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À l’assaut du pouvoir municipal en Tunisie

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À l’assaut du pouvoir municipal en Tunisie

Source:

Par Maurine Mercier

Article paru dans le magazine AMNESTY n° 87, Décembre 2016

Après avoir obtenu en juin dernier la parité sur les listes pour les élections municipales à venir, les femmes tunisiennes veulent maintenant se faire élire. Dans la région de Sfax, deuxième ville du pays, située à 250 kilomètres au sud de Tunis, l’association Mouwatinet – «les citoyennes» en tunisien –  a déjà lancé les prochaines étapes. D’abord appeler les femmes à voter, apprendre à certaines qu’elles ont le droit d’élire leurs représentant·e·s et les initier à s’exprimer librement. Puis les encourager à être observatrices aux élections, susciter l’intérêt pour le processus électoral. Enfin et surtout, les convaincre de se présenter elles-mêmes aux élections, et les former à la gouvernance. Pour les premières élections municipales post-révolutionnaires prévues en 2017, l’association a convaincu 60 femmes de figurer sur les listes municipales de la région.

Un lourd héritage

«Ça paraît peu, mais on part de loin», résume Béchira Amouri Jalouani, présidente de l’association. Avant 2011, les rares femmes présentes dans la politique tunisienne étaient manipulées par le parti de Ben Ali, rappelle-t-elle. Et depuis la révolution aucune femme n’occupe de poste parmi les délégations spéciales mises en place dans les municipalités de Sfax dans l’attente des élections.

«Il n’est pas sûr qu’on décroche des postes, mais au moins on entendra enfin une autre logique dans la campagne électorale», ajoute la vice-présidente Chadlia Kechaou. Les fondatrices de Mouwatinet ont toutes un passé d’activiste, d’opposante, du moins autant qu’il était possible de l’être sous le régime de Ben Ali, avant la révolution de 2011. Et ça se sent. La voix est forte, posée, le propos asséné. Elles ont déjà lutté. On ne la leur fait pas. Les changements, maintenant, elles veulent les provoquer et les faires entrer dans l’ADN tunisien.

«On ne va pas refaire l’histoire», la position de la femme tunisienne est bien meilleure que celle de ses consœurs des pays voisins, résume Béchira Amouri Jalouani, mais les changements venaient d’en haut. Imposés par Bourguiba et son code du statut personnel. En conséquence, ils ne se sont pas faits en profondeur au sein de la société tunisienne qui reste très patriarcale. Les deux femmes espèrent que la révolution permette cette fois-ci des changements profonds. Leur analyse : un nouveau système démocratique et des élections municipales libres favorisent un changement à partir du bas, et donc par et pour les premières personnes concernées : les femmes. Elles le sentent, les acquis sous Bourguiba ne seront pas définitifs, tant qu’il restera des lois écrites, plutôt que des habitudes.

Des femmes indépendantes

Partir d’en bas permet aussi d’éviter aux femmes de Mouwatinet un de leurs pires cauchemars : l’instrumentalisation politique. Elles se rappellent avec colère des organisations féministes actives sous Ben Ali, en réalité de simples instruments de propagande du pouvoir. Mouwatinet veut garder son indépendance, mais dans un esprit d’ouverture : une femme membre du bureau régional du parti au pouvoir Nidaa Tounes suit les cours proposés par l’association. Des formations à la gestion administrative et la mise en place de campagnes électorales. Son parti n’a rien organisé, uniquement parce que la date des élections municipales n’est pas encore fixée, assure Gharbia Sessi dans un éclat de rire. Elle a préféré anticiper dit-elle, ou elle se fait peut-être moins d’illusion qu’elle ne veut bien l’avouer sur ce que son parti va préparer pour les femmes. Seule femme couverte de toute la bande, son voile bleu ciel, bien ajusté autour du visage disparaît derrière son immense sourire et un nouvel éclat de rire à sa mention. «C’est vrai que je porte le voile et que je respecte la religion, mais mes convictions religieuses n’ont jamais empêché le reste, notamment la défense des droits des femmes.»

Mouwatinet sur le terrain

Toutes les femmes réunies dans cette petite salle du deuxième étage d’un bâtiment du centre de Sfax sont enseignantes. C’est un réseau facile à activer résume l’une d’entre elles, et «honnêtement il nous fallait immédiatement des femmes avec un certain bagage intellectuel pour se présenter aux élections », reconnaît une autre membre de Mouwatinet. Mais leurs actions les portent à élargir le cercle, à susciter l’intérêt de toutes les femmes. Pas nécessairement facile dans la région de Sfax, qui compte 80 quartiers populaires où vivent 130 000 habitants, dont des femmes, qui sont parfois analphabètes et souvent ne possèdent même pas la carte d’identité nécessaire pour voter.

Dès 2011, l’association a organisé dans ces quartiers populaires et dans les zones rurales des séances de vote blanc pour sensibiliser les femmes au droit de vote. Mouwatinet s’est ensuite installée dans les bureaux électoraux en formant des dizaines de femmes à l’observation d’élections et à être membre administrative des bureaux de vote de leur municipalité.

«Vous savez, quand une femme tunisienne sort du boulot, elle court à la maison pour s’occuper des enfants, du mari, de ses parents et de ses beaux-parents. Il a donc fallu être intelligentes.» Seule la pause de midi permettait aux membres de Mouwatinet d’avoir l’oreille attentive de femmes au travail. Elles ont donc occupé le terrain des cantines, offrant le modeste repas de midi et de précieuses explications sur les élections.

Le risque d’essoufflement

Un travail militant de base, de terrain, qui a porté ses fruits. Le taux de présence des femmes dans l’administration électorale a augmenté de 42% pour les deux circonscriptions de Sfax entre 2011 et 2014. Les observatrices ont aussi été plus nombreuses lors du scrutin parlementaire de 2014. De plus, 60 femmes qui ne sont pas issues d’appareil de partis ont accepté de participer aux élections municipales. La présidente de Mouwatinet reste inquiète malgré ce succès. Les élections municipales ont été reportées de mars à octobre 2017 car la loi électorale n’a pas encore été votée. Un report qui pourrait briser cet élan. «Les tristes démonstrations de politique politicienne au niveau national ne donnent pas une bonne image de la politique et pourraient écœurer certaines de nos candidates», soupire Béchira Amouri Jalouani.

Paradoxalement, la raison pour laquelle ce report inquiète démontre pourquoi les femmes doivent maintenir leur engagement politique. Sept mois d’engagement supplémentaire, de travail politique en plus pour des femmes déjà surchargées, entre travail et corvées familiales traditionnelles. « Il leur faut des crèches à prix abordables », tonne Béchira Amouri Jalouani. Aujourd’hui, la plupart des infrastructures de ce type à Sfax sont privées et trop chères. Sauf que ces décisions se prennent au niveau municipal. «Des crèches publiques existaient, mais la municipalité les a toutes fermées. Des femmes dans des exécutifs serait le meilleur moyen de mettre ce thème à l’agenda.»

Source: Amnesty Suisse

 

 

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Par Maurine Mercier

Article paru dans le magazine AMNESTY n° 87, Décembre 2016

Après avoir obtenu en juin dernier la parité sur les listes pour les élections municipales à venir, les femmes tunisiennes veulent maintenant se faire élire. Dans la région de Sfax, deuxième ville du pays, située à 250 kilomètres au sud de Tunis, l’association Mouwatinet – «les citoyennes» en tunisien –  a déjà lancé les prochaines étapes. D’abord appeler les femmes à voter, apprendre à certaines qu’elles ont le droit d’élire leurs représentant·e·s et les initier à s’exprimer librement. Puis les encourager à être observatrices aux élections, susciter l’intérêt pour le processus électoral. Enfin et surtout, les convaincre de se présenter elles-mêmes aux élections, et les former à la gouvernance. Pour les premières élections municipales post-révolutionnaires prévues en 2017, l’association a convaincu 60 femmes de figurer sur les listes municipales de la région.

Un lourd héritage

«Ça paraît peu, mais on part de loin», résume Béchira Amouri Jalouani, présidente de l’association. Avant 2011, les rares femmes présentes dans la politique tunisienne étaient manipulées par le parti de Ben Ali, rappelle-t-elle. Et depuis la révolution aucune femme n’occupe de poste parmi les délégations spéciales mises en place dans les municipalités de Sfax dans l’attente des élections.

«Il n’est pas sûr qu’on décroche des postes, mais au moins on entendra enfin une autre logique dans la campagne électorale», ajoute la vice-présidente Chadlia Kechaou. Les fondatrices de Mouwatinet ont toutes un passé d’activiste, d’opposante, du moins autant qu’il était possible de l’être sous le régime de Ben Ali, avant la révolution de 2011. Et ça se sent. La voix est forte, posée, le propos asséné. Elles ont déjà lutté. On ne la leur fait pas. Les changements, maintenant, elles veulent les provoquer et les faires entrer dans l’ADN tunisien.

«On ne va pas refaire l’histoire», la position de la femme tunisienne est bien meilleure que celle de ses consœurs des pays voisins, résume Béchira Amouri Jalouani, mais les changements venaient d’en haut. Imposés par Bourguiba et son code du statut personnel. En conséquence, ils ne se sont pas faits en profondeur au sein de la société tunisienne qui reste très patriarcale. Les deux femmes espèrent que la révolution permette cette fois-ci des changements profonds. Leur analyse : un nouveau système démocratique et des élections municipales libres favorisent un changement à partir du bas, et donc par et pour les premières personnes concernées : les femmes. Elles le sentent, les acquis sous Bourguiba ne seront pas définitifs, tant qu’il restera des lois écrites, plutôt que des habitudes.

Des femmes indépendantes

Partir d’en bas permet aussi d’éviter aux femmes de Mouwatinet un de leurs pires cauchemars : l’instrumentalisation politique. Elles se rappellent avec colère des organisations féministes actives sous Ben Ali, en réalité de simples instruments de propagande du pouvoir. Mouwatinet veut garder son indépendance, mais dans un esprit d’ouverture : une femme membre du bureau régional du parti au pouvoir Nidaa Tounes suit les cours proposés par l’association. Des formations à la gestion administrative et la mise en place de campagnes électorales. Son parti n’a rien organisé, uniquement parce que la date des élections municipales n’est pas encore fixée, assure Gharbia Sessi dans un éclat de rire. Elle a préféré anticiper dit-elle, ou elle se fait peut-être moins d’illusion qu’elle ne veut bien l’avouer sur ce que son parti va préparer pour les femmes. Seule femme couverte de toute la bande, son voile bleu ciel, bien ajusté autour du visage disparaît derrière son immense sourire et un nouvel éclat de rire à sa mention. «C’est vrai que je porte le voile et que je respecte la religion, mais mes convictions religieuses n’ont jamais empêché le reste, notamment la défense des droits des femmes.»

Mouwatinet sur le terrain

Toutes les femmes réunies dans cette petite salle du deuxième étage d’un bâtiment du centre de Sfax sont enseignantes. C’est un réseau facile à activer résume l’une d’entre elles, et «honnêtement il nous fallait immédiatement des femmes avec un certain bagage intellectuel pour se présenter aux élections », reconnaît une autre membre de Mouwatinet. Mais leurs actions les portent à élargir le cercle, à susciter l’intérêt de toutes les femmes. Pas nécessairement facile dans la région de Sfax, qui compte 80 quartiers populaires où vivent 130 000 habitants, dont des femmes, qui sont parfois analphabètes et souvent ne possèdent même pas la carte d’identité nécessaire pour voter.

Dès 2011, l’association a organisé dans ces quartiers populaires et dans les zones rurales des séances de vote blanc pour sensibiliser les femmes au droit de vote. Mouwatinet s’est ensuite installée dans les bureaux électoraux en formant des dizaines de femmes à l’observation d’élections et à être membre administrative des bureaux de vote de leur municipalité.

«Vous savez, quand une femme tunisienne sort du boulot, elle court à la maison pour s’occuper des enfants, du mari, de ses parents et de ses beaux-parents. Il a donc fallu être intelligentes.» Seule la pause de midi permettait aux membres de Mouwatinet d’avoir l’oreille attentive de femmes au travail. Elles ont donc occupé le terrain des cantines, offrant le modeste repas de midi et de précieuses explications sur les élections.

Le risque d’essoufflement

Un travail militant de base, de terrain, qui a porté ses fruits. Le taux de présence des femmes dans l’administration électorale a augmenté de 42% pour les deux circonscriptions de Sfax entre 2011 et 2014. Les observatrices ont aussi été plus nombreuses lors du scrutin parlementaire de 2014. De plus, 60 femmes qui ne sont pas issues d’appareil de partis ont accepté de participer aux élections municipales. La présidente de Mouwatinet reste inquiète malgré ce succès. Les élections municipales ont été reportées de mars à octobre 2017 car la loi électorale n’a pas encore été votée. Un report qui pourrait briser cet élan. «Les tristes démonstrations de politique politicienne au niveau national ne donnent pas une bonne image de la politique et pourraient écœurer certaines de nos candidates», soupire Béchira Amouri Jalouani.

Paradoxalement, la raison pour laquelle ce report inquiète démontre pourquoi les femmes doivent maintenir leur engagement politique. Sept mois d’engagement supplémentaire, de travail politique en plus pour des femmes déjà surchargées, entre travail et corvées familiales traditionnelles. « Il leur faut des crèches à prix abordables », tonne Béchira Amouri Jalouani. Aujourd’hui, la plupart des infrastructures de ce type à Sfax sont privées et trop chères. Sauf que ces décisions se prennent au niveau municipal. «Des crèches publiques existaient, mais la municipalité les a toutes fermées. Des femmes dans des exécutifs serait le meilleur moyen de mettre ce thème à l’agenda.»

Source: Amnesty Suisse

 

 

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