Mónica Xavier
“…pour se renouveler, il faut ouvrir plus de chemins aux femmes et aux femmes jeunes – par-dessus tout – dans le domaine de la politique, pour qu’elles s’en éprennent et y trouvent un espace où elles puissent non seulement exercer leur carrière politique, mais aussi s’épanouir dans d'autres aspects de leur vie. » - Mónica Xavier
iKNOW Politics: Quels sont les défis que vous avez eu à relever en tant que femme occupant des postes de leader, d'abord en tant que sénatrice élue pour deux mandats en Uruguay, puis en tant que premier membre d’un congrès latino-américain à présider le Comité de coordination des femmes parlementaires ? Votre formation et votre expérience à des postes clés vous ont-elles aidée? En quoi?
Le plus grand défi pour moi est de formuler des propositions que tous – hommes et femmes – pourront adopter. En effet, la femme en politique a un double défi à relever : une politique de présence, mais également une politique de propositions, qui lui permette de transformer toutes les questions qui l’intéressent en questions intersectorielles assorties d’une approche sexospécifique. J’honore actuellement un second mandat au Sénat, et je crois réellement que dans mon pays, au sein du gouvernement actuel, la question de l’égalité prend racine dans les institutions. En mars 2005, M. Tabaré Vázquez, le candidat de la coalition de gauche Encuentro Progresista – Frente Amplio – Nueva Mayoría, a accédé à la présidence de l’Etat uruguayen.
A partir de là, des mesures ont été prises pour commencer à faire de l’égalité un critère fondamental de la politique. Les femmes, sous-représentées au Parlement uruguayen (dont elles occupent entre 11 et 12 % des sièges, selon que l’on compte les députées en fonctions ou les députées élues), ont dû mettre en œuvre toute une série de stratégies pour valider et légitimer leur présence et pour être efficaces malgré leur faible représentation. J'ai quant à moi une longue carrière politique à mon actif – toute une vie consacrée à la politique. Dans ma famille, mon père était déjà en politique, puisqu’il a servi pendant les années de la dictature en Uruguay, ainsi qu’après le retour à la démocratie. La dictature en Uruguay a été pour nous l’occasion de mettre durement à l’épreuve notre engagement politique.
iKNOW Politics: Quelques institutions font des recherches pour déterminer pourquoi le taux de femmes réélues à des postes politiques est si bas par rapport à celui des hommes. Or, vous êtes une politicienne qui s’est non seulement présentée à une réélection, mais qui l’a remportée. Que pensez-vous des statistiques qui font état d’un faible taux de réélection des femmes ? Comment expliqueriez-vous ce phénomène?
Oui, je crois que nous avons là un problème. Toutefois, il ne s’est pas écoulé suffisamment de temps pour pouvoir évaluer non seulement les progrès accomplis dans les contenus des propositions des femmes, mais également pour faire le bilan de la durabilité des femmes en tant que leaders politiques dans la région. Ces dernières années ont probablement été placées sous le signe de la stabilité, puisque des femmes sont restées dans des sphères de prise de décision ; cela devrait nous permettre d'évaluer les meilleures pratiques et les domaines susceptibles d'amélioration. Il est beaucoup plus facile d'évaluer le rôle de la femme dans divers domaines de l'activité politique dans les pays qui ont longtemps enregistré un taux significatif et stable de représentation féminine, notamment au Parlement. Dans ce contexte, l’absence de continuité, voire les épisodes de régression, nous empêchent d'analyser correctement en quoi les femmes font évoluer les programmes politiques et ceux des partis. Il importe de souligner que, si nous ne pouvons demeurer à jamais aux postes que nous occupons, nous devons néanmoins tabler sur la continuité et le renouveau.
Or, pour se renouveler, il faut ouvrir plus de chemins aux femmes et aux femmes jeunes – par-dessus tout – dans le domaine de la politique, pour qu’elles s’en éprennent et y trouvent un espace où elles puissent non seulement exercer leur carrière politique, mais aussi s’épanouir dans d'autres aspects de leur vie. Il ne m’appartient pas de décider de postuler un nouveau mandat : c’est le congrès de mon parti qui élit des candidats et qui présente ensuite aux électeurs une liste fermée composée d’hommes et de femmes. Les candidatures et la teneur des listes sont toutes deux définies au sein du parti auquel j'appartiens. Et j’ajouterai un point tout aussi important : je crois que nous autres femmes devons, lorsque nous occupons un poste particulier, continuer d’être celles que nous étions avant d’y être nommées. Naturellement, ce commentaire est aussi valable pour les hommes. Or, lorsque nous autres femmes pénétrons dans un espace masculinisé, nous risquons d'adopter ces comportements et modalités de travail mêmes que nous avions décriés avant d’être élues.
Nous devons être sur nos gardes, pour que, au-delà des obstacles que nous puissions rencontrer sur notre lieu de travail, nous ne renoncions pas à notre style, en nous efforçant de faire changer les choses, et non le contraire. En ce qui me concerne, je n'ai pas renoncé à ma profession, qui pourrait aussi être mon gagne-pain. Je suis cardiologue et je continue à exercer, bien que, naturellement, dans une très faible mesure, puisque je n'ai pas beaucoup d'heures en semaine à consacrer à ma profession. Mais pour moi, il s’agit là d’un signal ou d’un message clair que j’envoie aux citoyens et sur lequel il convient d’insister. Je leur dis : vous vivez pour la politique, mais vous n’en vivez pas – surtout à un moment où la politique a peu de prestige dans le monde. Bien entendu, je suis aussi maîtresse de maison et chef de famille, et j'assure tous les jours ma part de tâches domestiques.
iKNOW Politics: Quel est l'état actuel de la participation des femmes en politique en Uruguay, tant au sein des partis que des pouvoirs de l’Etat?
Je dis toujours que le premier obstacle rencontré par les femmes désireuses de participer à la vie politique est celui des partis, qui n'offrent pas d’endroits « habitables ». Il ne s’agit pas seulement pour nous d’occuper des postes dans les sphères du pouvoir et de la prise de décisions – ce qu’au demeurant, nous ne faisons pas assez. Il s’agit aussi de parvenir à un équilibre qui permette aux hommes d’accomplir des tâches qui ont trait à la famille et au foyer. C’est cela qui permettra aux femmes de cesser d’assumer à elles seules une double responsabilité. Il nous faut une meilleure répartition des rôles, et il faut que nous cessions de perpétuer le rôle de la femme procréatrice et celui de l’homme producteur. À cet égard, je crois que les partis politiques en Uruguay ont besoin de se renouveler de fond en comble.
J'appartiens au Parti socialiste, qui applique depuis quinze ans une politique d'action positive, ce que la présente législature, où nous représentons la coalition au pouvoir, met bien en évidence. Mon parti est celui qui compte le plus grand nombre de femmes à des postes de responsabilité ou assumant des rôles peu conventionnels : ainsi, l’ex-ministre de la défense était une femme de mon parti, de même que l’actuel ministre de l'intérieur ; quant à moi, je suis une des quatre sénatrices de la République. Le Parti socialiste est le parti qui a la plus forte représentation de femmes dans ses listes de candidats. Si tous les partis politiques appliquaient réellement des mesures d’action positive, nous n’aurions pas à endurer le fait que, pour la première fois depuis le retour à la démocratie, la participation des femmes au parlement a perdu du terrain, et ce en termes tant quantitatifs que qualitatifs. Sur les trois partis représentés par des femmes au parlement, il n’en reste que deux. Nous avons longuement étudié, ces dernières années, le rôle que la société et les organisations non gouvernementales devraient jouer dans la promotion des questions concernant la parité et l'égalité des chances. A mon avis, nous avons négligé la responsabilité des partis politiques.
Fort heureusement, la situation est en train de changer et nous comprenons désormais que nous avons tous un rôle à jouer – la société civile, l’Etat, les partis et les institutions. En Uruguay, les partis politiques sont très forts. C’est la raison pour laquelle, si l’on exclut la période de la dictature, la démocratie a toujours été très stable. Si les partis n’induisent pas un véritable renouveau, il sera d’autant plus difficile de le mettre en œuvre. Actuellement, que ce soit au parlement national ou municipal, les candidates finissent essentiellement par occuper des postes de substitut. Les hommes en fonctions permettent tout juste aux femmes d’y accéder le 8 mars. Quant au pouvoir exécutif, les femmes en ont été absentes pendant de longues périodes. Or, sous cette administration, 30 % des postes à responsabilité sont occupés par des femmes. Ce fait a déjà à lui seul un formidable impact. Il montre, en toute transparence, que la présence d’une volonté politique permet de transformer les institutions. Les partis politiques n’étaient pas disposés à faire de la place aux femmes. Or, le Président de la République, M. Tabaré Vázquez, qui désigne la composition de son cabinet, l’a été. Il est évident que nous aspirions à davantage et que nous aurions souhaité une parité complète, mais il nous faut bien reconnaître que nos acquis actuels sont inédits dans l'histoire du pays.
iKNOW Politics: En dépit d’un faible nombre de membres, la Commission bicamérale de femmes uruguayennes a enregistré des résultats significatifs. Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’une commission de femmes parlementaires obtienne des résultats concrets au chapitre de la promotion de la femme?
Nous avons huit années d'expérience de la mise au point d’initiatives au sein de la Commission de l'égalité, de la Chambre des députés et de la Commission bicamérale de femmes. Il s’agit d’une expérience relativement nouvelle, mais très positive. Nous avons accompli des progrès et trouvé des solutions en faveur des femmes. Nous autres femmes parlementaires sommes engagées dans un long processus de travail, tout d'abord, en réunissant toutes les femmes ayant une approche sexospécifique, puis en définissant les stratégies qui mettent en évidence ce qui nous unit. Ce travail ne signifie pas d’exclure ce qui ne nous unit pas, mais plutôt d’indiquer que nous allons travailler d'une certaine manière sur une certaine question et que nous allons le faire ensemble, parce que, ce faisant, nous aurons un autre impact sur la société.
Nous montrons notre force lorsque les citoyens voient qu’au-delà de nos différends idéologiques – que nous ne manquons pas d’avoir, et auxquels nul ne renonce – nous pouvons travailler sur d'autres questions, sur lesquelles nous nous entendons. Ainsi, nous unissons nos forces pour la question de la violence familiale et de la violence à l’égard des femmes. Ce sont là des dossiers que nous traitons comme un programme de travail conjoint. Naturellement, toutes les femmes ne sont pas en faveur de la Loi sur la participation politique, que nous avons présentée en mars 2007, et qui pourrait être examinée dès cette année au sein d’une des commissions spécialisées du sénat. Cette loi vise à mettre en œuvre un rapport de 70-30 dans tous les organes, partis politiques et secteurs de représentation publique. Certaines femmes ne l’approuvent pas, si bien que nous avons là un sujet de débat.
Nous avons rallié à notre cause certains hommes qui croient, tout comme nous, qu'il est important d'avoir des lois garantissant l'égalité des chances et l’accès des femmes à la vie politique, mais nous devons poursuivre notre travail pour trouver un consensus solide parmi les femmes parlementaires. De même, nous n’avons toujours pas trouvé de consensus auprès des femmes parlementaires sur le projet de loi sur les droits sexuels et procréatifs, qui contient dans un chapitre une réglementation dépénalisant dans certaines circonstances l’avortement en Uruguay – et nous ne parvenons pas à voter toutes d’une même voix. Être femmes ne signifie pas automatiquement être toutes d’accord sur les diverses questions pour lesquelles nous avons milité dans l’histoire.
iKNOW Politics: Les quotas en faveur des femmes ou les lois sur les quotas ont été un mécanisme très positif pour promouvoir la présence des femmes en politique dans de nombreuses régions du monde. L'Uruguay n'a pas de loi sur les quotas. D’après votre expérience, croyez-vous qu’une telle loi soit nécessaire?
Très nécessaire, c’est pourquoi j'espère vivement que le sénat examinera et approuvera sans tarder cette loi qui, comme je l'ai déjà dit, garantirait un rapport de 70-30. Il faudra ensuite l’approuver en deuxième chambre. Dans notre pays, des lois de ce type requièrent une majorité qualifiée pour certains des articles, parce qu'elles portent modification de la loi électorale. Je suis persuadée que les pays qui peuvent garantir une participation équitable des femmes à la vie politique sans avoir besoin de quotas parce qu'ils ont un niveau ou une histoire différents des nôtres – la Finlande, le Danemark ou Cuba – sont rares. Dans d’autres pays, c'est-à-dire dans ceux où les femmes occupent désormais une part significative des sièges au parlement, ce résultat a été obtenu grâce à des quotas et autres mesures d'action positive. L’Uruguay a de surcroît approuvé sans réserve la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son Protocole facultatif. Nous sommes donc habilités en droit à transposer ces instruments en lois et réglementations nationales.
iKNOW Politics: D’après votre expérience, quelles sont selon vous les meilleures stratégies pour intégrer les hommes dans les processus de promotion de l’égalité des sexes, en particulier dans le domaine de la participation politique?
Beaucoup d'hommes n'ont pas besoin d'être persuadés car ils comprennent très bien que nous autres femmes ne voulions pas être présentes pour le principe, mais parce que la démocratie ne peut être que renforcée lorsque les femmes – qui représentent 52 % de la population – sont élues directement par les citoyens et non simplement représentées par les hommes. D’autres hommes en revanche ont besoin de discuter de ce qui, manifestement, relève d’une lutte pour le pouvoir. Nous devons donc travailler non seulement pour nous faire de la place, mais aussi pour nous inscrire dans la durée, ce qui s’obtient, à mon sens, dans le cadre d’un débat idéologique. Il s’agit d’une question profondément idéologique et pas nécessairement partisane – ce sont là deux choses à ne pas confondre.
iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux ou le réseautage ont-ils eue sur votre carrière ? Les estimez-vous utiles ? Que pensez-vous de l'initiative iKNOW Politics?
Ils sont essentiels. Il ne saurait y avoir de progrès si nous ne créons pas des réseaux de solidarité, d'information et d'appui pour les femmes. Ils nous permettent de nous tenir informées, de nous instruire, de nous hisser sur la scène politique et d’y demeurer. Je crois que l'initiative des cinq organismes qui ont fondé iKNOW Politics nous fournit un outil qu‘il convient de faire connaître, pour qu’il soit dûment utilisé et que nous puissions en tirer les avantages escomptés.
iKNOW Politics: Que conseilleriez-vous aux jeunes femmes qui s’intéressent à la politique mais qui perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?
Ce qui est facile n’exige aucun effort ; ce qui est difficile exige en revanche des efforts, mais ils en valent la peine, parce qu’en occupant un poste de décision politique, on peut faire changer les choses. Je suis médecin de profession, ce qui me permet d’allonger la vie des personnes, mais non de leur donner le bonheur. En politique toutefois, il est possible de transformer la vie des êtres humains et de les rendre plus heureux.
iKNOW politics: Enfin, en ce qui concerne votre mandat au sein de l'Union interparlementaire, qui est sur le point de prendre fin, quel souvenir aimeriez-vous que l’on garde de vous ? Quel précédent croyez-vous avoir créé?
Les chances de travailler deux années d’affilée dans un environnement comme le mien, de portée mondiale, sont rares. Aussi voudrais-je que toutes les femmes qui ont pris part aux différentes activités que j'ai présidées gardent de moi le souvenir d’une personne qui leur a toujours permis de s'exprimer. Je crois que l’écoute et le dialogue dans les environnements où se réunissent des femmes de cultures et de statuts très différents nous permettent de mieux nous entendre, de cultiver nos liens et de mettre sur pied des processus. Sans entente ni dialogue, nous ne pouvons pas avancer sur les questions fondamentales que sont la paix dans le monde, un meilleur partage des connaissances et de la technologie, des conditions de collaboration améliorées et plus équitables. Nous autres femmes avons un rôle très important à jouer en contribuant au dialogue et à l'harmonie dans le monde. Je voudrais que l’on se souvienne de moi dans ces termes, c'est-à-dire comme quelqu'un qui ne s'est jamais refusé à la possibilité d’un dialogue.
“…pour se renouveler, il faut ouvrir plus de chemins aux femmes et aux femmes jeunes – par-dessus tout – dans le domaine de la politique, pour qu’elles s’en éprennent et y trouvent un espace où elles puissent non seulement exercer leur carrière politique, mais aussi s’épanouir dans d'autres aspects de leur vie. » - Mónica Xavier
iKNOW Politics: Quels sont les défis que vous avez eu à relever en tant que femme occupant des postes de leader, d'abord en tant que sénatrice élue pour deux mandats en Uruguay, puis en tant que premier membre d’un congrès latino-américain à présider le Comité de coordination des femmes parlementaires ? Votre formation et votre expérience à des postes clés vous ont-elles aidée? En quoi?
Le plus grand défi pour moi est de formuler des propositions que tous – hommes et femmes – pourront adopter. En effet, la femme en politique a un double défi à relever : une politique de présence, mais également une politique de propositions, qui lui permette de transformer toutes les questions qui l’intéressent en questions intersectorielles assorties d’une approche sexospécifique. J’honore actuellement un second mandat au Sénat, et je crois réellement que dans mon pays, au sein du gouvernement actuel, la question de l’égalité prend racine dans les institutions. En mars 2005, M. Tabaré Vázquez, le candidat de la coalition de gauche Encuentro Progresista – Frente Amplio – Nueva Mayoría, a accédé à la présidence de l’Etat uruguayen.
A partir de là, des mesures ont été prises pour commencer à faire de l’égalité un critère fondamental de la politique. Les femmes, sous-représentées au Parlement uruguayen (dont elles occupent entre 11 et 12 % des sièges, selon que l’on compte les députées en fonctions ou les députées élues), ont dû mettre en œuvre toute une série de stratégies pour valider et légitimer leur présence et pour être efficaces malgré leur faible représentation. J'ai quant à moi une longue carrière politique à mon actif – toute une vie consacrée à la politique. Dans ma famille, mon père était déjà en politique, puisqu’il a servi pendant les années de la dictature en Uruguay, ainsi qu’après le retour à la démocratie. La dictature en Uruguay a été pour nous l’occasion de mettre durement à l’épreuve notre engagement politique.
iKNOW Politics: Quelques institutions font des recherches pour déterminer pourquoi le taux de femmes réélues à des postes politiques est si bas par rapport à celui des hommes. Or, vous êtes une politicienne qui s’est non seulement présentée à une réélection, mais qui l’a remportée. Que pensez-vous des statistiques qui font état d’un faible taux de réélection des femmes ? Comment expliqueriez-vous ce phénomène?
Oui, je crois que nous avons là un problème. Toutefois, il ne s’est pas écoulé suffisamment de temps pour pouvoir évaluer non seulement les progrès accomplis dans les contenus des propositions des femmes, mais également pour faire le bilan de la durabilité des femmes en tant que leaders politiques dans la région. Ces dernières années ont probablement été placées sous le signe de la stabilité, puisque des femmes sont restées dans des sphères de prise de décision ; cela devrait nous permettre d'évaluer les meilleures pratiques et les domaines susceptibles d'amélioration. Il est beaucoup plus facile d'évaluer le rôle de la femme dans divers domaines de l'activité politique dans les pays qui ont longtemps enregistré un taux significatif et stable de représentation féminine, notamment au Parlement. Dans ce contexte, l’absence de continuité, voire les épisodes de régression, nous empêchent d'analyser correctement en quoi les femmes font évoluer les programmes politiques et ceux des partis. Il importe de souligner que, si nous ne pouvons demeurer à jamais aux postes que nous occupons, nous devons néanmoins tabler sur la continuité et le renouveau.
Or, pour se renouveler, il faut ouvrir plus de chemins aux femmes et aux femmes jeunes – par-dessus tout – dans le domaine de la politique, pour qu’elles s’en éprennent et y trouvent un espace où elles puissent non seulement exercer leur carrière politique, mais aussi s’épanouir dans d'autres aspects de leur vie. Il ne m’appartient pas de décider de postuler un nouveau mandat : c’est le congrès de mon parti qui élit des candidats et qui présente ensuite aux électeurs une liste fermée composée d’hommes et de femmes. Les candidatures et la teneur des listes sont toutes deux définies au sein du parti auquel j'appartiens. Et j’ajouterai un point tout aussi important : je crois que nous autres femmes devons, lorsque nous occupons un poste particulier, continuer d’être celles que nous étions avant d’y être nommées. Naturellement, ce commentaire est aussi valable pour les hommes. Or, lorsque nous autres femmes pénétrons dans un espace masculinisé, nous risquons d'adopter ces comportements et modalités de travail mêmes que nous avions décriés avant d’être élues.
Nous devons être sur nos gardes, pour que, au-delà des obstacles que nous puissions rencontrer sur notre lieu de travail, nous ne renoncions pas à notre style, en nous efforçant de faire changer les choses, et non le contraire. En ce qui me concerne, je n'ai pas renoncé à ma profession, qui pourrait aussi être mon gagne-pain. Je suis cardiologue et je continue à exercer, bien que, naturellement, dans une très faible mesure, puisque je n'ai pas beaucoup d'heures en semaine à consacrer à ma profession. Mais pour moi, il s’agit là d’un signal ou d’un message clair que j’envoie aux citoyens et sur lequel il convient d’insister. Je leur dis : vous vivez pour la politique, mais vous n’en vivez pas – surtout à un moment où la politique a peu de prestige dans le monde. Bien entendu, je suis aussi maîtresse de maison et chef de famille, et j'assure tous les jours ma part de tâches domestiques.
iKNOW Politics: Quel est l'état actuel de la participation des femmes en politique en Uruguay, tant au sein des partis que des pouvoirs de l’Etat?
Je dis toujours que le premier obstacle rencontré par les femmes désireuses de participer à la vie politique est celui des partis, qui n'offrent pas d’endroits « habitables ». Il ne s’agit pas seulement pour nous d’occuper des postes dans les sphères du pouvoir et de la prise de décisions – ce qu’au demeurant, nous ne faisons pas assez. Il s’agit aussi de parvenir à un équilibre qui permette aux hommes d’accomplir des tâches qui ont trait à la famille et au foyer. C’est cela qui permettra aux femmes de cesser d’assumer à elles seules une double responsabilité. Il nous faut une meilleure répartition des rôles, et il faut que nous cessions de perpétuer le rôle de la femme procréatrice et celui de l’homme producteur. À cet égard, je crois que les partis politiques en Uruguay ont besoin de se renouveler de fond en comble.
J'appartiens au Parti socialiste, qui applique depuis quinze ans une politique d'action positive, ce que la présente législature, où nous représentons la coalition au pouvoir, met bien en évidence. Mon parti est celui qui compte le plus grand nombre de femmes à des postes de responsabilité ou assumant des rôles peu conventionnels : ainsi, l’ex-ministre de la défense était une femme de mon parti, de même que l’actuel ministre de l'intérieur ; quant à moi, je suis une des quatre sénatrices de la République. Le Parti socialiste est le parti qui a la plus forte représentation de femmes dans ses listes de candidats. Si tous les partis politiques appliquaient réellement des mesures d’action positive, nous n’aurions pas à endurer le fait que, pour la première fois depuis le retour à la démocratie, la participation des femmes au parlement a perdu du terrain, et ce en termes tant quantitatifs que qualitatifs. Sur les trois partis représentés par des femmes au parlement, il n’en reste que deux. Nous avons longuement étudié, ces dernières années, le rôle que la société et les organisations non gouvernementales devraient jouer dans la promotion des questions concernant la parité et l'égalité des chances. A mon avis, nous avons négligé la responsabilité des partis politiques.
Fort heureusement, la situation est en train de changer et nous comprenons désormais que nous avons tous un rôle à jouer – la société civile, l’Etat, les partis et les institutions. En Uruguay, les partis politiques sont très forts. C’est la raison pour laquelle, si l’on exclut la période de la dictature, la démocratie a toujours été très stable. Si les partis n’induisent pas un véritable renouveau, il sera d’autant plus difficile de le mettre en œuvre. Actuellement, que ce soit au parlement national ou municipal, les candidates finissent essentiellement par occuper des postes de substitut. Les hommes en fonctions permettent tout juste aux femmes d’y accéder le 8 mars. Quant au pouvoir exécutif, les femmes en ont été absentes pendant de longues périodes. Or, sous cette administration, 30 % des postes à responsabilité sont occupés par des femmes. Ce fait a déjà à lui seul un formidable impact. Il montre, en toute transparence, que la présence d’une volonté politique permet de transformer les institutions. Les partis politiques n’étaient pas disposés à faire de la place aux femmes. Or, le Président de la République, M. Tabaré Vázquez, qui désigne la composition de son cabinet, l’a été. Il est évident que nous aspirions à davantage et que nous aurions souhaité une parité complète, mais il nous faut bien reconnaître que nos acquis actuels sont inédits dans l'histoire du pays.
iKNOW Politics: En dépit d’un faible nombre de membres, la Commission bicamérale de femmes uruguayennes a enregistré des résultats significatifs. Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’une commission de femmes parlementaires obtienne des résultats concrets au chapitre de la promotion de la femme?
Nous avons huit années d'expérience de la mise au point d’initiatives au sein de la Commission de l'égalité, de la Chambre des députés et de la Commission bicamérale de femmes. Il s’agit d’une expérience relativement nouvelle, mais très positive. Nous avons accompli des progrès et trouvé des solutions en faveur des femmes. Nous autres femmes parlementaires sommes engagées dans un long processus de travail, tout d'abord, en réunissant toutes les femmes ayant une approche sexospécifique, puis en définissant les stratégies qui mettent en évidence ce qui nous unit. Ce travail ne signifie pas d’exclure ce qui ne nous unit pas, mais plutôt d’indiquer que nous allons travailler d'une certaine manière sur une certaine question et que nous allons le faire ensemble, parce que, ce faisant, nous aurons un autre impact sur la société.
Nous montrons notre force lorsque les citoyens voient qu’au-delà de nos différends idéologiques – que nous ne manquons pas d’avoir, et auxquels nul ne renonce – nous pouvons travailler sur d'autres questions, sur lesquelles nous nous entendons. Ainsi, nous unissons nos forces pour la question de la violence familiale et de la violence à l’égard des femmes. Ce sont là des dossiers que nous traitons comme un programme de travail conjoint. Naturellement, toutes les femmes ne sont pas en faveur de la Loi sur la participation politique, que nous avons présentée en mars 2007, et qui pourrait être examinée dès cette année au sein d’une des commissions spécialisées du sénat. Cette loi vise à mettre en œuvre un rapport de 70-30 dans tous les organes, partis politiques et secteurs de représentation publique. Certaines femmes ne l’approuvent pas, si bien que nous avons là un sujet de débat.
Nous avons rallié à notre cause certains hommes qui croient, tout comme nous, qu'il est important d'avoir des lois garantissant l'égalité des chances et l’accès des femmes à la vie politique, mais nous devons poursuivre notre travail pour trouver un consensus solide parmi les femmes parlementaires. De même, nous n’avons toujours pas trouvé de consensus auprès des femmes parlementaires sur le projet de loi sur les droits sexuels et procréatifs, qui contient dans un chapitre une réglementation dépénalisant dans certaines circonstances l’avortement en Uruguay – et nous ne parvenons pas à voter toutes d’une même voix. Être femmes ne signifie pas automatiquement être toutes d’accord sur les diverses questions pour lesquelles nous avons milité dans l’histoire.
iKNOW Politics: Les quotas en faveur des femmes ou les lois sur les quotas ont été un mécanisme très positif pour promouvoir la présence des femmes en politique dans de nombreuses régions du monde. L'Uruguay n'a pas de loi sur les quotas. D’après votre expérience, croyez-vous qu’une telle loi soit nécessaire?
Très nécessaire, c’est pourquoi j'espère vivement que le sénat examinera et approuvera sans tarder cette loi qui, comme je l'ai déjà dit, garantirait un rapport de 70-30. Il faudra ensuite l’approuver en deuxième chambre. Dans notre pays, des lois de ce type requièrent une majorité qualifiée pour certains des articles, parce qu'elles portent modification de la loi électorale. Je suis persuadée que les pays qui peuvent garantir une participation équitable des femmes à la vie politique sans avoir besoin de quotas parce qu'ils ont un niveau ou une histoire différents des nôtres – la Finlande, le Danemark ou Cuba – sont rares. Dans d’autres pays, c'est-à-dire dans ceux où les femmes occupent désormais une part significative des sièges au parlement, ce résultat a été obtenu grâce à des quotas et autres mesures d'action positive. L’Uruguay a de surcroît approuvé sans réserve la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son Protocole facultatif. Nous sommes donc habilités en droit à transposer ces instruments en lois et réglementations nationales.
iKNOW Politics: D’après votre expérience, quelles sont selon vous les meilleures stratégies pour intégrer les hommes dans les processus de promotion de l’égalité des sexes, en particulier dans le domaine de la participation politique?
Beaucoup d'hommes n'ont pas besoin d'être persuadés car ils comprennent très bien que nous autres femmes ne voulions pas être présentes pour le principe, mais parce que la démocratie ne peut être que renforcée lorsque les femmes – qui représentent 52 % de la population – sont élues directement par les citoyens et non simplement représentées par les hommes. D’autres hommes en revanche ont besoin de discuter de ce qui, manifestement, relève d’une lutte pour le pouvoir. Nous devons donc travailler non seulement pour nous faire de la place, mais aussi pour nous inscrire dans la durée, ce qui s’obtient, à mon sens, dans le cadre d’un débat idéologique. Il s’agit d’une question profondément idéologique et pas nécessairement partisane – ce sont là deux choses à ne pas confondre.
iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux ou le réseautage ont-ils eue sur votre carrière ? Les estimez-vous utiles ? Que pensez-vous de l'initiative iKNOW Politics?
Ils sont essentiels. Il ne saurait y avoir de progrès si nous ne créons pas des réseaux de solidarité, d'information et d'appui pour les femmes. Ils nous permettent de nous tenir informées, de nous instruire, de nous hisser sur la scène politique et d’y demeurer. Je crois que l'initiative des cinq organismes qui ont fondé iKNOW Politics nous fournit un outil qu‘il convient de faire connaître, pour qu’il soit dûment utilisé et que nous puissions en tirer les avantages escomptés.
iKNOW Politics: Que conseilleriez-vous aux jeunes femmes qui s’intéressent à la politique mais qui perçoivent ce monde comme distant et difficile d’accès?
Ce qui est facile n’exige aucun effort ; ce qui est difficile exige en revanche des efforts, mais ils en valent la peine, parce qu’en occupant un poste de décision politique, on peut faire changer les choses. Je suis médecin de profession, ce qui me permet d’allonger la vie des personnes, mais non de leur donner le bonheur. En politique toutefois, il est possible de transformer la vie des êtres humains et de les rendre plus heureux.
iKNOW politics: Enfin, en ce qui concerne votre mandat au sein de l'Union interparlementaire, qui est sur le point de prendre fin, quel souvenir aimeriez-vous que l’on garde de vous ? Quel précédent croyez-vous avoir créé?
Les chances de travailler deux années d’affilée dans un environnement comme le mien, de portée mondiale, sont rares. Aussi voudrais-je que toutes les femmes qui ont pris part aux différentes activités que j'ai présidées gardent de moi le souvenir d’une personne qui leur a toujours permis de s'exprimer. Je crois que l’écoute et le dialogue dans les environnements où se réunissent des femmes de cultures et de statuts très différents nous permettent de mieux nous entendre, de cultiver nos liens et de mettre sur pied des processus. Sans entente ni dialogue, nous ne pouvons pas avancer sur les questions fondamentales que sont la paix dans le monde, un meilleur partage des connaissances et de la technologie, des conditions de collaboration améliorées et plus équitables. Nous autres femmes avons un rôle très important à jouer en contribuant au dialogue et à l'harmonie dans le monde. Je voudrais que l’on se souvienne de moi dans ces termes, c'est-à-dire comme quelqu'un qui ne s'est jamais refusé à la possibilité d’un dialogue.