Marlène Schiappa
Propos recueillis par Hugo Domenach
Les Américains et surtout les Américaines ont refusé d'élire une femme à la tête de leur pays. En France aussi, la démocratie ne permet pas aux femmes d'accéder aux plus hauts postes à responsabilité, y compris lorsque la parité est rendue obligatoire par la loi. Auteur d'une note intitulée La Démocratie contre les femmes ? pour la Fondation Jean-Jaurès, Marlène Schiappa, adjointe au maire du Mans (sans étiquette), analyse « le mâle être » des systèmes politiques occidentaux.
Le Point.fr : Pourquoi, selon vous, aux États-Unis comme en France, les institutions démocratiques briment-elles les femmes ?
Marlène Schiappa : Comme aux États-Unis, la démocratie française entretient un plafond de verre qui empêche les femmes d'accéder aux plus hauts postes de pouvoir : elles sont à peine 25 % de parlementaires, 16 % de maires, et il n'y en a jamais eu à la tête de l'Assemblée nationale, du Sénat ou à la présidence de la République. Cela s'explique parce que la politique a été organisée par et pour les hommes. Les problématiques des femmes ne sont pas prises en compte. Dans 76 % des familles, la femme est seule responsable des missions liées à la vie scolaire. Et elles accomplissent 80 % des tâches ménagères en moyenne tout en étant payées 20 % de moins. Les femmes ne sont souvent pas disponibles aux heures des conseils municipaux ou du militantisme. Elles se heurtent aussi à ce que l'institut Catalyst désigne comme les « normes masculines du pouvoir » : l'esprit de clan, la concurrence et la compétition permanente, le refus de l'émotion... Il y a également un problème d'autocensure.
Pourtant, on a l’impression que la situation évolue. Depuis les dernières élections municipales, certains observateurs soulignent une supposée « vague » de femmes élues maires dans les grandes villes : Paris, Nantes, Rennes …
C'est un cache-misère. L'idée qu'elles seraient actuellement nombreuses tient au « syndrome de la Schtroumpfette » qui veut que l'on remarque, et donc médiatise, plus une femme seule parmi un groupe d'hommes. Mais la situation à Rennes, Nantes et Paris, où deux femmes étaient en course pour être élues, n'est pas représentative du reste de la France. En tout, seulement 16 % des villes de France ont pour maire des femmes (elles étaient 13,8 % en 2008). Pourtant, d'après le Haut Conseil à l'égalité, 17 % des têtes de liste aux élections municipales étaient des femmes. Une part importante d'entre elles ont donc été élues. Cela veut dire que les Français sont prêts à voter pour une femme, pour peu qu'on leur en présente une.
À Rome (Virginia Raggi), en Allemagne (Frauke Petry), en Norvège (Siv Jensen), en France (Marine Le Pen), au Danemark (Pia Kjærsgaard), en Suisse (Céline Amaudruz), des femmes se présentent sous les couleurs de partis populistes. Comment expliquer ce phénomène dans les démocraties occidentales ?
Parce que, quand ça va très mal, on a besoin d'une maman. Les femmes sont souvent considérées comme les derniers recours, comme Theresa May en Angleterre. Valérie Pécresse en a joué. Elle a déclaré : « Quoi de mieux qu'une femme pour faire le ménage ? » pendant la campagne des élections régionales en Île-de-France en 2015. Il y a aussi un sexisme bienveillant. Les partis populistes jouent sur l'image des femmes glamour, sur leur sex appeal.
Aux États-Unis, la majorité des femmes blanches ont voté pour Trump. Pourquoi les femmes ne votent-elles pas pour d’autres femmes ?
Finalement, il n'existe pas de « vote des femmes » monolithique. Hillary Clinton aurait pu devenir la première femme présidente des États-Unis, mais elle aurait aussi été une candidate féministe, soutenue par les mouvements égalitaires. Son programme comportait la création d'un véritable congé maternité national, le droit à l'IVG et l'égalité salariale. Donald Trump milite contre l'avortement, humilie ses ex-femmes publiquement et se vante d'être l'auteur d'agressions sexuelles. Pourtant, la majorité des femmes a voté pour Trump, validant la « soumission enchantée » des femmes décrites par Bourdieu. Cela montre qu'en plus d'empêcher d'accéder à des postes à responsabilité, le fait d'être une femme n'est pas non plus un argument électoral, y compris auprès des femmes elles-mêmes. Depuis une décennie, les partis politiques communautarisent le vote des banlieues, des femmes, des immigrés… Mais il existe toujours une variable irrationnelle.
Pourquoi faudrait-il s’organiser pour permettre à davantage de femmes d'exercer le pouvoir alors qu’elles le rejettent ?
Parce que cela doit être l'essence de la démocratie. C'est ce qui différencie ce régime du totalitarisme. Comme l'écrivait Alexis de Tocqueville, la démocratie peut conduire au népotisme et elle est perfectible, mais pour accéder à l'égalité, il ne faut pas moins de démocratie, il en faut plus. Et la démocratie consiste en « donner des droits à chaque citoyen ou n'en donner à personne ».
Que faudrait-il faire justement pour accéder à plus d’égalité ?
Il faudrait réorganiser la politique. Il faut s'inspirer des chartes de parentalité dans les entreprises : éviter les réunions après 18 heures. Il faudrait aussi travailler sur la parité : l'appliquer dans les conseils d'agglomération et les conseils communautaires et établir un système de sanction plus dissuasif que les amendes. Nous pourrions nous inspirer de la culture du « naming and shaming » (nommer et faire honte) comme aux États-Unis. Et accepter plus facilement les lobbys féministes, toujours comme aux États-Unis. En France, les femmes ne sont pas assez bien organisées et pas assez solidaires.
Source : Le Point
Propos recueillis par Hugo Domenach
Les Américains et surtout les Américaines ont refusé d'élire une femme à la tête de leur pays. En France aussi, la démocratie ne permet pas aux femmes d'accéder aux plus hauts postes à responsabilité, y compris lorsque la parité est rendue obligatoire par la loi. Auteur d'une note intitulée La Démocratie contre les femmes ? pour la Fondation Jean-Jaurès, Marlène Schiappa, adjointe au maire du Mans (sans étiquette), analyse « le mâle être » des systèmes politiques occidentaux.
Le Point.fr : Pourquoi, selon vous, aux États-Unis comme en France, les institutions démocratiques briment-elles les femmes ?
Marlène Schiappa : Comme aux États-Unis, la démocratie française entretient un plafond de verre qui empêche les femmes d'accéder aux plus hauts postes de pouvoir : elles sont à peine 25 % de parlementaires, 16 % de maires, et il n'y en a jamais eu à la tête de l'Assemblée nationale, du Sénat ou à la présidence de la République. Cela s'explique parce que la politique a été organisée par et pour les hommes. Les problématiques des femmes ne sont pas prises en compte. Dans 76 % des familles, la femme est seule responsable des missions liées à la vie scolaire. Et elles accomplissent 80 % des tâches ménagères en moyenne tout en étant payées 20 % de moins. Les femmes ne sont souvent pas disponibles aux heures des conseils municipaux ou du militantisme. Elles se heurtent aussi à ce que l'institut Catalyst désigne comme les « normes masculines du pouvoir » : l'esprit de clan, la concurrence et la compétition permanente, le refus de l'émotion... Il y a également un problème d'autocensure.
Pourtant, on a l’impression que la situation évolue. Depuis les dernières élections municipales, certains observateurs soulignent une supposée « vague » de femmes élues maires dans les grandes villes : Paris, Nantes, Rennes …
C'est un cache-misère. L'idée qu'elles seraient actuellement nombreuses tient au « syndrome de la Schtroumpfette » qui veut que l'on remarque, et donc médiatise, plus une femme seule parmi un groupe d'hommes. Mais la situation à Rennes, Nantes et Paris, où deux femmes étaient en course pour être élues, n'est pas représentative du reste de la France. En tout, seulement 16 % des villes de France ont pour maire des femmes (elles étaient 13,8 % en 2008). Pourtant, d'après le Haut Conseil à l'égalité, 17 % des têtes de liste aux élections municipales étaient des femmes. Une part importante d'entre elles ont donc été élues. Cela veut dire que les Français sont prêts à voter pour une femme, pour peu qu'on leur en présente une.
À Rome (Virginia Raggi), en Allemagne (Frauke Petry), en Norvège (Siv Jensen), en France (Marine Le Pen), au Danemark (Pia Kjærsgaard), en Suisse (Céline Amaudruz), des femmes se présentent sous les couleurs de partis populistes. Comment expliquer ce phénomène dans les démocraties occidentales ?
Parce que, quand ça va très mal, on a besoin d'une maman. Les femmes sont souvent considérées comme les derniers recours, comme Theresa May en Angleterre. Valérie Pécresse en a joué. Elle a déclaré : « Quoi de mieux qu'une femme pour faire le ménage ? » pendant la campagne des élections régionales en Île-de-France en 2015. Il y a aussi un sexisme bienveillant. Les partis populistes jouent sur l'image des femmes glamour, sur leur sex appeal.
Aux États-Unis, la majorité des femmes blanches ont voté pour Trump. Pourquoi les femmes ne votent-elles pas pour d’autres femmes ?
Finalement, il n'existe pas de « vote des femmes » monolithique. Hillary Clinton aurait pu devenir la première femme présidente des États-Unis, mais elle aurait aussi été une candidate féministe, soutenue par les mouvements égalitaires. Son programme comportait la création d'un véritable congé maternité national, le droit à l'IVG et l'égalité salariale. Donald Trump milite contre l'avortement, humilie ses ex-femmes publiquement et se vante d'être l'auteur d'agressions sexuelles. Pourtant, la majorité des femmes a voté pour Trump, validant la « soumission enchantée » des femmes décrites par Bourdieu. Cela montre qu'en plus d'empêcher d'accéder à des postes à responsabilité, le fait d'être une femme n'est pas non plus un argument électoral, y compris auprès des femmes elles-mêmes. Depuis une décennie, les partis politiques communautarisent le vote des banlieues, des femmes, des immigrés… Mais il existe toujours une variable irrationnelle.
Pourquoi faudrait-il s’organiser pour permettre à davantage de femmes d'exercer le pouvoir alors qu’elles le rejettent ?
Parce que cela doit être l'essence de la démocratie. C'est ce qui différencie ce régime du totalitarisme. Comme l'écrivait Alexis de Tocqueville, la démocratie peut conduire au népotisme et elle est perfectible, mais pour accéder à l'égalité, il ne faut pas moins de démocratie, il en faut plus. Et la démocratie consiste en « donner des droits à chaque citoyen ou n'en donner à personne ».
Que faudrait-il faire justement pour accéder à plus d’égalité ?
Il faudrait réorganiser la politique. Il faut s'inspirer des chartes de parentalité dans les entreprises : éviter les réunions après 18 heures. Il faudrait aussi travailler sur la parité : l'appliquer dans les conseils d'agglomération et les conseils communautaires et établir un système de sanction plus dissuasif que les amendes. Nous pourrions nous inspirer de la culture du « naming and shaming » (nommer et faire honte) comme aux États-Unis. Et accepter plus facilement les lobbys féministes, toujours comme aux États-Unis. En France, les femmes ne sont pas assez bien organisées et pas assez solidaires.
Source : Le Point