurs revenus intermédiaires, mais leur niveau d'endettement les rend plus vulnérables que des pays moins riches. Quelles conséquences cette situation a-t-elle sur nous? Nous avons plus difficilement accès à des financements, des prêts et des dons, ce qui influe ensuite sur les programmes que nous menons. De façon générale, il me tient à cœur que quand l'Etat prend des décisions, ces dernières servent l'intérêt supérieur de la population et non pas la popularité du parti au pouvoir. Ce n'est pas mission facile, mais je m'y suis engagée. Le gouvernement doit mieux servir le peuple, il doit offrir des services aux plus vulnérables. Nos élus et nos représentants politiques doivent remplir leurs fonctions avec intégrité. J'espère qu'on se souviendra de moi comme de quelqu'un qui a mis tout son talent, ses connaissances et ses compétences au service des fonctions qui lui ont été confiées.
“Dans la vie, je m'efforce tout simplement de faire de mon mieux: me servir de mes fonctions au mieux tant que je les détiens et tenir présent à l'esprit qu'une fonction n'est pas un lieu où s'exercent des privilèges personnels, mais le point de départ de hautes responsabilités. Toutes les décisions que je prends doivent donc servir le bien d'autrui.” - Marlene Malahoo Forte
iKNOW Politics: Je voudrais commencer par vous parler de votre carrière politique. Quand a-t-elle débuté et avec quelle motivation? Quelles opportunités et quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme engagée dans la vie politique?
Je suis avocate de formation. J'ai plaidé pendant neuf ans et été procureur pendant quatre ans et demi. C'est à cette époque que j'ai commencé à m'intéresser de près à la vie publique. Ce sont aussi mes contacts fréquents avec le gouvernement qui m'ont de plus en plus donné envie de savoir ce qui se passait dans ses rouages. J'ai donc à une ou deux reprises interrompu ma carrière d'avocate pour réfléchir à la façon dont je pouvais mettre le mieux possible au service des autres mon vif intérêt pour la politique et les rouages du gouvernement. Pendant ma dernière année sabbatique, j'ai reçu une invitation du Premier ministre me proposant un siège au Sénat et un portefeuille ministériel aux affaires étrangères et au commerce extérieur. J'ai beaucoup réfléchi et beaucoup prié avant d'accepter cette invitation, qui m'amène à me présenter à vous en cette qualité un an plus tard.
Des obstacles? Il n'en a pas manqué au début. Je n'avais pas de bagage politique et ceux qui estimaient avoir fait leurs preuves politiques pensaient bien évidemment qu'une vacance en haut de la pyramide leur revenait de droit. J'étais donc toute nouvelle sur la scène politique et mes collègues ne savaient pas en quoi je croyais. Je crois toutefois avant tout à mon pays et à mon engagement, qui est de mettre mes compétences, mon talent et ma formation à profit pour mettre davantage le gouvernement au service des citoyens. C'est une position difficile pour les femmes, bien difficile, mais nous avons beaucoup progressé. Comme vous le savez peut-être, la Jamaïque a eu une femme Premier ministre, même si elle n'est pas sortie des urnes. Elle était le successeur naturel à la tête de son parti. Nous avons maintenant notre première femme Ministre de la justice et une femme est Juge en chef. De grandes avancées ont donc eu lieu en faveur de la parité en politique, mais de telles positions restent très difficiles pour les femmes.
iKNOW Politics: Pourquoi est-ce si dur, selon vous? Pourriez-vous nous parler de votre expérience personnelle? Avez-vous réussi à dépasser cette barrière?
Il me semble que parfois, en tant que jeune femme, on n'est pas prise au sérieux. Peut-être que les gens pensent que le combat quotidien de la politique n'est pas pour nous ou que nous ne devrions pas avoir notre mot à dire dans les structures du parti. Les femmes de mon parti (le Parti travailliste jamaïcain) me disent qu'elles n'ont pas eu la vie facile, même si des femmes éminentes ont été le numéro deux du parti. Dans mon cas, on me dit parfois que je ne suis pas taillée pour la politique et on me conseille de m'endurcir pour faire face aux électeurs.
Je suis sénatrice nommée, et pas parlementaire élue, et je n'ai donc jamais été confrontée au combat politique. A en juger par la réaction des gens et leurs attentes à l'égard des femmes au gouvernement, toutefois, le Parlement donne le sentiment d'être un monde d'hommes.
iKNOW Politics: Vous êtes très jeune et vous êtes aussi la deuxième femme à occuper ce poste. Comment avez-vous été désignée? Votre nomination s'inscrit-elle dans le contexte d'une nouvelle politique gouvernementale?
Je suis Ministre d'Etat du Ministère des affaires étrangères et du commerce extérieur et je suis effectivement la deuxième femme à occuper ce poste. Il est intéressant de relever que la première était une militante féministe de renom et c'est un honneur pour moi de reprendre le flambeau après elle. Je ne peux que vous répétez ce que m'a dit le Premier Ministre lorsqu'il m'a envoyé cette invitation. Il m'a dit: "J'ai besoin d'aide pour accomplir la mission qui m'a été confiée par le peuple et je cherche les personnes les plus qualifiées et les plus brillantes pour m'épauler". C'est peut-être parce qu'il connaissait mes qualifications qu'il a pensé que ma place était ici. Je peux vous dire que je travaille beaucoup depuis un an. Je crois que notre Premier Ministre a notamment l'intention d'ouvrir la scène politique aux jeunes générations. Il me semble aussi qu'il pense à l'héritage qu'il laissera derrière lui. Je suis donc honorée de la confiance qu'il a en moi et je m'efforce de faire du mieux possible pour mon pays.
iKNOW Politics: Pourriez-vous décrire trois objectifs que vous êtes en train de concrétiser ou que vous envisagez de concrétiser pour faire avancer la cause des femmes, en particulier celles quoi s'engagent en politique? Quelle stratégie avez-vous l'intention d'adopter?
Au Ministère, l'une de mes responsabilités les plus importantes concerne le commerce extérieur, ce qui inclut la négociation des accords commerciaux avec l'étranger. Je supervise les accords de libre-échange et les autres accords relatifs au commerce et au développement, ainsi que notre participation à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la Communauté caribéenne (CARICOM). Nous négocions également un accord avec le Canada. J'ai découvert que l'autonomisation financière des femmes est essentielle au développement de la société. A chaque fois que je m'assois à mon bureau, cette réalité occupe tout mon esprit. J'aimerais que nos orientations générales et le commerce tiennent compte du rôle particulier que jouent les femmes. Je voudrais que les femmes puissent mettre à profit les avantages que nous avons négociés et j'aimerais créer un environnement dans lequel elles puissent prospérer, non seulement dans de petites entreprises, mais aussi à l'exportation, où l'échelle compte. C'est ce que je prends en considération: la place spéciale réservée aux femmes dans nos accords commerciaux, et je tente de veiller à ce que ces initiatives les aident à prospérer et réussir en affaires.
L'accès des femmes aux capitaux m'intéresse aussi et je suis de près la politique menée par les institutions financières. En dehors de mes fonctions, je suis aussi à la tête d'un groupe de femmes appelé "Women’s Leadership Initiative" (Initiative de leadership des femmes), un groupe de défense des droits des femmes et des enfants, auquel appartiennent des membres influents de la société et qui soutient des femmes éminentes à tous les niveaux. Des banquiers, des financiers, et toute sorte d'autres professionnels sont dans nos rangs. J'ai donc commencé à m'intéresser à la politique menée par les banques pour voir si elle permet ou non aux femmes d'accéder à des financements, tout particulièrement les femmes qui ne disposent pas de garanties bancaires traditionnelles. Je crois que la situation doit changer. Il faut faire évoluer la façon de mesurer le risque.
En ce qui concerne la politique, je suis convaincue que faire participer les femmes à la prise de décision permet d'obtenir de meilleurs résultats. Je voudrais vraiment que davantage de femmes s'engagent en politique afin qu'elles puissent assumer des responsabilités. Il nous faut des femmes sensibles aux questions de parité, engagées en faveur du développement et conscientes du rôle critique joué par les femmes dans l'autonomisation d'autres femmes.
iKNOW Politics: Vous avez évoqué CARICOM. Ce type d'accords étant de plus en plus fréquent, pouvez-vous nous en dire quelques mots? Comment pensez-vous qu'il soit possible de mettre ces accords à profit pour promouvoir l'égalité des sexes?
La Jamaïque est membre de CARICOM, la Communauté caribéenne, composée de 15 Etats membres, dont Haïti. Nous nous efforçons de nous donner des principes communs généraux en matière de commerce extérieur. Nous travaillons aussi sur des questions de parité et de droits des femmes. C'est une étape très importante pour nous, tant du point de vue des Caraïbes que de l'Amérique latine. Les pays plus avancés dans le domaine de la parité peuvent aider ceux qui sont en retard, ce qui permet de faire évoluer les lois et d'appliquer des politiques, en faisant respecter la législation existante et en améliorant de façon générale la situation des femmes. Il existe donc un marché unique caribéen et nous nous acheminons vers une économie unique. Nous disposons déjà d'un marché intérieur unique exigeant des pays qui sont en retard qu'ils portent leurs politiques au niveau de ceux qui sont plus avancés. Ainsi, personne ne sera désavantagé sur le marché du travail ou dans d'autres secteurs clés à l'intérieur de ce marché unique.
iKNOW Politics: Quelle est votre vision de l'engagement des femmes dans la vie politique et de leur accès à la politique en Jamaïque? Il n'existe pas de quotas dans votre pays et la Chambre des Représentants compte huit femmes sur 60 parlementaires, le Sénat cinq sur 21 sénateurs. Comment envisagez-vous donc les choses? Que faudrait-il changer?
Eh oui, huit des 60 parlementaires de la Chambre des représentants sont des femmes. La proportion est plus élevée au Sénat, où nous sommes cinq femmes sur 21 (quatre représentantes du parti au gouvernement et une représentante de l'opposition). Cinq femmes siègent donc à la Chambre haute (le Sénat) et huit à la Chambre basse. Une fois encore, je félicite mon Premier Ministre d'avoir eu le courage de nommer davantage de représentantes du parti au gouvernement, dont des femmes jeunes, au Sénat. C'est une très bonne initiative. Je peux vous dire que c'est une attitude nouvelle et différente et que cela se remarque.
J'aimerais que davantage de femmes soient élues à la Chambre basse. J'en serais vraiment ravie. Mais c'est très difficile pour l'instant car les campagnes coûtent cher et assumer des fonctions politiques est une tâche ingrate et impitoyable. A moins d'avoir le profond désir de rendre au monde et d'en faire un endroit où il fait meilleur vivre en s'engageant… j'ai bien peur qu'étant donné la façon dont le système est conçu les femmes continuent à être exclues. Il est très important de faire évoluer la législation. J'aime bien l'idée des quotas, mais encore plus l'idée de recruter les personnes les meilleures et les mieux qualifiées. Par contre je ne veux pas que les femmes subissent une discrimination sexiste ni que des portes se ferment devant elles parce qu'elles sont des femmes. L'égalité des chances pour les deux sexes est donc essentielle. J'aimerais que davantage de femmes s'impliquent dans des fonctions élues afin que nous puissions grimper les échelons et montrer ce dont nous sommes capables.
iKNOW Politics: Les partis politiques jouent le rôle de filtre. Quelle est la situation des partis politiques en Jamaïque, tout particulièrement pour ce qui est de la promotion de l'accès des femmes à l'intérieur des partis?
Honnêtement, je ne crois pas avoir encore tout à fait réussi à comprendre mon parti. Je sais que le poste le plus élevé qu'une femme y ait jamais occupé est celui de Vice-présidente. Aucune femme n'occupe actuellement de telles fonctions, mais ce sera bientôt le cas et je ne serais pas surprise qu'une femme prenne bientôt les destinées du parti en main.
Certaines militantes du parti se sont mises au travail. La semaine dernière, je parlais à l'une de mes collègues sénatrice, qui me disait qu'en dehors de son engagement dans le groupe des représentantes politiques, elle allait aussi former des femmes à devenir directrices de campagne et à apprendre à d'autres femmes comment se porter candidates. Je trouve ça très bien et quand je quitte mon bureau, j'aime qu'on me parle de ce type d'efforts. Je crois que l'électorat en général s'est rendu compte que les femmes ont un style de direction plus sensible. Je ne serais pas surprise que les électeurs exigent un jour ou l'autre de voir des femmes tenir les rênes des partis politiques. Le Parti national populaire (d'opposition) est dirigé par une femme. Portia Simpson Mill a été notre première femme à la tête du gouvernement. Nous ne sommes donc pas si en retard que ça en Jamaïque. Je ne connais pas bien le fonctionnement interne du Parti national populaire, car ce n'est pas le parti auquel je suis affiliée, mais une femme est à la tête de l'un des deux grand partis politiques de Jamaïque. Une femme a déjà été Premier Ministre chez nous et je suis sure que ce n'est qu'un début.
iKNOW Politics: En politique, il est essentiel de s'entourer de bonnes alliances et de bons réseaux. iKNOW Politics est à la fois un réseau et une ressource pour les autres réseaux. Quel est le rôle joué par les alliances et les réseaux dans votre carrière?
J’ai toujours été active dans la société civile. J'ai toujours travaillé le soir en plus de mon travail de la journée. Je vous ai dit que j'ai pris la tête d'un groupe de femme baptisé Women’s Leadership Initiative, qui offre un soutien considérable. Je crois que j'ai eu la grande chance d'être entourée de gens qui savent ce que c'est que de faire du bon travail. Je ne sous-estimerai jamais le pouvoir des réseaux. Même à l'échelle personnelle, quand on a besoin de quelqu'un et qu'on connaît une personne compétente, on commence par s'adresser à elle. La Jamaïque est un petit pays et la qualité du réseau dont on s'entoure est essentielle. Ceci étant, je me rends aussi compte que tout le monde n'appartient pas à un réseau. Par conséquent, même quand on entre dans un réseau, on doit faire attention à ne pas se couper du reste du monde. Il y a des gens puissants partout. Pour moi, en dernière analyse, ceci signifie que tout peut avoir de la valeur. Pour autant que vous le souhaitiez et que nous partagions le souhait de faire avancer notre pays, je suis prête à m'associer avec vous et si votre avis diverge du mien, je m'efforcerai de le comprendre. Je sais changer d'avis.
iKNOW Politics: Quel souvenir souhaiteriez-vous laisser? Quel type d'héritage aimeriez-vous transmettre, tout particulièrement en ce qui concerne la cause des femmes et les femmes en politique?
Dans la vie, je m'efforce tout simplement de faire de mon mieux: me servir de mes fonctions au mieux tant que je les détiens et tenir présent à l'esprit qu'une fonction n'est pas un lieu où s'exercent des privilèges personnels, mais le point de départ de hautes responsabilités. Toutes les décisions que je prends doivent donc servir le bien d'autrui. Je souhaite profondément donner une place internationale à la Jamaïque. Certaines particularités ne sont pas toujours comprises ou appréciées, des particularités ayant un impact sur le progrès de tous. Aujourd'hui, la Jamaïque est considérée comme un pays à revenus intermédiaires, mais nous sommes lourdement endettés. Notre ratio dette publique/PIB dépasse les 25 pour cent. Ce n'est pas bon pour le financement des programmes. Ce sont les projets destinés aux segments les plus vulnérables de la population qui en souffrent.
Ce que je souhaite à court terme et ce que je voudrais léguer: je voudrais que les pays à revenus intermédiaires lourdement endettés soient reconnus comme une catégorie à part entière. On considère que ces pays ne sont pas assez pauvres pour recevoir une aide spéciale en raison de leurs revenus intermédiaires, mais leur niveau d'endettement les rend plus vulnérables que des pays moins riches. Quelles conséquences cette situation a-t-elle sur nous? Nous avons plus difficilement accès à des financements, des prêts et des dons, ce qui influe ensuite sur les programmes que nous menons. De façon générale, il me tient à cœur que quand l'Etat prend des décisions, ces dernières servent l'intérêt supérieur de la population et non pas la popularité du parti au pouvoir. Ce n'est pas mission facile, mais je m'y suis engagée. Le gouvernement doit mieux servir le peuple, il doit offrir des services aux plus vulnérables. Nos élus et nos représentants politiques doivent remplir leurs fonctions avec intégrité. J'espère qu'on se souviendra de moi comme de quelqu'un qui a mis tout son talent, ses connaissances et ses compétences au service des fonctions qui lui ont été confiées.