Nouha Ghosseini : “Cassons ce plafond de verre”
Dans cette période où le besoin d’un renouvellement de la classe politique libanaise se fait de plus en plus sentir, il est opportun de partir à la rencontre d’acteurs politiques présents à l’échelon local, qui se démarquent d’un climat général figé, et d’en vanter les particularités.
Aujourd’hui, nous parlerons de la commune de Baakline, dans le Chouf. La mairie de Baakline est une exception dans le paysage politique libanais, mais ce ne devrait pas en être. Baakline est l’une des six communes libanaises (sur 985) dont le(la) maire(sse) est une femme. Rencontre avec Dr Nouha Ghosseini, mairesse de Baakline et aussi présidente de la Fédération des municipalités du Chouf Souayjani.
Un parcours exceptionnel
Major de sa promotion en architecture à l’Université libanaise, Madame Ghosseini a obtenu une bourse du gouvernement français qui lui a permis de poursuivre ses études à l’université de Paris IV-Sorbonne. En 1989, elle obtient un doctorat en aménagement du territoire. De son séjour en France, elle garde un profond intérêt pour la politique de décentralisation, avec les changements et avancées qu’elle permet de réaliser au niveau local.
En 1992, Madame Ghosseini revient au Liban pour enseigner à l’institut des beaux-arts de l’Université libanaise, tout en collaborant avec la société Solidere pour l’aménagement paysager. Elle s’engage ensuite politiquement dans sa région natale, le Chouf. Débute ainsi un parcours politique exceptionnel semé néanmoins d’embûches.
L’abdication du pouvoir central vis-à-vis des municipalités motive Madame Ghosseini à s’impliquer dans la promotion de la décentralisation par le biais de la campagne “Baladi, Baldati, Baladiyati” (Mon pays, Ma commune, Ma municipalité). Soutenue par ses étudiants et les jeunes de la commune de Baakline, elle se lance dans les élections de 1998.
L’affirmation de son rôle politique n’a pas été facile sans le soutien de la figure de référence au sein de la communauté druze : “La liste électorale était établie par consensus avec les familles et les forces politiques de Baakline. Ce n’était pas si simple de m’y trouver une place, en tant que femme. L’appui de Walid Joumblatt était indispensable pour me faire accepter, en tant que conseillère, pas mairesse, par les membres hommes de ma grande famille Ghosseini et le chef religieux de ma commune”.
Sa carrière politique amorcée, Madame Ghosseini s’engage alors avec détermination et efficacité pour la préservation du patrimoine naturel de sa région. “En 2000, grâce à une aide précieuse de la part de l’AFD (Agence Française de Développement), nous avons entamé un projet de préservation de la couverture végétale et d’éco-tourisme sur une partie de la forêt de Baakline. La même année, j’ai participé avec des amis franco-libanais à l’établissement d’une coopération décentralisée avec la ville française Lille métropole, l’une des premières coopérations décentralisées au Liban. Grâce à cette coopération, nous avons pu réhabiliter une décharge sauvage sur le territoire du Chouf Souayjani. Ce projet constituait un de mes rêves depuis mon retour de France et j’ai bien œuvré pour le réaliser.”
Etre mairesse au Liban
Il est difficile dans un environnement politique quasiment masculin de faire valoir ses actions politiques lorsqu’on est une femme. “Le Liban est classé à la 133e place mondiale au niveau de la participation de la femme à la vie politique, dans un rapport publié en 2013 par le Forum économique mondial. Au Chouf, nous sommes trois mairesses sur les six que compte le pays, sur 89 municipalités dans le Caza. Deux mairesses se trouvent à la Fédération des municipalités du Chouf Souayjani. Nous nous épaulons l’une l’autre. Il en est de même à la municipalité de Baakline où j’ai réussi, avec difficulté, à assurer la présence d’une seconde femme élue au conseil municipal. Quant au nombre des conseillères municipales à l’échelle du Caza du Chouf, il ne dépasse pas 30 sur 858...”
Dans ce contexte, ces avancées sociales semblent avoir à la fois besoin d’un levier institutionnel et d’un tremplin moral : “Bien évidement, le support du chef politique était essentiel pour accéder au poste de mairesse pour nous trois à Baakline, Ain-w-zain et Kfarqatra. D’où l’indispensable rôle que peuvent jouer les partis politiques pour supprimer les entraves qui empêchent les femmes d’accéder à la gouvernance et de contribuer pleinement à la croissance et à la prospérité du Liban”.
Mais même une fois élue, le combat contre le parti pris masculin est quotidien. “Il me parait qu’une fois arrivée au poste de décision, la femme peut pleinement jouer son rôle. Cependant, elle doit faire preuve d’intelligence pour ne pas provoquer sa société. Quant à moi, j’ai du mal, parfois, à “arrondir les angles” et pratiquer le célèbre slogan libanais: “laisser faire, laisser aller”, à l’instar de ce que certains maires font pour gagner de la popularité facilement.”
Mesdames, administrez nous !
“Au Liban, le pays le plus libéral dans son environnement arabe, les femmes restent toujours le maillon faible dans tous les compromis et les changements, même si ces changements viennent d’elles.” Pour Madame Ghosseini, l’accès aux postes de décisions au niveau local peut permettre la promotion de la femme dans le politique : “Reconnaître l'existence de la femme, soit 52% de la population libanaise, c'est reconnaître sa citoyenneté, sa singularité, sa pensée, ses faiblesses mais aussi ses forces. Nous faisons face à un défi pour percer le système actuel : c'est néanmoins sur les législatives et les municipales, qui sont des élections et non des nominations, que doit se tenir le pari de femmes libanaises.” Madame Ghosseini pense que “le changement ne surviendra que si le système de quota féminin est adopté dans les élections législatives et municipales”. Ainsi, la mairesse de Baakline s’appuie sur sa propre expérience pour promouvoir le rôle de la femme en politique et inciter toutes les femmes à se lancer en politique.
Aux yeux de Nouha Ghosseini, deux raisons principales s’inscrivent comme obstacle de la participation des femmes à la vie politique : le manque de conscience politique des partis et le sexisme primaire quant à la place des femmes. “Pour ce qui est de la gestion interne de tous les partis libanais, la nomination à des postes de leadership ne répond pas à un processus démocratique, mais dépend du jugement personnel du leader du parti, ce qui diminue les chances d’accès des femmes à de telles positions. En ce qui concerne les pratiques et la culture au sein des partis, la raison majeure reste le manque de confiance qu’ont, en général, tous les leaderships libanais dans les capacités des femmes.”
La situation est difficile au Liban pour les femmes qui désirent prendre part aux décisions de leur pays. Mais l’exemple de Nouha Ghosseini nous montre que l’on peut se battre pour un changement au niveau national qui passe par le soutien fort des femmes déjà présentes au niveau local. “Je confirme que mon expérience et celle de mes collègues mairesses est enrichissante par excellence, à la fois au niveau public et privé. Cette expérience a provoqué un changement majeur dans ma vie en tant que femme. J’invite toutes les femmes désirant le changement et la promotion de la condition féminine au Liban à exercer cette expérience.”
Propos recueillis par Martin Bacholle
Dans cette période où le besoin d’un renouvellement de la classe politique libanaise se fait de plus en plus sentir, il est opportun de partir à la rencontre d’acteurs politiques présents à l’échelon local, qui se démarquent d’un climat général figé, et d’en vanter les particularités.
Aujourd’hui, nous parlerons de la commune de Baakline, dans le Chouf. La mairie de Baakline est une exception dans le paysage politique libanais, mais ce ne devrait pas en être. Baakline est l’une des six communes libanaises (sur 985) dont le(la) maire(sse) est une femme. Rencontre avec Dr Nouha Ghosseini, mairesse de Baakline et aussi présidente de la Fédération des municipalités du Chouf Souayjani.
Un parcours exceptionnel
Major de sa promotion en architecture à l’Université libanaise, Madame Ghosseini a obtenu une bourse du gouvernement français qui lui a permis de poursuivre ses études à l’université de Paris IV-Sorbonne. En 1989, elle obtient un doctorat en aménagement du territoire. De son séjour en France, elle garde un profond intérêt pour la politique de décentralisation, avec les changements et avancées qu’elle permet de réaliser au niveau local.
En 1992, Madame Ghosseini revient au Liban pour enseigner à l’institut des beaux-arts de l’Université libanaise, tout en collaborant avec la société Solidere pour l’aménagement paysager. Elle s’engage ensuite politiquement dans sa région natale, le Chouf. Débute ainsi un parcours politique exceptionnel semé néanmoins d’embûches.
L’abdication du pouvoir central vis-à-vis des municipalités motive Madame Ghosseini à s’impliquer dans la promotion de la décentralisation par le biais de la campagne “Baladi, Baldati, Baladiyati” (Mon pays, Ma commune, Ma municipalité). Soutenue par ses étudiants et les jeunes de la commune de Baakline, elle se lance dans les élections de 1998.
L’affirmation de son rôle politique n’a pas été facile sans le soutien de la figure de référence au sein de la communauté druze : “La liste électorale était établie par consensus avec les familles et les forces politiques de Baakline. Ce n’était pas si simple de m’y trouver une place, en tant que femme. L’appui de Walid Joumblatt était indispensable pour me faire accepter, en tant que conseillère, pas mairesse, par les membres hommes de ma grande famille Ghosseini et le chef religieux de ma commune”.
Sa carrière politique amorcée, Madame Ghosseini s’engage alors avec détermination et efficacité pour la préservation du patrimoine naturel de sa région. “En 2000, grâce à une aide précieuse de la part de l’AFD (Agence Française de Développement), nous avons entamé un projet de préservation de la couverture végétale et d’éco-tourisme sur une partie de la forêt de Baakline. La même année, j’ai participé avec des amis franco-libanais à l’établissement d’une coopération décentralisée avec la ville française Lille métropole, l’une des premières coopérations décentralisées au Liban. Grâce à cette coopération, nous avons pu réhabiliter une décharge sauvage sur le territoire du Chouf Souayjani. Ce projet constituait un de mes rêves depuis mon retour de France et j’ai bien œuvré pour le réaliser.”
Etre mairesse au Liban
Il est difficile dans un environnement politique quasiment masculin de faire valoir ses actions politiques lorsqu’on est une femme. “Le Liban est classé à la 133e place mondiale au niveau de la participation de la femme à la vie politique, dans un rapport publié en 2013 par le Forum économique mondial. Au Chouf, nous sommes trois mairesses sur les six que compte le pays, sur 89 municipalités dans le Caza. Deux mairesses se trouvent à la Fédération des municipalités du Chouf Souayjani. Nous nous épaulons l’une l’autre. Il en est de même à la municipalité de Baakline où j’ai réussi, avec difficulté, à assurer la présence d’une seconde femme élue au conseil municipal. Quant au nombre des conseillères municipales à l’échelle du Caza du Chouf, il ne dépasse pas 30 sur 858...”
Dans ce contexte, ces avancées sociales semblent avoir à la fois besoin d’un levier institutionnel et d’un tremplin moral : “Bien évidement, le support du chef politique était essentiel pour accéder au poste de mairesse pour nous trois à Baakline, Ain-w-zain et Kfarqatra. D’où l’indispensable rôle que peuvent jouer les partis politiques pour supprimer les entraves qui empêchent les femmes d’accéder à la gouvernance et de contribuer pleinement à la croissance et à la prospérité du Liban”.
Mais même une fois élue, le combat contre le parti pris masculin est quotidien. “Il me parait qu’une fois arrivée au poste de décision, la femme peut pleinement jouer son rôle. Cependant, elle doit faire preuve d’intelligence pour ne pas provoquer sa société. Quant à moi, j’ai du mal, parfois, à “arrondir les angles” et pratiquer le célèbre slogan libanais: “laisser faire, laisser aller”, à l’instar de ce que certains maires font pour gagner de la popularité facilement.”
Mesdames, administrez nous !
“Au Liban, le pays le plus libéral dans son environnement arabe, les femmes restent toujours le maillon faible dans tous les compromis et les changements, même si ces changements viennent d’elles.” Pour Madame Ghosseini, l’accès aux postes de décisions au niveau local peut permettre la promotion de la femme dans le politique : “Reconnaître l'existence de la femme, soit 52% de la population libanaise, c'est reconnaître sa citoyenneté, sa singularité, sa pensée, ses faiblesses mais aussi ses forces. Nous faisons face à un défi pour percer le système actuel : c'est néanmoins sur les législatives et les municipales, qui sont des élections et non des nominations, que doit se tenir le pari de femmes libanaises.” Madame Ghosseini pense que “le changement ne surviendra que si le système de quota féminin est adopté dans les élections législatives et municipales”. Ainsi, la mairesse de Baakline s’appuie sur sa propre expérience pour promouvoir le rôle de la femme en politique et inciter toutes les femmes à se lancer en politique.
Aux yeux de Nouha Ghosseini, deux raisons principales s’inscrivent comme obstacle de la participation des femmes à la vie politique : le manque de conscience politique des partis et le sexisme primaire quant à la place des femmes. “Pour ce qui est de la gestion interne de tous les partis libanais, la nomination à des postes de leadership ne répond pas à un processus démocratique, mais dépend du jugement personnel du leader du parti, ce qui diminue les chances d’accès des femmes à de telles positions. En ce qui concerne les pratiques et la culture au sein des partis, la raison majeure reste le manque de confiance qu’ont, en général, tous les leaderships libanais dans les capacités des femmes.”
La situation est difficile au Liban pour les femmes qui désirent prendre part aux décisions de leur pays. Mais l’exemple de Nouha Ghosseini nous montre que l’on peut se battre pour un changement au niveau national qui passe par le soutien fort des femmes déjà présentes au niveau local. “Je confirme que mon expérience et celle de mes collègues mairesses est enrichissante par excellence, à la fois au niveau public et privé. Cette expérience a provoqué un changement majeur dans ma vie en tant que femme. J’invite toutes les femmes désirant le changement et la promotion de la condition féminine au Liban à exercer cette expérience.”
Propos recueillis par Martin Bacholle