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Marlène Coulomb-Gully

Entretiens

Soumis par admin1 le
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December 2, 2016

Marlène Coulomb-Gully

Membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et auteur de "Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles"

Par Olivia Recasens

Certes, Nathalie Kosciusko-Morizet a décroché la 4e place au premier tour de la primaire de la droite et du centre… Mais elle était la seule femme en lice et elle fut, pendant le débat télévisuel, interrompue deux fois plus que la moyenne de ses concurrents masculins. Notre futur président de la République a toutes les chances d'être un homme. C'est aussi le cas des actuels patrons de l'Assemblée nationale et du Sénat, des trois quarts des parlementaires et de 84 % des maires. Sans parler des leaders des partis politiques qui, dans leur écrasante majorité, appartiennent au « sexe fort ». Malgré la loi sur la parité, la politique reste en France une « affaire d'hommes ». Professeur en sciences de la communication à l'université Toulouse-II-Jean Jaurès, Marlène Coulomb-Gully est membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et auteur de Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles (Belin). Elle analyse les raisons de cet « atavisme » culturel. Interview.

Le Point.fr : Le pouvoir politique reste concentré entre les mains des hommes. Comment expliquer cette inertie ?

Marlène Coulomb-Gully : C'est particulièrement vrai pour les fonctions les plus éminentes. On dit souvent que les femmes fuient ce type de responsabilités : c'est faux ! Rappelons que Nathalie Goulet avait fait acte de candidature à la présidence du Sénat, et Élisabeth Guigou à l'Assemblée nationale. Des hommes leur ont été préférés. Outre des considérations strictement politiques, je pense qu'il y a une solidarité entre les hommes, voire une reconnaissance inconsciente des hommes entre eux, qui engendre une forme de cooptation implicite. Bien souvent, quels que soient leur engagement ou leur CV, les femmes restent perçues comme des « outsiders ».

Faut-il chercher dans notre histoire les raisons pour lesquelles les femmes sont vouées à être d'éternels « Poulidor » ?

Les Françaises ont été exclues de la vie politique de façon bien plus radicale que chez nos voisins : au Moyen Âge, on exhume une prétendue « loi salique » pour interdire aux femmes de monter sur le trône. Des reines gouvernent en Angleterre ou en Espagne, pas en France. La Révolution abolit les privilèges et fait de l'égalité son mot d'ordre, mais refuse la citoyenneté aux femmes. On sait ce qu'il advint d'Olympe de Gouges... Après la guerre de 14-18, presque partout en Europe, les femmes obtiennent le droit de vote. Pas en France où, à six reprises, le Sénat bloque l'examen du projet d'accès à la citoyenneté des femmes. « Une humiliation », disent-elles. Il a fallu attendre 1944 pour qu'enfin on les reconnaisse comme des citoyennes à part entière. Avouez qu'on revient de loin...

Pourtant, une loi sur la parité a été votée en 2000...

Les hommes, même s'il existe des exceptions, ont du mal à se dessaisir d'un pouvoir, qu'ils considèrent comme leur étant naturellement dévolu. « Nature-elle-ment », écrivent avec humour les féministes. Par exemple, lors des dernières élections sénatoriales, certains sénateurs sortants ont préféré conduire une liste dissidente plutôt que de se trouver derrière une femme ! Le même esprit de résistance s'observe quand, dans une assemblée désormais paritaire, on voit les hommes migrer vers les postes les plus prestigieux : typiquement, les postes dits « régaliens » comme les finances, les marchés publics, etc. Et je ne parle pas des fonctions de présidence ou de direction évoquées plus haut. « Un partage des places, mais pas du pouvoir », note à ce propos le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Vous qualifiez les partis politiques de « bastions imprenables ». Que faites-vous d'EELV gouverné hier par une femme ou du FN aujourd'hui ?

L'entre-soi masculin des partis n'a été brisé que récemment et les hommes restent bien plus nombreux que les femmes parmi les militants. C'est d'autant plus vrai que le parti est ancien. Les jeunes partis et les partis de gauche sont, en revanche, beaucoup plus accueillants envers les femmes : c'est typiquement le cas d'EELV, où le sexisme n'a pas pour autant disparu comme le rappelle l'affaire Baupin. Quant au FN, ses têtes d'affiche féminines doivent beaucoup à son fonctionnement familial, voire clanique.

Les médias jouent-ils un rôle dans cette répartition bancale des responsabilités ?

Les médias sont à l'image de la société dans son ensemble et reproduisent, souvent inconsciemment d'ailleurs, les stéréotypes sexistes qui la caractérisent. Pour faire vite, disons que, dans les médias, les femmes politiques sont des femmes avant d'être des politiques. Et les mots pour les dire ne sont pas les mêmes que pour leurs homologues masculins : l'homme fait preuve d'autorité alors que la femme est dite autoritaire, il a du caractère alors qu'elle a mauvais caractère, il fait preuve d'initiative alors qu'elle est imprévisible, etc. Le soupçon d'incompétence est probablement ce qui pèse le plus s'agissant des femmes ; on se souvient de la campagne de Ségolène Royal. Et puis il y a, bien sûr, l'apparence…

On se souvient des sifflets accueillant à l'Assemblée Cécile Duflot parce qu'elle portait une robe à fleurs, laquelle figure pour cette raison dans l'exposition du musée des Arts décoratifs « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale ». Les femmes sont toujours renvoyées à leur apparence ?

Commentaires sur leurs vêtements, sur leur physique, sur leur voix... Les témoignages des femmes politiques – comme des femmes journalistes – quant au sexisme des propos qui circulent dans ce temple de la République qu'est l'Assemblée nationale ne laissent pas de surprendre. Cela tient sans doute au fait que ce lieu a longtemps été exclusivement occupé par des hommes : comme dans les casernes ou les internats s'y est développée une culture macho dont les hommes – certains, en tout cas – ont encore du mal à se départir. Pas sûr que l'implantation du buste d'Olympe de Gouges dans la salle des pas perdus suffise à venir à bout de cet état d'esprit !

Mais revendiquer pour les femmes un traitement à part heurte de plein fouet l'idéal républicain qui garantit à chaque citoyen d'être traité de façon identique. Au nom de quoi l'intérêt particulier devrait-il ici primer le collectif ?

Je ne pense pas que l'idéal républicain se satisfasse de l'exclusion de fait des femmes de la vie politique, comme c'était le cas avant le vote des lois dites de parité. Et je ne crois pas non plus que l'intérêt de 52 % de la population puisse être identifié à l'intérêt particulier !

Quels sont les exemples à l'étranger dont nous pourrions nous inspirer ?

On cite souvent les pays d'Europe du Nord comme des laboratoires de la vie politique. Rappelons qu'en Suède la parité s'est imposée sans recours à la loi ni à la politique de quotas. Mais il est vrai que ces pays ont promu une culture de l'égalité passant par un apprentissage qui s'effectue dès les petites classes de l'école : partager les mêmes jouets, les mêmes espaces, faire les mêmes sports...

Le fait qu'Hillary Clinton, ancienne militante féministe, a beaucoup axé sa campagne sur les droits des femmes, versus la virilité tonitruante de Donald Trump, a-t-il pu peser dans sa défaite ?

Les facteurs qui expliquent une victoire ou une défaite sont toujours complexes. Mais oui, je crois qu'une grande partie des électeurs de Donald Trump avait besoin d'entendre réaffirmer une forme de domination masculine et blanche, contre ce président noir qu'est Barack Obama et contre cette candidate femme qu'est Hillary Clinton. « Make America Great Again », c'est aussi « Make America White Again », comme le soulignait Toni Morrison, et j'ajouterais « Make America Male Again ».

La scène politique française offre un spectacle figé, voire sclérosé. Mais la présence de femmes en plus grand nombre y changerait-elle quoi que ce soit ? Autrement dit, les femmes font-elles vraiment de la politique autrement ?

Leur vécu de femme peut les rendre sensibles à des problématiques qui ont parfois tendance à être considérées comme secondaires en politique : troisième âge, violences conjugales, petite enfance... Mais la participation des femmes à la vie politique ne doit pas se faire sous condition de performance. Elle doit se faire pour des raisons de justice, tout simplement.

Source : Le Point

 

 

Date de l'entretien
Région
Membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et auteur de "Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles"
Focus areas
primaire

Par Olivia Recasens

Certes, Nathalie Kosciusko-Morizet a décroché la 4e place au premier tour de la primaire de la droite et du centre… Mais elle était la seule femme en lice et elle fut, pendant le débat télévisuel, interrompue deux fois plus que la moyenne de ses concurrents masculins. Notre futur président de la République a toutes les chances d'être un homme. C'est aussi le cas des actuels patrons de l'Assemblée nationale et du Sénat, des trois quarts des parlementaires et de 84 % des maires. Sans parler des leaders des partis politiques qui, dans leur écrasante majorité, appartiennent au « sexe fort ». Malgré la loi sur la parité, la politique reste en France une « affaire d'hommes ». Professeur en sciences de la communication à l'université Toulouse-II-Jean Jaurès, Marlène Coulomb-Gully est membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et auteur de Femmes en politique, en finir avec les seconds rôles (Belin). Elle analyse les raisons de cet « atavisme » culturel. Interview.

Le Point.fr : Le pouvoir politique reste concentré entre les mains des hommes. Comment expliquer cette inertie ?

Marlène Coulomb-Gully : C'est particulièrement vrai pour les fonctions les plus éminentes. On dit souvent que les femmes fuient ce type de responsabilités : c'est faux ! Rappelons que Nathalie Goulet avait fait acte de candidature à la présidence du Sénat, et Élisabeth Guigou à l'Assemblée nationale. Des hommes leur ont été préférés. Outre des considérations strictement politiques, je pense qu'il y a une solidarité entre les hommes, voire une reconnaissance inconsciente des hommes entre eux, qui engendre une forme de cooptation implicite. Bien souvent, quels que soient leur engagement ou leur CV, les femmes restent perçues comme des « outsiders ».

Faut-il chercher dans notre histoire les raisons pour lesquelles les femmes sont vouées à être d'éternels « Poulidor » ?

Les Françaises ont été exclues de la vie politique de façon bien plus radicale que chez nos voisins : au Moyen Âge, on exhume une prétendue « loi salique » pour interdire aux femmes de monter sur le trône. Des reines gouvernent en Angleterre ou en Espagne, pas en France. La Révolution abolit les privilèges et fait de l'égalité son mot d'ordre, mais refuse la citoyenneté aux femmes. On sait ce qu'il advint d'Olympe de Gouges... Après la guerre de 14-18, presque partout en Europe, les femmes obtiennent le droit de vote. Pas en France où, à six reprises, le Sénat bloque l'examen du projet d'accès à la citoyenneté des femmes. « Une humiliation », disent-elles. Il a fallu attendre 1944 pour qu'enfin on les reconnaisse comme des citoyennes à part entière. Avouez qu'on revient de loin...

Pourtant, une loi sur la parité a été votée en 2000...

Les hommes, même s'il existe des exceptions, ont du mal à se dessaisir d'un pouvoir, qu'ils considèrent comme leur étant naturellement dévolu. « Nature-elle-ment », écrivent avec humour les féministes. Par exemple, lors des dernières élections sénatoriales, certains sénateurs sortants ont préféré conduire une liste dissidente plutôt que de se trouver derrière une femme ! Le même esprit de résistance s'observe quand, dans une assemblée désormais paritaire, on voit les hommes migrer vers les postes les plus prestigieux : typiquement, les postes dits « régaliens » comme les finances, les marchés publics, etc. Et je ne parle pas des fonctions de présidence ou de direction évoquées plus haut. « Un partage des places, mais pas du pouvoir », note à ce propos le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Vous qualifiez les partis politiques de « bastions imprenables ». Que faites-vous d'EELV gouverné hier par une femme ou du FN aujourd'hui ?

L'entre-soi masculin des partis n'a été brisé que récemment et les hommes restent bien plus nombreux que les femmes parmi les militants. C'est d'autant plus vrai que le parti est ancien. Les jeunes partis et les partis de gauche sont, en revanche, beaucoup plus accueillants envers les femmes : c'est typiquement le cas d'EELV, où le sexisme n'a pas pour autant disparu comme le rappelle l'affaire Baupin. Quant au FN, ses têtes d'affiche féminines doivent beaucoup à son fonctionnement familial, voire clanique.

Les médias jouent-ils un rôle dans cette répartition bancale des responsabilités ?

Les médias sont à l'image de la société dans son ensemble et reproduisent, souvent inconsciemment d'ailleurs, les stéréotypes sexistes qui la caractérisent. Pour faire vite, disons que, dans les médias, les femmes politiques sont des femmes avant d'être des politiques. Et les mots pour les dire ne sont pas les mêmes que pour leurs homologues masculins : l'homme fait preuve d'autorité alors que la femme est dite autoritaire, il a du caractère alors qu'elle a mauvais caractère, il fait preuve d'initiative alors qu'elle est imprévisible, etc. Le soupçon d'incompétence est probablement ce qui pèse le plus s'agissant des femmes ; on se souvient de la campagne de Ségolène Royal. Et puis il y a, bien sûr, l'apparence…

On se souvient des sifflets accueillant à l'Assemblée Cécile Duflot parce qu'elle portait une robe à fleurs, laquelle figure pour cette raison dans l'exposition du musée des Arts décoratifs « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale ». Les femmes sont toujours renvoyées à leur apparence ?

Commentaires sur leurs vêtements, sur leur physique, sur leur voix... Les témoignages des femmes politiques – comme des femmes journalistes – quant au sexisme des propos qui circulent dans ce temple de la République qu'est l'Assemblée nationale ne laissent pas de surprendre. Cela tient sans doute au fait que ce lieu a longtemps été exclusivement occupé par des hommes : comme dans les casernes ou les internats s'y est développée une culture macho dont les hommes – certains, en tout cas – ont encore du mal à se départir. Pas sûr que l'implantation du buste d'Olympe de Gouges dans la salle des pas perdus suffise à venir à bout de cet état d'esprit !

Mais revendiquer pour les femmes un traitement à part heurte de plein fouet l'idéal républicain qui garantit à chaque citoyen d'être traité de façon identique. Au nom de quoi l'intérêt particulier devrait-il ici primer le collectif ?

Je ne pense pas que l'idéal républicain se satisfasse de l'exclusion de fait des femmes de la vie politique, comme c'était le cas avant le vote des lois dites de parité. Et je ne crois pas non plus que l'intérêt de 52 % de la population puisse être identifié à l'intérêt particulier !

Quels sont les exemples à l'étranger dont nous pourrions nous inspirer ?

On cite souvent les pays d'Europe du Nord comme des laboratoires de la vie politique. Rappelons qu'en Suède la parité s'est imposée sans recours à la loi ni à la politique de quotas. Mais il est vrai que ces pays ont promu une culture de l'égalité passant par un apprentissage qui s'effectue dès les petites classes de l'école : partager les mêmes jouets, les mêmes espaces, faire les mêmes sports...

Le fait qu'Hillary Clinton, ancienne militante féministe, a beaucoup axé sa campagne sur les droits des femmes, versus la virilité tonitruante de Donald Trump, a-t-il pu peser dans sa défaite ?

Les facteurs qui expliquent une victoire ou une défaite sont toujours complexes. Mais oui, je crois qu'une grande partie des électeurs de Donald Trump avait besoin d'entendre réaffirmer une forme de domination masculine et blanche, contre ce président noir qu'est Barack Obama et contre cette candidate femme qu'est Hillary Clinton. « Make America Great Again », c'est aussi « Make America White Again », comme le soulignait Toni Morrison, et j'ajouterais « Make America Male Again ».

La scène politique française offre un spectacle figé, voire sclérosé. Mais la présence de femmes en plus grand nombre y changerait-elle quoi que ce soit ? Autrement dit, les femmes font-elles vraiment de la politique autrement ?

Leur vécu de femme peut les rendre sensibles à des problématiques qui ont parfois tendance à être considérées comme secondaires en politique : troisième âge, violences conjugales, petite enfance... Mais la participation des femmes à la vie politique ne doit pas se faire sous condition de performance. Elle doit se faire pour des raisons de justice, tout simplement.

Source : Le Point

 

 

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