Milagros Ortiz de Bosch
“Le problème de l'inégalité n'est pas un simple problème de femmes, mais un problème mondial et de société. L'égalité entre hommes et femmes est essentielle pour que le monde atteigne les sommets du développement et du bien-être humains.” - Milagros Ortiz de Bosch
iKNOW Politics: Comment votre carrière a-t-elle débuté? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée en tant que dirigeante politique, surtout en tant que première femme Vice-présidente de la République dominicaine? Comment votre formation et votre expérience antérieures vous ont-elles aidée?
Très rapidement, ma famille s'est élevée contre la dictature de Rafael Leónidas Trujillo (1930-1961), ce qui était vraiment très difficile. A l'époque, ma famille était unie dans la lutte et était persécutée. Il était donc naturel que mes parents et grands-parents nous fassent participer à cette lutte en faveur de la démocratie et de l'égalité parce que, à cette époque de tyrannie, la chose la plus importante était la liberté. Je pense que ma force de caractère m'est venue de ma famille. Les opposants à la dictature se retrouvaient souvent dans notre salon pour s'organiser. Un grand nombre de Dominicains ont pris part à la lutte pour la démocratie par l'intermédiaire de ces groupes clandestins.
Une femme pouvait être assurée qu'elle prenait les mêmes risques que ses camarades de sexe masculin, ce qui était peut-être à la fois un privilège et une malchance. De ce fait, il était relativement aisé de se considérer comme un être humain capable de lutter et de combattre l'ennemi aux côtés de ses frères. L'origine de mon engagement politique se trouve dans la lutte contre la dictature et vient de ma passion pour la liberté et la démocratie complétée, par la suite, par l'aura ou la réputation que donne cette lutte, par exemple la reconnaissance de certains secteurs sociaux. Je suis passée par tout ce qu'ont connu les jeunes de l'époque: la prison, l'exil, la déportation. Mais dès que j'ai pu, je me suis lancée dans la vie politique sous l'angle le plus important pour moi: la lutte pour la démocratie. Mon engagement dans la vie publique a commencé en 1961 et, en 1963, à 20 ans, j'ai sans doute été la seule femme ayant participé à la révision du projet de constitution.
Le Professeur Juan Bosch, qui était à la tête du Parti révolutionnaire dominicain (PRD), a eu une grande influence sur moi. J'ai eu l'honneur d'être sénatrice pendant deux mandats (1994-1998 et 1998-2002), ainsi que Vice-présidente et Secrétaire à l'éducation (2000-2004). J'ai aussi pris part à des réformes me remplissant d'une grande satisfaction, notamment la réforme de la justice dominicaine, pour laquelle je me suis battue. Aujourd'hui, nous avons la satisfaction de disposer d'une justice révolutionnaire en Amérique latine. J'ai aussi contribué à la réforme et à la modernisation du Congrès. En 1997, a eu lieu un événement particulièrement important, qui pourrait intéresser iKNOW Politics. Bien que j'aie recueilli un grand nombre de voix, j'étais la seule femme sénateur. A l'époque, un grand nombre de lois en faveur des femmes n'avaient pas été finalisées, et nous avons réussi à en faire avancer certaines, par exemple la Loi contre la violence dans la famille, la Loi sur l'éducation générale intégrant la perspective du genre, la première Loi sur les quotas de femmes, la création du Secrétariat de la femme, entre autres. J'ai aussi pris part à la création d'un mécanisme destiné à rassembler les femmes représentant des partis politiques et la société civile, par exemple la Commission des femmes, très importante pour le Sénat.
iKNOW Politics: Quel a été le rôle joué, dans la République dominicaine d'après la dictature, par les organisations de femmes et les femmes dirigeantes politiques pour permettre à des femmes d'accéder à des postes à responsabilités et leur en faciliter l'accès?
Je crois que la société dominicaine a stagné et que les femmes, au mieux, étaient trop satisfaites de ce qu'elles avaient obtenu. Une réforme électorale a par ailleurs créé le vote préférentiel, qui a invalidé les triomphes remportés par les femmes sur le plan législatif. Je crois qu'il est important de souligner ici que la législation est une chose, et la mobilisation sociale une autre. Tant que les femmes ne sont pas solidaires par le vote, que les hommes n'ont pas le sentiment que les voix des femmes peuvent avoir un impact sur leur accès au pouvoir, que les femmes continuent à faire ce que la société leur demande et que nous n'exprimons nos suffrages que dans le domaine social et pour la question de la parité hommes-femmes, que les femmes ne sont pas formées dans le domaine économique et social pour impulser des changements dans la société, que nous votons sur la base d'intérêts personnels et non collectifs, en tant que femmes liées les unes aux autres, il est très peu probable que la loi pourra faire quelque chose pour nous. En outre, une loi ne change pas une culture.
La culture et les partis politiques doivent évoluer eux aussi. Les femmes doivent promouvoir de nouvelles réformes juridiques et donner naissance aux mouvements politiques s'inspirant de ces réformes. Après le mouvement de 1997, époque à laquelle je faisais allusion, la société dominicaine est devenue conservatrice. Nos réussites sont modestes, puisqu'il n'y a que 6% de femmes au Sénat, 19% à la Chambre des députés, 11% dans les autorités municipales, et 26 ou 27% dans les Conseils municipaux. Quand on observe ces pourcentages, il apparaît clairement que le nombre de femmes diminue avec l'importance de la fonction. Voici certaines des difficultés rencontrées dans la lutte historique pour le pouvoir. Je dis toujours lors de conférences ou de manifestations au cours desquelles j'ai l'occasion de parler avec des hommes et des femmes (parce qu'il faut aussi parler aux hommes) que les femmes ne sont pas les seules concernées par le problème de la parité et de la discrimination.
Je voudrais vous donner un exemple que je prends toujours dans mes cours à l'université: si je me cassais un os du bras et que je devais porter un plâtre pendant longtemps, le jour où on m'enlèvera ce plâtre, je ne pourrai pas tout de suite bouger le bras plâtré comme celui qui n'a pas été atteint. Le pouvoir féminin est dans le plâtre depuis des milliers d'années. Ce n'est pas un problème de femmes, mais un problème de société. Vouloir que les femmes jouent le rôle qu'elles doivent jouer oblige à aborder des problèmes de santé publique, de production et de lutte véritable contre la pauvreté. Les gouvernements les plus progressistes ou ceux qui sont soutenus par des électeurs progressistes sont ceux qui prennent le plus de mesures en faveur de l'égalité. L'inverse équivaudrait à entretenir le problème de l'esclavage à l'époque de la démocratie. Le problème des inégalités n'est pas seulement un problème de femmes, mais un problème mondial et de société. L'égalité entre hommes et femmes est essentielle pour que le monde atteigne les sommets du développement et du bien-être humains.
iKNOW Politics: Comme vous l'avez déjà indiqué, légiférer ne suffit pas. Des réformes structurelles doivent accompagner la législation. De votre point de vue, quelles sont les principales stratégies à appliquer pour arriver à une égalité des sexes authentique à tous les échelons de la société dominicaine?
Si j'analysais l'ADN de José Luis Rodríguez Zapatero [actuel Président du Espagne] ou de Ricardo Lagos [ancien Président du Chili, 2000-2006], j'y trouverais la passion de la démocratie et le sens de la justice. Ces hommes sont convaincus que leur rôle consiste à présider à l'avènement d'un monde d'égalité et de bien-être. Il n'existe pas de formule magique: sans volonté politique, aucun accomplissement n'est possible. L'éducation est essentielle. Les femmes doivent éduquer les nouvelles générations, tout particulièrement en matière d'égalité. Les femmes ne peuvent pas laisser se répéter le schéma de ces 20 dernières années, particulièrement pour ce qui est de leur rôle au foyer. Le monde n'est plus ce qu'il était.
iKNOW Politics: L'importance de la solidarité entre les femmes est souvent mise en exergue. Par exemple, dans le forum de discussion d'iKNOW Politics sur les quotas de femmes comme outil de promotion de la présence des femmes en politique (4 au 11 juin 2008), l'une des participantes soudanaise a évoqué l'absence de solidarité entre les femmes soudanaises, qui a brisé ce qui aurait pu devenir un fort mouvement politique de femmes. Quelle a été votre expérience sur ce plan et quelles leçons avez-vous apprises?
Je n'ai pas bénéficié de la solidarité entre les femmes, mais cette solidarité me paraît essentielle. Je n'ai pas milité dans le féminisme. Je crois à l'égalité et à l'obligation de respecter les droits de l'homme de tous les individus et de leur offrir une totale liberté. Je ressens donc une obligation à l'égard des femmes et mon parti s'était doté dans ce domaine d'une politique à laquelle je me suis facilement ralliée. Comme je fais preuve de solidarité, je ne me suis jamais retirée d'une campagne afin que la société ne dise pas que les femmes se retirent des campagnes. De nombreuses femmes auraient pu négocier leurs voix [contre des faveurs politiques], mais un petit groupe d'entre nous n'a jamais voulu.
Je ne me suis jamais attendue à de la solidarité de la part des femmes, bien que je leur aie toujours donné la possibilité de montrer leur soutien. J'ai l’honneur d'avoir moi-même toujours soutenu la cause et fait preuve d'un grand engagement en faveur de l'égalité. Je continue à défendre, mettre en avant et expliquer la notion d'égalité et je cherche des raisons et des arguments pour qu'elle continue à progresser. Il existe un problème grave, dont je voudrais parler ici, et qui se réfère au système du patronage. C'est l'arme la plus terrible qui soit contre les femmes et, pourtant, les femmes utilisent. Les femmes pensent que, pour accéder au pouvoir, elles doivent se faire aider grâce au patronage. Toutefois, ceux qui aident les femmes diminuent leur rôle. A chaque époque de l'évolution de l'humanité se produisent des choses extraordinaires susceptibles d'inverser le cours des événements.
Le système du patronage et la pauvreté sont deux instruments désastreux pour les femmes, car ils les enchaînent. Il faut des programmes de lutte contre la pauvreté intelligents, mais c'est la création d'emplois et de perspectives, la vision du développement humain, la capacité à choisir, qui décideront du chemin que suivront les femmes concernant leur égalité. Je suis à la fois la victime et la bénéficiaire des différentes époques que j'ai traversées.
iKNOW Politics: Vous appartenez à un parti politique. Comment avez-vous réussi à vous faire un nom et à vous présenter comme candidate? Que pensez-vous des groupes de femmes au sein des partis politiques et que proposeriez-vous pour faire augmenter la participation des femmes à la prise de décisions dans les partis?
J'ai toujours avancé grâce aux élections internes. Je n'ai jamais été recommandée pour un poste. Même la Vice-présidence s'est décidée sur la base des voix que j'avais obtenues. Les partis politiques latino-américains sont passés par différentes étapes. Avec la présence de M. José Francisco Peña Gómez dans notre parti, nous avions un homme progressiste, proche de Lagos, et de ceux d'entre nous qui ne nous arrêtons pas aux barrières modernes. Dans la crise des partis politiques, étant donné le manque d'idéaux et la prédominance du pragmatisme total du pouvoir pour le pouvoir, je crois que le processus de développement des femmes s'est ralenti, par exemple dans la politique.
Je ne dirais pas que la société dominicaine est plus conservatrice, mais que les partis appartiennent à cette société. Aucun de mes apports n'a été le fruit de mes seuls efforts, mais bien aussi de ceux déployés par les femmes de mon parti, aux côtés des députés de mon parti et de tous les autres partis. Si nous n'avions pas créé une force, nous n'aurions pas pu continuer à nous développer. Le Parti révolutionnaire dominicain (PRD) s'était doté de quotas avant même que la loi sur les quotas n'ait été adoptée. Ces quotas ont été mis en place grâce à la réglementation interne du parti.
iKNOW Politics: Bien que la répartition du pouvoir soit de toute évidence inégale, il est vrai que les femmes ont besoin de l'appui des hommes pour atteindre l'égalité. Sur la base de votre expérience, quelles sont les meilleures stratégies à appliquer pour faire participer les hommes à des processus favorisant la parité entre les sexes, plus particulièrement dans le domaine de la participation politique?
Les stratégies désorganisées, sans projet ni idéaux ne mènent nulle part. Il est tout d'abord important de voir clairement pourquoi on souhaite gouverner et ce qui est nécessaire pour y parvenir. Dans la candidature au Sénat, je me suis trouvée face aux hommes les plus puissants de mon parti. Je dirigeais la base du parti dans ma région depuis longtemps et les avancées étaient extraordinaires. Nous, les femmes, nous avons régionalisé le registre des membres du parti et imposé la transparence. Nous nous sommes impliquées dans la base sociale. La hiérarchie du parti n'a plus pu empêcher la majorité de s'exprimer et il y avait une présence, un mouvement beaucoup plus avancé à la base politique du parti. Je n'avais jamais participé au système du patronage, qui n'était pas aussi puissant qu'il l'est aujourd'hui en raison d'un pragmatisme excessif et qui résume la politique menée en République dominicaine depuis 1996. J'ai donc remporté par deux fois un siège au Sénat, et la seconde fois avec 63% des voix. Quelle recommandation donnerais-je?
La stratégie signifie savoir que c'est la majorité qui fait la démocratie. La majorité ne se constitue pas autour d'un seul sujet, mais plutôt en représentant et en interprétant la société dans son ensemble et en se consacrant à ceux qui ont besoin de plus d'attention pour évoluer. Choisir des points communs est essentiel. Ensuite, il est aussi important d'être prêt à s'exprimer sur toutes les questions, connaître l'économie et l'histoire. Les hommes rabaissent les femmes par tous les moyens. Je me rappelle dans mon parti, lorsque j'avais fait une remarque qui avait été acceptée, l'un de mes collègues masculins assis derrière avait dit: "La femme aux yeux verts qui a pris la parole en premier", pour souligner le fait que j'étais une femme. Cet obstacle peut être surmonté en travaillant dur, en se formant, en étudiant et en étant représentative. Si l'on n'est pas représentative, on n'a pas de poids et on est toujours l'otage de négociations. Je pense que, sur le fond, il est indispensable d'enseigner la stratégie aux femmes. Si vos adversaires en rajoutent, vous aussi.
S'ils divisent, vous aussi. S'ils forment des alliances, vous aussi. S'ils créent des liens avec la population, vous aussi. S'ils ont trouvé de l'argent pour réaliser quelque chose, vous devez imaginer une solution pour faire la même chose avec de nouvelles méthodes, faire preuve de créativité. Par exemple, il existe des mécanismes modernes permettant de faire campagne, mais les coûts empêchent les femmes d'y avoir accès. Nous devons continuer à nous battre sur ce plan, par exemple en ce qui concerne la façon de répartir les fonds des partis politiques bénéficiant du financement de l'Etat sans faire de discrimination à l'égard des femmes, car c'est l'aspect de la vie des partis qui entrave le plus leur participation.
iKNOW Politics: Vous avez participé et participez toujours à la formation des femmes dirigeantes politiques. Les spécialistes sont nombreux à dire que, à notre époque, les jeunes font preuve de désenchantement et de scepticisme (si ce n'est de cynisme pur et simple) à l'égard de la politique. Qu'en pensez-vous? Comment envisagez-vous la formation de nouveaux dirigeants politiques dans votre pays?
L'adolescence que j'ai connue n'a rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Les jeunes n'ont pas les mêmes intérêts. Aujourd'hui, les jeunes sont confrontés à la toxicomanie, à la liberté sexuelle et à la décadence de nos sociétés. Les femmes partent tôt le matin et les grands-mères, comme moi, ne sont plus à la maison pour s'occuper de leurs petits-enfants. Le gouvernement n'a pas réfléchi à un nouveau mode d'organisation de la société. Qui s'occupe des enfants des mères qui travaillent dans la zone franche ou dans les banques?
Qui a pris conscience du fait que les familles ont connu des bouleversements très profonds et que le gouvernement doit se pencher sur la situation pour faire en sorte que les jeunes puissent commencer à poursuivre des objectifs de développement et de croissance plus logiques et se constituer leur propre vision du monde? D'un autre côté, l'Etat ne s'est même pas rendu compte que les femmes constituent la moitié de la population mondiale ni que la moitié des hommes et des femmes sont des jeunes. Les partis politiques manquent de ce dont nous avons le plus besoin, à savoir l'éthique, la transparence, les résultats, la représentation et le respect des promesses faites. Alors, si l'Etat représente l'ensemble de tout ce à quoi un pays aspire et que ce pays élit un dirigeant dont il s'aperçoit ensuite qu'il n'est pas à la hauteur, que peut-il penser? Je crois que la crise économique que nous connaissons enterrera pour de bon les Accords de Bretton Woods et que nous devrons par conséquent passer de nouveaux accords internationaux. Dans ce cadre, il est tout à fait possible de trouver un espace permettant de comprendre de nouvelles personnes (les jeunes) et le rôle des femmes.
On ne change pas de chaussures pour finir par marcher avec des chaussures de deux couleurs différentes. Comme le dit la merveilleuse chanson de Mercedes Sosa, “celui qui ne change pas tout ne change rien.” Les avancées extraordinaires enregistrées en matière de santé, de recherche, de cellules souches, d'ADN, de technologie, etc., exigent d'infléchir la perspective de la société. Ceux qui restent en marge le font parce qu'ils n'ont pas de vision générale de l'évolution du monde. L'heure est venue de penser aux femmes et aux jeunes, car c'est la seule façon d'éradiquer la misère à la racine. Pour les personnes qui sont pauvres depuis 70 ans, il est très difficile de s'insérer dans la production, le développement et la croissance. Offrir aux jeunes et aux femmes qui font leur entrée dans la société la possibilité de créer, c'est changer le monde. La politique est l'art de conquérir le pouvoir. Ceux qui le détiennent peuvent augmenter vos impôts ou les frais d'inscription à l'université, modifier le programme des écoles et le nom de votre rue, vous orienter dans un sens ou un autre (en vous disant si vous devez aller du sud vers le nord ou plutôt l'inverse).
La politique s'immisce dans le sport, elle envahit tout. Lorsqu'on s'isole de la politique, cet espace (puisque la nature a horreur du vide) est rempli par la négation de la politique. Il faut faire de la politique, car la politique constitue le fondement de l'organisation de l'Etat. Les jeunes femmes doivent s'engager dans la politique. Se couper de la politique équivaut à refuser de respirer, car la politique c'est l'air que nous respirons. Vous et moi sommes assises ici pour des raisons politiques, parce que vous considérez que j'ai des choses intéressantes à dire et que vous ouvrez pour une idée intéressante, qui est politique et nous le sommes toutes les deux aussi. Tous ceux qui considèrent que le monde peut être amélioré peuvent y contribuer en faisant de la politique. C'est mon message, c'est ma vie et (je dois l'ajouter) ce message donne satisfaction. Quand la politique est inspirée par des idéaux et des actes, elle offre beaucoup de bonheur. C'est ce que l'on peut voir dans le sourire d'une femme qui vient vous trouver pour vous dire: "Je suis allée porter plainte parce que mon mari me battait", ou "Il existe une loi sur la sécurité sociale garantissant ma santé". Je sais que c'est dur pour les femmes, mais c'est beaucoup plus beau quand on s'engage.
iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux et le travail en réseau ont-ils eu sur votre travail? Les jugez-vous utiles? Dans ce contexte, quel est votre avis sur iKNOW Politics?
Voici quelques années, un groupe d'organisations m'a demandé de participer à un débat sur les partis politiques. Je considère que la crise des partis politiques vient de l'incapacité à s'adapter sur le plan technologique. Les partis doivent fonctionner en réseaux, les intérêts doivent être unis par un réseau. Je crois dans la technologie, dans les outils que le monde d'aujourd'hui met à notre disposition afin, par exemple, d'entrer en contact avec un grand nombre de gens que nous ne connaissons pas, ou leur permettre d'accéder à mon blog ou ma page web. Il est donc évident pour moi qu'il s'agit d'une façon moderne de communiquer. Je considère que la capacité de se rapprocher et de discuter est très importante. Il existe déjà plusieurs réseaux de femmes et je considère le projet iKNOW Politics comme fondamental.
iKNOW Politics: Pour conclure, pourriez-vous nous dire si vous avez des projets dans les domaines que nous avons abordés?
J'organise mes propres conférences, qu'elles soient écrites ou virtuelles et les questions que j'aborde sont liées aux partis politiques. Je participe aussi à un programme de formation des citoyens, car j'ai le sentiment que les problèmes auxquels nous sommes confrontés en Amérique latine, particulièrement au sein des partis politiques, sont dus à un manque de citoyenneté active. Je tiens beaucoup à mes activités dans ce domaine. Dans ce cadre, je collabore avec un programme radiophonique diffusé sur l'une des plus grandes stations de radio du pays, qui jouit d'une audience extraordinaire.
Nous y expliquons comment former une collectivité, comment s'unir pour résoudre un problème et abordons aussi des questions plus vastes et conceptuelles. Nous expliquons aux auditeurs ce que sont les lois, comment elles sont élaborées et comment ils peuvent jouer activement leur rôle de citoyens. Je suis souvent invitée à m'exprimer à des conférences pour débattre de ces questions avec les gens et je finis toujours par aborder la problématique des partis. Pour l'instant, je fais une pause, j'attends de voir comment les choses évoluent et en profite pour organiser un peu ma vie. J'ai tant œuvré et je me suis tant battue que ma vie est fragmentée en un grand nombre de morceaux, que j'ai aujourd'hui le sentiment de devoir rassembler, comme un puzzle. Je veux remettre ensemble les morceaux et réfléchir, car je vous ai beaucoup parlé de mes succès, mais on oublie presque toujours ses échecs.
“Le problème de l'inégalité n'est pas un simple problème de femmes, mais un problème mondial et de société. L'égalité entre hommes et femmes est essentielle pour que le monde atteigne les sommets du développement et du bien-être humains.” - Milagros Ortiz de Bosch
iKNOW Politics: Comment votre carrière a-t-elle débuté? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée en tant que dirigeante politique, surtout en tant que première femme Vice-présidente de la République dominicaine? Comment votre formation et votre expérience antérieures vous ont-elles aidée?
Très rapidement, ma famille s'est élevée contre la dictature de Rafael Leónidas Trujillo (1930-1961), ce qui était vraiment très difficile. A l'époque, ma famille était unie dans la lutte et était persécutée. Il était donc naturel que mes parents et grands-parents nous fassent participer à cette lutte en faveur de la démocratie et de l'égalité parce que, à cette époque de tyrannie, la chose la plus importante était la liberté. Je pense que ma force de caractère m'est venue de ma famille. Les opposants à la dictature se retrouvaient souvent dans notre salon pour s'organiser. Un grand nombre de Dominicains ont pris part à la lutte pour la démocratie par l'intermédiaire de ces groupes clandestins.
Une femme pouvait être assurée qu'elle prenait les mêmes risques que ses camarades de sexe masculin, ce qui était peut-être à la fois un privilège et une malchance. De ce fait, il était relativement aisé de se considérer comme un être humain capable de lutter et de combattre l'ennemi aux côtés de ses frères. L'origine de mon engagement politique se trouve dans la lutte contre la dictature et vient de ma passion pour la liberté et la démocratie complétée, par la suite, par l'aura ou la réputation que donne cette lutte, par exemple la reconnaissance de certains secteurs sociaux. Je suis passée par tout ce qu'ont connu les jeunes de l'époque: la prison, l'exil, la déportation. Mais dès que j'ai pu, je me suis lancée dans la vie politique sous l'angle le plus important pour moi: la lutte pour la démocratie. Mon engagement dans la vie publique a commencé en 1961 et, en 1963, à 20 ans, j'ai sans doute été la seule femme ayant participé à la révision du projet de constitution.
Le Professeur Juan Bosch, qui était à la tête du Parti révolutionnaire dominicain (PRD), a eu une grande influence sur moi. J'ai eu l'honneur d'être sénatrice pendant deux mandats (1994-1998 et 1998-2002), ainsi que Vice-présidente et Secrétaire à l'éducation (2000-2004). J'ai aussi pris part à des réformes me remplissant d'une grande satisfaction, notamment la réforme de la justice dominicaine, pour laquelle je me suis battue. Aujourd'hui, nous avons la satisfaction de disposer d'une justice révolutionnaire en Amérique latine. J'ai aussi contribué à la réforme et à la modernisation du Congrès. En 1997, a eu lieu un événement particulièrement important, qui pourrait intéresser iKNOW Politics. Bien que j'aie recueilli un grand nombre de voix, j'étais la seule femme sénateur. A l'époque, un grand nombre de lois en faveur des femmes n'avaient pas été finalisées, et nous avons réussi à en faire avancer certaines, par exemple la Loi contre la violence dans la famille, la Loi sur l'éducation générale intégrant la perspective du genre, la première Loi sur les quotas de femmes, la création du Secrétariat de la femme, entre autres. J'ai aussi pris part à la création d'un mécanisme destiné à rassembler les femmes représentant des partis politiques et la société civile, par exemple la Commission des femmes, très importante pour le Sénat.
iKNOW Politics: Quel a été le rôle joué, dans la République dominicaine d'après la dictature, par les organisations de femmes et les femmes dirigeantes politiques pour permettre à des femmes d'accéder à des postes à responsabilités et leur en faciliter l'accès?
Je crois que la société dominicaine a stagné et que les femmes, au mieux, étaient trop satisfaites de ce qu'elles avaient obtenu. Une réforme électorale a par ailleurs créé le vote préférentiel, qui a invalidé les triomphes remportés par les femmes sur le plan législatif. Je crois qu'il est important de souligner ici que la législation est une chose, et la mobilisation sociale une autre. Tant que les femmes ne sont pas solidaires par le vote, que les hommes n'ont pas le sentiment que les voix des femmes peuvent avoir un impact sur leur accès au pouvoir, que les femmes continuent à faire ce que la société leur demande et que nous n'exprimons nos suffrages que dans le domaine social et pour la question de la parité hommes-femmes, que les femmes ne sont pas formées dans le domaine économique et social pour impulser des changements dans la société, que nous votons sur la base d'intérêts personnels et non collectifs, en tant que femmes liées les unes aux autres, il est très peu probable que la loi pourra faire quelque chose pour nous. En outre, une loi ne change pas une culture.
La culture et les partis politiques doivent évoluer eux aussi. Les femmes doivent promouvoir de nouvelles réformes juridiques et donner naissance aux mouvements politiques s'inspirant de ces réformes. Après le mouvement de 1997, époque à laquelle je faisais allusion, la société dominicaine est devenue conservatrice. Nos réussites sont modestes, puisqu'il n'y a que 6% de femmes au Sénat, 19% à la Chambre des députés, 11% dans les autorités municipales, et 26 ou 27% dans les Conseils municipaux. Quand on observe ces pourcentages, il apparaît clairement que le nombre de femmes diminue avec l'importance de la fonction. Voici certaines des difficultés rencontrées dans la lutte historique pour le pouvoir. Je dis toujours lors de conférences ou de manifestations au cours desquelles j'ai l'occasion de parler avec des hommes et des femmes (parce qu'il faut aussi parler aux hommes) que les femmes ne sont pas les seules concernées par le problème de la parité et de la discrimination.
Je voudrais vous donner un exemple que je prends toujours dans mes cours à l'université: si je me cassais un os du bras et que je devais porter un plâtre pendant longtemps, le jour où on m'enlèvera ce plâtre, je ne pourrai pas tout de suite bouger le bras plâtré comme celui qui n'a pas été atteint. Le pouvoir féminin est dans le plâtre depuis des milliers d'années. Ce n'est pas un problème de femmes, mais un problème de société. Vouloir que les femmes jouent le rôle qu'elles doivent jouer oblige à aborder des problèmes de santé publique, de production et de lutte véritable contre la pauvreté. Les gouvernements les plus progressistes ou ceux qui sont soutenus par des électeurs progressistes sont ceux qui prennent le plus de mesures en faveur de l'égalité. L'inverse équivaudrait à entretenir le problème de l'esclavage à l'époque de la démocratie. Le problème des inégalités n'est pas seulement un problème de femmes, mais un problème mondial et de société. L'égalité entre hommes et femmes est essentielle pour que le monde atteigne les sommets du développement et du bien-être humains.
iKNOW Politics: Comme vous l'avez déjà indiqué, légiférer ne suffit pas. Des réformes structurelles doivent accompagner la législation. De votre point de vue, quelles sont les principales stratégies à appliquer pour arriver à une égalité des sexes authentique à tous les échelons de la société dominicaine?
Si j'analysais l'ADN de José Luis Rodríguez Zapatero [actuel Président du Espagne] ou de Ricardo Lagos [ancien Président du Chili, 2000-2006], j'y trouverais la passion de la démocratie et le sens de la justice. Ces hommes sont convaincus que leur rôle consiste à présider à l'avènement d'un monde d'égalité et de bien-être. Il n'existe pas de formule magique: sans volonté politique, aucun accomplissement n'est possible. L'éducation est essentielle. Les femmes doivent éduquer les nouvelles générations, tout particulièrement en matière d'égalité. Les femmes ne peuvent pas laisser se répéter le schéma de ces 20 dernières années, particulièrement pour ce qui est de leur rôle au foyer. Le monde n'est plus ce qu'il était.
iKNOW Politics: L'importance de la solidarité entre les femmes est souvent mise en exergue. Par exemple, dans le forum de discussion d'iKNOW Politics sur les quotas de femmes comme outil de promotion de la présence des femmes en politique (4 au 11 juin 2008), l'une des participantes soudanaise a évoqué l'absence de solidarité entre les femmes soudanaises, qui a brisé ce qui aurait pu devenir un fort mouvement politique de femmes. Quelle a été votre expérience sur ce plan et quelles leçons avez-vous apprises?
Je n'ai pas bénéficié de la solidarité entre les femmes, mais cette solidarité me paraît essentielle. Je n'ai pas milité dans le féminisme. Je crois à l'égalité et à l'obligation de respecter les droits de l'homme de tous les individus et de leur offrir une totale liberté. Je ressens donc une obligation à l'égard des femmes et mon parti s'était doté dans ce domaine d'une politique à laquelle je me suis facilement ralliée. Comme je fais preuve de solidarité, je ne me suis jamais retirée d'une campagne afin que la société ne dise pas que les femmes se retirent des campagnes. De nombreuses femmes auraient pu négocier leurs voix [contre des faveurs politiques], mais un petit groupe d'entre nous n'a jamais voulu.
Je ne me suis jamais attendue à de la solidarité de la part des femmes, bien que je leur aie toujours donné la possibilité de montrer leur soutien. J'ai l’honneur d'avoir moi-même toujours soutenu la cause et fait preuve d'un grand engagement en faveur de l'égalité. Je continue à défendre, mettre en avant et expliquer la notion d'égalité et je cherche des raisons et des arguments pour qu'elle continue à progresser. Il existe un problème grave, dont je voudrais parler ici, et qui se réfère au système du patronage. C'est l'arme la plus terrible qui soit contre les femmes et, pourtant, les femmes utilisent. Les femmes pensent que, pour accéder au pouvoir, elles doivent se faire aider grâce au patronage. Toutefois, ceux qui aident les femmes diminuent leur rôle. A chaque époque de l'évolution de l'humanité se produisent des choses extraordinaires susceptibles d'inverser le cours des événements.
Le système du patronage et la pauvreté sont deux instruments désastreux pour les femmes, car ils les enchaînent. Il faut des programmes de lutte contre la pauvreté intelligents, mais c'est la création d'emplois et de perspectives, la vision du développement humain, la capacité à choisir, qui décideront du chemin que suivront les femmes concernant leur égalité. Je suis à la fois la victime et la bénéficiaire des différentes époques que j'ai traversées.
iKNOW Politics: Vous appartenez à un parti politique. Comment avez-vous réussi à vous faire un nom et à vous présenter comme candidate? Que pensez-vous des groupes de femmes au sein des partis politiques et que proposeriez-vous pour faire augmenter la participation des femmes à la prise de décisions dans les partis?
J'ai toujours avancé grâce aux élections internes. Je n'ai jamais été recommandée pour un poste. Même la Vice-présidence s'est décidée sur la base des voix que j'avais obtenues. Les partis politiques latino-américains sont passés par différentes étapes. Avec la présence de M. José Francisco Peña Gómez dans notre parti, nous avions un homme progressiste, proche de Lagos, et de ceux d'entre nous qui ne nous arrêtons pas aux barrières modernes. Dans la crise des partis politiques, étant donné le manque d'idéaux et la prédominance du pragmatisme total du pouvoir pour le pouvoir, je crois que le processus de développement des femmes s'est ralenti, par exemple dans la politique.
Je ne dirais pas que la société dominicaine est plus conservatrice, mais que les partis appartiennent à cette société. Aucun de mes apports n'a été le fruit de mes seuls efforts, mais bien aussi de ceux déployés par les femmes de mon parti, aux côtés des députés de mon parti et de tous les autres partis. Si nous n'avions pas créé une force, nous n'aurions pas pu continuer à nous développer. Le Parti révolutionnaire dominicain (PRD) s'était doté de quotas avant même que la loi sur les quotas n'ait été adoptée. Ces quotas ont été mis en place grâce à la réglementation interne du parti.
iKNOW Politics: Bien que la répartition du pouvoir soit de toute évidence inégale, il est vrai que les femmes ont besoin de l'appui des hommes pour atteindre l'égalité. Sur la base de votre expérience, quelles sont les meilleures stratégies à appliquer pour faire participer les hommes à des processus favorisant la parité entre les sexes, plus particulièrement dans le domaine de la participation politique?
Les stratégies désorganisées, sans projet ni idéaux ne mènent nulle part. Il est tout d'abord important de voir clairement pourquoi on souhaite gouverner et ce qui est nécessaire pour y parvenir. Dans la candidature au Sénat, je me suis trouvée face aux hommes les plus puissants de mon parti. Je dirigeais la base du parti dans ma région depuis longtemps et les avancées étaient extraordinaires. Nous, les femmes, nous avons régionalisé le registre des membres du parti et imposé la transparence. Nous nous sommes impliquées dans la base sociale. La hiérarchie du parti n'a plus pu empêcher la majorité de s'exprimer et il y avait une présence, un mouvement beaucoup plus avancé à la base politique du parti. Je n'avais jamais participé au système du patronage, qui n'était pas aussi puissant qu'il l'est aujourd'hui en raison d'un pragmatisme excessif et qui résume la politique menée en République dominicaine depuis 1996. J'ai donc remporté par deux fois un siège au Sénat, et la seconde fois avec 63% des voix. Quelle recommandation donnerais-je?
La stratégie signifie savoir que c'est la majorité qui fait la démocratie. La majorité ne se constitue pas autour d'un seul sujet, mais plutôt en représentant et en interprétant la société dans son ensemble et en se consacrant à ceux qui ont besoin de plus d'attention pour évoluer. Choisir des points communs est essentiel. Ensuite, il est aussi important d'être prêt à s'exprimer sur toutes les questions, connaître l'économie et l'histoire. Les hommes rabaissent les femmes par tous les moyens. Je me rappelle dans mon parti, lorsque j'avais fait une remarque qui avait été acceptée, l'un de mes collègues masculins assis derrière avait dit: "La femme aux yeux verts qui a pris la parole en premier", pour souligner le fait que j'étais une femme. Cet obstacle peut être surmonté en travaillant dur, en se formant, en étudiant et en étant représentative. Si l'on n'est pas représentative, on n'a pas de poids et on est toujours l'otage de négociations. Je pense que, sur le fond, il est indispensable d'enseigner la stratégie aux femmes. Si vos adversaires en rajoutent, vous aussi.
S'ils divisent, vous aussi. S'ils forment des alliances, vous aussi. S'ils créent des liens avec la population, vous aussi. S'ils ont trouvé de l'argent pour réaliser quelque chose, vous devez imaginer une solution pour faire la même chose avec de nouvelles méthodes, faire preuve de créativité. Par exemple, il existe des mécanismes modernes permettant de faire campagne, mais les coûts empêchent les femmes d'y avoir accès. Nous devons continuer à nous battre sur ce plan, par exemple en ce qui concerne la façon de répartir les fonds des partis politiques bénéficiant du financement de l'Etat sans faire de discrimination à l'égard des femmes, car c'est l'aspect de la vie des partis qui entrave le plus leur participation.
iKNOW Politics: Vous avez participé et participez toujours à la formation des femmes dirigeantes politiques. Les spécialistes sont nombreux à dire que, à notre époque, les jeunes font preuve de désenchantement et de scepticisme (si ce n'est de cynisme pur et simple) à l'égard de la politique. Qu'en pensez-vous? Comment envisagez-vous la formation de nouveaux dirigeants politiques dans votre pays?
L'adolescence que j'ai connue n'a rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Les jeunes n'ont pas les mêmes intérêts. Aujourd'hui, les jeunes sont confrontés à la toxicomanie, à la liberté sexuelle et à la décadence de nos sociétés. Les femmes partent tôt le matin et les grands-mères, comme moi, ne sont plus à la maison pour s'occuper de leurs petits-enfants. Le gouvernement n'a pas réfléchi à un nouveau mode d'organisation de la société. Qui s'occupe des enfants des mères qui travaillent dans la zone franche ou dans les banques?
Qui a pris conscience du fait que les familles ont connu des bouleversements très profonds et que le gouvernement doit se pencher sur la situation pour faire en sorte que les jeunes puissent commencer à poursuivre des objectifs de développement et de croissance plus logiques et se constituer leur propre vision du monde? D'un autre côté, l'Etat ne s'est même pas rendu compte que les femmes constituent la moitié de la population mondiale ni que la moitié des hommes et des femmes sont des jeunes. Les partis politiques manquent de ce dont nous avons le plus besoin, à savoir l'éthique, la transparence, les résultats, la représentation et le respect des promesses faites. Alors, si l'Etat représente l'ensemble de tout ce à quoi un pays aspire et que ce pays élit un dirigeant dont il s'aperçoit ensuite qu'il n'est pas à la hauteur, que peut-il penser? Je crois que la crise économique que nous connaissons enterrera pour de bon les Accords de Bretton Woods et que nous devrons par conséquent passer de nouveaux accords internationaux. Dans ce cadre, il est tout à fait possible de trouver un espace permettant de comprendre de nouvelles personnes (les jeunes) et le rôle des femmes.
On ne change pas de chaussures pour finir par marcher avec des chaussures de deux couleurs différentes. Comme le dit la merveilleuse chanson de Mercedes Sosa, “celui qui ne change pas tout ne change rien.” Les avancées extraordinaires enregistrées en matière de santé, de recherche, de cellules souches, d'ADN, de technologie, etc., exigent d'infléchir la perspective de la société. Ceux qui restent en marge le font parce qu'ils n'ont pas de vision générale de l'évolution du monde. L'heure est venue de penser aux femmes et aux jeunes, car c'est la seule façon d'éradiquer la misère à la racine. Pour les personnes qui sont pauvres depuis 70 ans, il est très difficile de s'insérer dans la production, le développement et la croissance. Offrir aux jeunes et aux femmes qui font leur entrée dans la société la possibilité de créer, c'est changer le monde. La politique est l'art de conquérir le pouvoir. Ceux qui le détiennent peuvent augmenter vos impôts ou les frais d'inscription à l'université, modifier le programme des écoles et le nom de votre rue, vous orienter dans un sens ou un autre (en vous disant si vous devez aller du sud vers le nord ou plutôt l'inverse).
La politique s'immisce dans le sport, elle envahit tout. Lorsqu'on s'isole de la politique, cet espace (puisque la nature a horreur du vide) est rempli par la négation de la politique. Il faut faire de la politique, car la politique constitue le fondement de l'organisation de l'Etat. Les jeunes femmes doivent s'engager dans la politique. Se couper de la politique équivaut à refuser de respirer, car la politique c'est l'air que nous respirons. Vous et moi sommes assises ici pour des raisons politiques, parce que vous considérez que j'ai des choses intéressantes à dire et que vous ouvrez pour une idée intéressante, qui est politique et nous le sommes toutes les deux aussi. Tous ceux qui considèrent que le monde peut être amélioré peuvent y contribuer en faisant de la politique. C'est mon message, c'est ma vie et (je dois l'ajouter) ce message donne satisfaction. Quand la politique est inspirée par des idéaux et des actes, elle offre beaucoup de bonheur. C'est ce que l'on peut voir dans le sourire d'une femme qui vient vous trouver pour vous dire: "Je suis allée porter plainte parce que mon mari me battait", ou "Il existe une loi sur la sécurité sociale garantissant ma santé". Je sais que c'est dur pour les femmes, mais c'est beaucoup plus beau quand on s'engage.
iKNOW Politics: Quel type d'influence les réseaux et le travail en réseau ont-ils eu sur votre travail? Les jugez-vous utiles? Dans ce contexte, quel est votre avis sur iKNOW Politics?
Voici quelques années, un groupe d'organisations m'a demandé de participer à un débat sur les partis politiques. Je considère que la crise des partis politiques vient de l'incapacité à s'adapter sur le plan technologique. Les partis doivent fonctionner en réseaux, les intérêts doivent être unis par un réseau. Je crois dans la technologie, dans les outils que le monde d'aujourd'hui met à notre disposition afin, par exemple, d'entrer en contact avec un grand nombre de gens que nous ne connaissons pas, ou leur permettre d'accéder à mon blog ou ma page web. Il est donc évident pour moi qu'il s'agit d'une façon moderne de communiquer. Je considère que la capacité de se rapprocher et de discuter est très importante. Il existe déjà plusieurs réseaux de femmes et je considère le projet iKNOW Politics comme fondamental.
iKNOW Politics: Pour conclure, pourriez-vous nous dire si vous avez des projets dans les domaines que nous avons abordés?
J'organise mes propres conférences, qu'elles soient écrites ou virtuelles et les questions que j'aborde sont liées aux partis politiques. Je participe aussi à un programme de formation des citoyens, car j'ai le sentiment que les problèmes auxquels nous sommes confrontés en Amérique latine, particulièrement au sein des partis politiques, sont dus à un manque de citoyenneté active. Je tiens beaucoup à mes activités dans ce domaine. Dans ce cadre, je collabore avec un programme radiophonique diffusé sur l'une des plus grandes stations de radio du pays, qui jouit d'une audience extraordinaire.
Nous y expliquons comment former une collectivité, comment s'unir pour résoudre un problème et abordons aussi des questions plus vastes et conceptuelles. Nous expliquons aux auditeurs ce que sont les lois, comment elles sont élaborées et comment ils peuvent jouer activement leur rôle de citoyens. Je suis souvent invitée à m'exprimer à des conférences pour débattre de ces questions avec les gens et je finis toujours par aborder la problématique des partis. Pour l'instant, je fais une pause, j'attends de voir comment les choses évoluent et en profite pour organiser un peu ma vie. J'ai tant œuvré et je me suis tant battue que ma vie est fragmentée en un grand nombre de morceaux, que j'ai aujourd'hui le sentiment de devoir rassembler, comme un puzzle. Je veux remettre ensemble les morceaux et réfléchir, car je vous ai beaucoup parlé de mes succès, mais on oublie presque toujours ses échecs.