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Madeleine K. Albright

Entretiens

Soumis par iKNOW Politics le
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February 26, 2007

Madeleine K. Albright

Entretien avec Madeleine K. Albright, ancienne Secrétaire d’État

"Je conseille aux femmes d’avoir la certitude que ce qu’elles ont à offrir est important. Vous pouvez faire une différence. Vous devez faire une différence. Et une fois que vous avez accepté le fait que vous êtes sur terre pour faire une différence, vous devez utiliser les ressources qui sont à votre disposition – par l’intermédiaire d’un processus tel que iKNOW et tout son réseau, par exemple – pour le faire!"  - Madeleine K. Albright

iKNOW Politics: Vous êtes la première femme à avoir été nommée Secrétaire d’État et vous occupiez le poste le plus élevé jamais offert à une femme de toute l’histoire du gouvernement des États-Unis. Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontés en tant que femme à ce poste de leadership – et à tout autre poste que vous avez occupé ?

Je n’ai jamais pensé que je pourrai devenir Secrétaire d’État. Cela ne m’est vraiment jamais venu à l’esprit, surtout – comme je l’ai souvent dit – parce que je n’avais jamais vu un Secrétaire d’État en jupe. À l’époque, l’idée était que le poste de Secrétaire d’État n’était pas un poste fait pour une femme, pas même un poste auquel une femme pourrait aspirer. Qui plus est, nombreux sont ceux qui ne pensaient pas qu’une femme était suffisamment qualifiée pour assumer ces fonctions – c’était cela le plus grand défi. Mais une fois que je suis devenue Ambassadrice près des Nations Unies, ma candidature a commencé à être envisagée. Un autre élément intéressant était les critiques formulées à mon égard par ceux qui me jugeaient trop ambitieuse. Il va de soi que « l’ambition » n’aurait pas été mentionnée dans le cas d’un homme ayant les mêmes qualités. Les adjectifs utilisés pour décrire certaines caractéristiques sont positifs lorsqu’il s’agit d’un homme mais deviennent négatifs s’ils sont appliqués à une femme.

iKNOW Politics: Comment avez-vous surmonté ce manque d’acceptation d’une « femme en jupe » à un poste d’un tel niveau de responsabilité ?

Tout d’abord, j’étais fermement résolue à bien m’acquitter de ma tâche. J’ai travaillé très dur, et puis je crois que j’étais particulièrement bien préparée. Enfin, j’ai bénéficié du soutien d’un grand nombre de femmes. Il y avait bien entendu des hommes qui m’appuyaient également, mais je savais que l’on attendait de moi que je fasse mieux qu’un homme, alors j’ai poursuivi mes efforts de manière incessante.

iKNOW Politics: Quel est selon vous l’impact des femmes qui occupent des postes aussi élevés du gouvernement ?

Au sein de la plupart des sociétés, les femmes représentent plus de la moitié de la population, et par suite le fait que des femmes occupent des postes de responsabilité politique et économique ne peut qu’être positif pour un pays quel qu’il soit en employant plus de la moitié de ses ressources. Il me semble en outre qu’il est toujours préférable que les hommes et les femmes travaillent ensemble. Ceci étant dit, les femmes possèdent certaines caractéristiques qui sont particulièrement utiles dans la diplomatie et dans tous les aspects du gouvernement, notamment un intérêt pour les relations personnelles et une capacité à voir les choses du point de vue de quelqu’un d’autre. Les femmes peuvent changer les situations parce qu‘elles arrivent à examiner les questions de sécurité nationale, par exemple, ou les questions concernant leur pays de différents points de vue. Nos expériences nous permettent de mieux appréhender les questions et de comprendre les liens qui les unissent.

iKNOW Politics: Votre style de leadership a-t ’il changé au fil des années ?

Oui. Il y a une chose qui arrive à toutes les femmes—qui qu’elles soient : elles se rendent dans une réunion, elles écoutent et pensent qu’elles ont quelque chose à contribuer. Mais elle doute de ses capacités et craint que ce qu’elle a à dire ne soit pas vraiment intelligent, alors elle décide de ne rien dire. Et puis un homme dit exactement ce qu’elle allait dire et tout le monde juge son intervention brillante. Alors la femme regrette de n’avoir rien dit. Cela m’est arrivé pour la première fois lors d’une réunion informelle du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Je me suis dit : « Je vais juste attendre de voir qui est qui, de me familiariser avec les dynamiques et les personnalités présentes dans la salle avant de dire quoi que ce soit ». Et puis tout à coup je me suis rendue compte que je ne pouvais par procéder ainsi. Après tout, je représente les États-Unis, je dois m’exprimer sinon notre position ne sera pas comprise. C’est la première fois que je me suis rendue compte qu’en tant que femme vous devez parfois séparer vos sentiments en tant que femme et vos responsabilités en tant que leader. J’ai aussi compris qu’il fallait que je m’adapte au fait que les adjectifs n’ont pas le même sens suivant qu’ils sont appliqués à un homme ou à une femme. Si une femme est vraiment concernée par une question, elle est qualifiée d’ « émotive’, alors qu’un homme dans la même situation sera qualifié de « passionné ». Alors j’ai appris à discuter d’une manière plus calme, sans révéler mes opinions profondes sur une question.

iKNOW Politics: Selon vous, comment une initiative telle que iKNOW Politics peut être mise au service de la promotion de la participation féminine dans le domaine politique ?

Ce système peut être utilisé de plusieurs manières. La contribution de iKNOW Politics peut se situer, au minimum, au niveau de la dissémination d’information dans la mesure où les activistes et les responsables ne peuvent avoir d’impact s’ils ne disposent pas d’informations factuelles. J’ai toujours dit, que ce soit lorsque j’enseignais, lorsque je travaillais au sein du gouvernement, et encore aujourd’hui que pour participer aux activités de stratégie, de politique, du gouvernement, du monde des affaires et des ONG, les femmes doivent savoir de quoi elles parlent. Il est crucial de disposer d’informations de fond et de pouvoir présenter ses positions sur la base de faits. iKNOW Politics peut par ailleurs aider les femmes à établir des réseaux. J’ai toujours pensé qu’il était crucial de se doter d’un système de soutien, quel que soit le domaine dans lequel vous travaillez. C’est ce que je me suis empressée de faire lorsque je suis arrivée à l’ONU, puis de nouveau lorsque j’ai été nommée Secrétaire d’État. À l’ONU, j’ai demandé à mon adjoint d’inviter à déjeuner toutes les femmes occupant le poste de représentant permanent. Ne l’oubliez pas, lorsque j’étais aux Nations Unies, il y avait 183 pays membres, alors j’ai pensé que ce serait un déjeuner nombreux. Mais lorsque je suis arrivée à mes appartements, il n’y avait que six femmes qui m’attendaient – du Canada, du Kazakhstan, de la Trinité et Tobago, de la Jamaïque, des Philippines et du Lichtenstein – et moi. J’ai décidé de constituer un caucus. Et c’est ce que nous avons fait, en nous donnant le titre des « G-7 ». Nous avons décidé de toujours prendre les appels téléphoniques les unes des autres. Et nous avons mis au point un système de soutien qui nous a permis de faire bien des choses. Lorsque j’étais Secrétaire d’État, j’ai fait la même chose ; j’ai créé un groupe de femmes ministres des affaires étrangères. Au maximum, nous étions 14. Nous échangions des discussions sur des questions de fonds ainsi que des anecdotes personnelles. Je crois que l’établissement d’un tel système de soutien était essentiel. J’ai découvert, par exemple, que le ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud à l’époque était confrontée à des défis similaires, devant prouver qu’elle était à la hauteur de ses responsabilités, tout comme moi. Et nous avons identifié bien d’autres domaines d’intérêt commun. Le réseau iKNOW Politics fournit non seulement des informations de fond, il relie les femmes les unes aux autres par le caractère commun de leurs f expériences.

iKNOW Politics: Il existe de nos jours bien des instruments technologiques – la nouvelle technologie de la téléphonie cellulaire, l’Internet, etc. Comment les femmes peuvent elles s’assurer qu’elles tirent le parti optimal de ces différentes technologies ? Comment veiller à ce que les femmes ayant accès à ces technologies ou celles qui deviennent membres du réseau iKNOW Politics qu‘elles partagent leurs connaissances avec d’autres femmes ?

Les femmes doivent se réunir et partager leurs connaissances, que ce soit en milieu professionnel ou autour de leurs enfants, ou encore en créant de petits groupes qui partagent différentes informations et se fournissant un soutien mutuel. Dans certains villages, par exemple, la femme qui a accès au seul téléphone cellulaire le loue à ceux qui en ont besoin. Ce téléphone devient alors un outil de pouvoir. Il est fondamental que cette femme partage son accès physique à ce téléphone portable, qu’elle explique à d’autres comment s’en servir et qu’elle fasse ce que les femmes font tout naturellement – rassembler d’autres femmes pour échanger des informations. En tant qu’Américaines, cependant, nous devons veiller à ne pas superposer notre vision des choses sur les femmes des autres pays. Mais l’information doit être partagée. Une femme en position de pouvoir – soit parce qu’elle occupe un poste particulier au sein de la société ou du gouvernement ou parce qu’elle possède un téléphone cellulaire– ne doit pas devenir une reine mère ! Les femmes doivent s’entraider. J’utilise souvent ce proverbe qui dit qu’il existe un coin en enfer réservé aux femmes qui ne s’entraident pas. Une femme en position de pouvoir doit comprendre que, en réalité, son rôle est d’aider les autres. Une femme qui veut se trouver en position de force doit comprendre que sa puissance sera en fait décuplée si elle encourage de plus en plus de femmes à s’impliquer dans le système.

iKNOW Politics: Pour les femmes plus âgées en position de pouvoir, la tendance est souvent de penser que les femmes plus jeunes n’ont pas encore gagné le droit d’occuper des postes similaires, qu’elles doivent respecter leurs aînées, et que ce n’est « pas encore leur tour » d’occuper une place de choix dans le domaine politique. Comment pouvons-nous changer la mentalité des femmes plus âgées pour qu’elles offrent davantage d’opportunités à leurs cadettes?

Et bien, en tant que l’une de ces aînées…. J’estime qu’il est important que les jeunes femmes fassent preuve de respect à l’égard de l’expérience de leurs aînées. Aux États-Unis, nombreuses sont les jeunes femmes qui ne comprennent pas ce que les personnes de mon âge ont vécu avant d’arriver où nous en sommes. Il faut faire preuve de respect à l’égard du travail accompli par les femmes plus âgées et les résultats qu’elles ont obtenus. D’un autre côté, les femmes plus âgées ne doivent pas oublier qu’elles ne seront pas toujours là et que leur principal legs consiste à laisser les femmes plus jeunes occuper des postes de plus en plus importants. Elles doivent considérer les femmes plus jeunes comme des participants légitimes au sein du système. Cela va dans les deux sens.

iKNOW Politics: Comment avez-vous établi les priorités de vos politiques publiques ?

Nous pourrions passer des heures sur le sujet ! La définition de politique est un processus particulièrement compliqué. Lorsque vous êtes Secrétaire d’État, ou ambassadeur, ou si vous occupez un poste auquel vous avez été nommé ou élu, vous prenez des décisions dans le contexte d’un système complexe, dans lequel vous devez établir vos propres priorités. Pour moi, cela s’est révélé particulièrement difficile. Je crois que nombreuses sont les femmes qui se heurtent au même problème, c'est-à-dire qu’il y a tant de choses que nous voulons faire … essentiellement parce que nous n’avons jamais été autorisé à les faire auparavant. Il est important de décider ce qui est compte vraiment, sinon, vous vous retrouvez plongée dans tous les domaines. J’ai décidé, par exemple, que les questions concernant la condition féminine étaient importantes pour moi. Je ne voulais pas que ces questions restent accessoires ; il fallait qu’elles soient placées au cœur de la politique étrangère des États-Unis. J’ai donné la priorité aux questions féminines non pas parce que je suis une féministe, mais parce que je savais que sociétés sont plus stables lorsque les femmes bénéficient d’une autonomisation économique et politique.

iKNOW Politics: En quoi une ressource telle que iKNOW Politics, une sorte de guichet unique de l’information, vous aurait ‘té dans votre carrière si elle avait été disponible ?

Cela m’aurait beaucoup aidé. Il y a toujours des questions que vous connaissez mieux que d’autres parce que vous y avez travaillé. Mais vous ne disposez pas toujours de connaissances approfondies, pas plus que vous n’avez toujours à la portée de la main des informations sur toute une gamme de questions politiques ou stratégiques. Vous savez, par exemple, que la réforme du système de santé est essentielle pour gérer une crise sanitaire spécifique dans un pays spécifique, mais vous n’avez pas forcément toutes les informations et tous les chiffres en tête. Et comment défendre votre position sans les faits à l’appui ? Pas plus que vous ne pouvez comprendre complètement l‘ampleur d’un problème ou son impact si vous n’avez pas accès à l’information. C’est difficile pour un Américain de faire comprendre cela, car nous avons accès à une quantité colossale d’information. Cependant dans d’autres endroits l’accès à une source d’information objective devient le facteur le plus important. iKNOW Politics répondra en outre aux besoins des femmes en quête de soutien. Si vous êtes Parlementaire et que vous essayez de déterminer comment une question parlementaire particulière est traitée dans un autre que le vôtre, vous pouvez tirer parti des informations données par d’autres femmes qui ont elles aussi été confrontées à la même question. En plus, la technologie est telle que vous pouvez établir des contacts personnels avec d’autres personnes. Selon moi, ce genre de partage d’expérience – au-delà du simple partage des faits –est d’importance cruciale.

iKNOW Politics: Si vous pouviez faire une recommandation, que recommanderiez-vous aux membres du réseau iKNOW, en particulier les femmes candidates et élues, sur leur trajectoire politique ?

Je conseille aux femmes d’avoir la certitude que ce qu’elles ont à offrir est important. Vous pouvez faire une différence. Vous devez faire une différence. Et une fois que vous avez accepté le fait que vous êtes sur terre pour faire une différence, vous devez utiliser les ressources qui sont à votre disposition – par l’intermédiaire d’un processus tel que iKNOW et tout son réseau, par exemple – pour le faire !

 

Date de l'entretien
Entretien avec Madeleine K. Albright, ancienne Secrétaire d’État

"Je conseille aux femmes d’avoir la certitude que ce qu’elles ont à offrir est important. Vous pouvez faire une différence. Vous devez faire une différence. Et une fois que vous avez accepté le fait que vous êtes sur terre pour faire une différence, vous devez utiliser les ressources qui sont à votre disposition – par l’intermédiaire d’un processus tel que iKNOW et tout son réseau, par exemple – pour le faire!"  - Madeleine K. Albright

iKNOW Politics: Vous êtes la première femme à avoir été nommée Secrétaire d’État et vous occupiez le poste le plus élevé jamais offert à une femme de toute l’histoire du gouvernement des États-Unis. Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontés en tant que femme à ce poste de leadership – et à tout autre poste que vous avez occupé ?

Je n’ai jamais pensé que je pourrai devenir Secrétaire d’État. Cela ne m’est vraiment jamais venu à l’esprit, surtout – comme je l’ai souvent dit – parce que je n’avais jamais vu un Secrétaire d’État en jupe. À l’époque, l’idée était que le poste de Secrétaire d’État n’était pas un poste fait pour une femme, pas même un poste auquel une femme pourrait aspirer. Qui plus est, nombreux sont ceux qui ne pensaient pas qu’une femme était suffisamment qualifiée pour assumer ces fonctions – c’était cela le plus grand défi. Mais une fois que je suis devenue Ambassadrice près des Nations Unies, ma candidature a commencé à être envisagée. Un autre élément intéressant était les critiques formulées à mon égard par ceux qui me jugeaient trop ambitieuse. Il va de soi que « l’ambition » n’aurait pas été mentionnée dans le cas d’un homme ayant les mêmes qualités. Les adjectifs utilisés pour décrire certaines caractéristiques sont positifs lorsqu’il s’agit d’un homme mais deviennent négatifs s’ils sont appliqués à une femme.

iKNOW Politics: Comment avez-vous surmonté ce manque d’acceptation d’une « femme en jupe » à un poste d’un tel niveau de responsabilité ?

Tout d’abord, j’étais fermement résolue à bien m’acquitter de ma tâche. J’ai travaillé très dur, et puis je crois que j’étais particulièrement bien préparée. Enfin, j’ai bénéficié du soutien d’un grand nombre de femmes. Il y avait bien entendu des hommes qui m’appuyaient également, mais je savais que l’on attendait de moi que je fasse mieux qu’un homme, alors j’ai poursuivi mes efforts de manière incessante.

iKNOW Politics: Quel est selon vous l’impact des femmes qui occupent des postes aussi élevés du gouvernement ?

Au sein de la plupart des sociétés, les femmes représentent plus de la moitié de la population, et par suite le fait que des femmes occupent des postes de responsabilité politique et économique ne peut qu’être positif pour un pays quel qu’il soit en employant plus de la moitié de ses ressources. Il me semble en outre qu’il est toujours préférable que les hommes et les femmes travaillent ensemble. Ceci étant dit, les femmes possèdent certaines caractéristiques qui sont particulièrement utiles dans la diplomatie et dans tous les aspects du gouvernement, notamment un intérêt pour les relations personnelles et une capacité à voir les choses du point de vue de quelqu’un d’autre. Les femmes peuvent changer les situations parce qu‘elles arrivent à examiner les questions de sécurité nationale, par exemple, ou les questions concernant leur pays de différents points de vue. Nos expériences nous permettent de mieux appréhender les questions et de comprendre les liens qui les unissent.

iKNOW Politics: Votre style de leadership a-t ’il changé au fil des années ?

Oui. Il y a une chose qui arrive à toutes les femmes—qui qu’elles soient : elles se rendent dans une réunion, elles écoutent et pensent qu’elles ont quelque chose à contribuer. Mais elle doute de ses capacités et craint que ce qu’elle a à dire ne soit pas vraiment intelligent, alors elle décide de ne rien dire. Et puis un homme dit exactement ce qu’elle allait dire et tout le monde juge son intervention brillante. Alors la femme regrette de n’avoir rien dit. Cela m’est arrivé pour la première fois lors d’une réunion informelle du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Je me suis dit : « Je vais juste attendre de voir qui est qui, de me familiariser avec les dynamiques et les personnalités présentes dans la salle avant de dire quoi que ce soit ». Et puis tout à coup je me suis rendue compte que je ne pouvais par procéder ainsi. Après tout, je représente les États-Unis, je dois m’exprimer sinon notre position ne sera pas comprise. C’est la première fois que je me suis rendue compte qu’en tant que femme vous devez parfois séparer vos sentiments en tant que femme et vos responsabilités en tant que leader. J’ai aussi compris qu’il fallait que je m’adapte au fait que les adjectifs n’ont pas le même sens suivant qu’ils sont appliqués à un homme ou à une femme. Si une femme est vraiment concernée par une question, elle est qualifiée d’ « émotive’, alors qu’un homme dans la même situation sera qualifié de « passionné ». Alors j’ai appris à discuter d’une manière plus calme, sans révéler mes opinions profondes sur une question.

iKNOW Politics: Selon vous, comment une initiative telle que iKNOW Politics peut être mise au service de la promotion de la participation féminine dans le domaine politique ?

Ce système peut être utilisé de plusieurs manières. La contribution de iKNOW Politics peut se situer, au minimum, au niveau de la dissémination d’information dans la mesure où les activistes et les responsables ne peuvent avoir d’impact s’ils ne disposent pas d’informations factuelles. J’ai toujours dit, que ce soit lorsque j’enseignais, lorsque je travaillais au sein du gouvernement, et encore aujourd’hui que pour participer aux activités de stratégie, de politique, du gouvernement, du monde des affaires et des ONG, les femmes doivent savoir de quoi elles parlent. Il est crucial de disposer d’informations de fond et de pouvoir présenter ses positions sur la base de faits. iKNOW Politics peut par ailleurs aider les femmes à établir des réseaux. J’ai toujours pensé qu’il était crucial de se doter d’un système de soutien, quel que soit le domaine dans lequel vous travaillez. C’est ce que je me suis empressée de faire lorsque je suis arrivée à l’ONU, puis de nouveau lorsque j’ai été nommée Secrétaire d’État. À l’ONU, j’ai demandé à mon adjoint d’inviter à déjeuner toutes les femmes occupant le poste de représentant permanent. Ne l’oubliez pas, lorsque j’étais aux Nations Unies, il y avait 183 pays membres, alors j’ai pensé que ce serait un déjeuner nombreux. Mais lorsque je suis arrivée à mes appartements, il n’y avait que six femmes qui m’attendaient – du Canada, du Kazakhstan, de la Trinité et Tobago, de la Jamaïque, des Philippines et du Lichtenstein – et moi. J’ai décidé de constituer un caucus. Et c’est ce que nous avons fait, en nous donnant le titre des « G-7 ». Nous avons décidé de toujours prendre les appels téléphoniques les unes des autres. Et nous avons mis au point un système de soutien qui nous a permis de faire bien des choses. Lorsque j’étais Secrétaire d’État, j’ai fait la même chose ; j’ai créé un groupe de femmes ministres des affaires étrangères. Au maximum, nous étions 14. Nous échangions des discussions sur des questions de fonds ainsi que des anecdotes personnelles. Je crois que l’établissement d’un tel système de soutien était essentiel. J’ai découvert, par exemple, que le ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud à l’époque était confrontée à des défis similaires, devant prouver qu’elle était à la hauteur de ses responsabilités, tout comme moi. Et nous avons identifié bien d’autres domaines d’intérêt commun. Le réseau iKNOW Politics fournit non seulement des informations de fond, il relie les femmes les unes aux autres par le caractère commun de leurs f expériences.

iKNOW Politics: Il existe de nos jours bien des instruments technologiques – la nouvelle technologie de la téléphonie cellulaire, l’Internet, etc. Comment les femmes peuvent elles s’assurer qu’elles tirent le parti optimal de ces différentes technologies ? Comment veiller à ce que les femmes ayant accès à ces technologies ou celles qui deviennent membres du réseau iKNOW Politics qu‘elles partagent leurs connaissances avec d’autres femmes ?

Les femmes doivent se réunir et partager leurs connaissances, que ce soit en milieu professionnel ou autour de leurs enfants, ou encore en créant de petits groupes qui partagent différentes informations et se fournissant un soutien mutuel. Dans certains villages, par exemple, la femme qui a accès au seul téléphone cellulaire le loue à ceux qui en ont besoin. Ce téléphone devient alors un outil de pouvoir. Il est fondamental que cette femme partage son accès physique à ce téléphone portable, qu’elle explique à d’autres comment s’en servir et qu’elle fasse ce que les femmes font tout naturellement – rassembler d’autres femmes pour échanger des informations. En tant qu’Américaines, cependant, nous devons veiller à ne pas superposer notre vision des choses sur les femmes des autres pays. Mais l’information doit être partagée. Une femme en position de pouvoir – soit parce qu’elle occupe un poste particulier au sein de la société ou du gouvernement ou parce qu’elle possède un téléphone cellulaire– ne doit pas devenir une reine mère ! Les femmes doivent s’entraider. J’utilise souvent ce proverbe qui dit qu’il existe un coin en enfer réservé aux femmes qui ne s’entraident pas. Une femme en position de pouvoir doit comprendre que, en réalité, son rôle est d’aider les autres. Une femme qui veut se trouver en position de force doit comprendre que sa puissance sera en fait décuplée si elle encourage de plus en plus de femmes à s’impliquer dans le système.

iKNOW Politics: Pour les femmes plus âgées en position de pouvoir, la tendance est souvent de penser que les femmes plus jeunes n’ont pas encore gagné le droit d’occuper des postes similaires, qu’elles doivent respecter leurs aînées, et que ce n’est « pas encore leur tour » d’occuper une place de choix dans le domaine politique. Comment pouvons-nous changer la mentalité des femmes plus âgées pour qu’elles offrent davantage d’opportunités à leurs cadettes?

Et bien, en tant que l’une de ces aînées…. J’estime qu’il est important que les jeunes femmes fassent preuve de respect à l’égard de l’expérience de leurs aînées. Aux États-Unis, nombreuses sont les jeunes femmes qui ne comprennent pas ce que les personnes de mon âge ont vécu avant d’arriver où nous en sommes. Il faut faire preuve de respect à l’égard du travail accompli par les femmes plus âgées et les résultats qu’elles ont obtenus. D’un autre côté, les femmes plus âgées ne doivent pas oublier qu’elles ne seront pas toujours là et que leur principal legs consiste à laisser les femmes plus jeunes occuper des postes de plus en plus importants. Elles doivent considérer les femmes plus jeunes comme des participants légitimes au sein du système. Cela va dans les deux sens.

iKNOW Politics: Comment avez-vous établi les priorités de vos politiques publiques ?

Nous pourrions passer des heures sur le sujet ! La définition de politique est un processus particulièrement compliqué. Lorsque vous êtes Secrétaire d’État, ou ambassadeur, ou si vous occupez un poste auquel vous avez été nommé ou élu, vous prenez des décisions dans le contexte d’un système complexe, dans lequel vous devez établir vos propres priorités. Pour moi, cela s’est révélé particulièrement difficile. Je crois que nombreuses sont les femmes qui se heurtent au même problème, c'est-à-dire qu’il y a tant de choses que nous voulons faire … essentiellement parce que nous n’avons jamais été autorisé à les faire auparavant. Il est important de décider ce qui est compte vraiment, sinon, vous vous retrouvez plongée dans tous les domaines. J’ai décidé, par exemple, que les questions concernant la condition féminine étaient importantes pour moi. Je ne voulais pas que ces questions restent accessoires ; il fallait qu’elles soient placées au cœur de la politique étrangère des États-Unis. J’ai donné la priorité aux questions féminines non pas parce que je suis une féministe, mais parce que je savais que sociétés sont plus stables lorsque les femmes bénéficient d’une autonomisation économique et politique.

iKNOW Politics: En quoi une ressource telle que iKNOW Politics, une sorte de guichet unique de l’information, vous aurait ‘té dans votre carrière si elle avait été disponible ?

Cela m’aurait beaucoup aidé. Il y a toujours des questions que vous connaissez mieux que d’autres parce que vous y avez travaillé. Mais vous ne disposez pas toujours de connaissances approfondies, pas plus que vous n’avez toujours à la portée de la main des informations sur toute une gamme de questions politiques ou stratégiques. Vous savez, par exemple, que la réforme du système de santé est essentielle pour gérer une crise sanitaire spécifique dans un pays spécifique, mais vous n’avez pas forcément toutes les informations et tous les chiffres en tête. Et comment défendre votre position sans les faits à l’appui ? Pas plus que vous ne pouvez comprendre complètement l‘ampleur d’un problème ou son impact si vous n’avez pas accès à l’information. C’est difficile pour un Américain de faire comprendre cela, car nous avons accès à une quantité colossale d’information. Cependant dans d’autres endroits l’accès à une source d’information objective devient le facteur le plus important. iKNOW Politics répondra en outre aux besoins des femmes en quête de soutien. Si vous êtes Parlementaire et que vous essayez de déterminer comment une question parlementaire particulière est traitée dans un autre que le vôtre, vous pouvez tirer parti des informations données par d’autres femmes qui ont elles aussi été confrontées à la même question. En plus, la technologie est telle que vous pouvez établir des contacts personnels avec d’autres personnes. Selon moi, ce genre de partage d’expérience – au-delà du simple partage des faits –est d’importance cruciale.

iKNOW Politics: Si vous pouviez faire une recommandation, que recommanderiez-vous aux membres du réseau iKNOW, en particulier les femmes candidates et élues, sur leur trajectoire politique ?

Je conseille aux femmes d’avoir la certitude que ce qu’elles ont à offrir est important. Vous pouvez faire une différence. Vous devez faire une différence. Et une fois que vous avez accepté le fait que vous êtes sur terre pour faire une différence, vous devez utiliser les ressources qui sont à votre disposition – par l’intermédiaire d’un processus tel que iKNOW et tout son réseau, par exemple – pour le faire !

 

Date de l'entretien
Entretien avec Madeleine K. Albright, ancienne Secrétaire d’État